24/02/2013

Alors, soudain, Annie Mako a découvert la langue des sourds


Elle n'a pas eu pour berceau le monde de la culture ni celui du militantisme. Elle chante, clame la poésie, est chorégraphe de ses mains, graphiste, metteure en scène. Elle gère, anime, a mille idées à la minute et court la France avec son association Bête à Bon Dieu Production. Mais que cherche-t-elle  ? Le chemin pour nous faire partager une rencontre, celle des sourds.


Lycéenne dans les années 90, les études, ce n'était pas son truc  : elle avait autre chose à faire que de réussir son bac. D'ailleurs, elle le rate et part pour Rennes étudier le graphisme. Premier boulot à Paris dans une grande centrale d'achat  : réaliser le catalogue des acheteurs de la marque. Deux ans après, constat : elle n'est pas «  faite pour vanter les produits de la grande distribution. J'avais autre chose à faire de ma vie.  » 
 
Elle a une belle voix qu'elle tient de ses ancêtres bretons «  qui n'avaient pas de formation musicale mais qui chantaient au gré des événements qui rythment la vie  ». Pendant un an, elle apprend le jazz vocal au Centre d'Information Musicale. Elle a 24 ans et l'envie d'en découdre.

Les mains dans le cambouis

« Avant d'aller vers les autres, dit-elle avec force, j'avais besoin de me connaître moi-même, de me remettre en question. » Elle choisit de se lancer dans l'intermittence du spectacle : rude école. Elle galère de petits contrats en petits contrats et se heurte aux exigences des programmateurs  : « J'aimais l'interprétation mais, à l'époque, pour être reconnue, il fallait aussi être auteure et compositrice, ce que je n'étais pas. » 
 
Elle travaille d'arrache-pied pour combler ses manques  : elle suit des ateliers d'écriture, de mime, de clown, de masque, de théâtre... Elle qui ne lit pas les notes, intègre la chorale semi-professionnelle de l'ARIAM Ile de France. « Je n'arrivais pas à me déterminer sur ma carrière. Quoi dire ? Quoi chanter ? J'avais plein d'interrogations », se rappelle-t-elle, les sourcils froncés au souvenir de cette recherche qui la tenaillait.

D'autres ouvertures

Elle a 28 ans et quatre ans d'intermittence, elle baisse la garde. En formation pour huit mois en «  administration du spectacle vivant  », elle se découvre des compétences en communication : « Il fallait aller chercher des angles nouveaux, inédits, pour donner du sens et de la matière au dossier de presse. » Elle travaille pour de petites compagnies puis, pendant deux ans, à Musicora, le futur Salon de la Musique. 
 
Toujours en recherche, elle s'initie à la radio au Centre de formation des Journalistes de Paris. Elle quitte Musicora et se lance dans l'événementiel avec les Opéras de Plein Air. « J'ai appris à bosser dans l'immédiateté avec un management à l'arrache, dans la réactivité avec un bon sens de l'organisation. » En 2004, elle est embauchée à l'Espace Jemmapes dans le 10 ème. Elle s'occupe de la programmation musicale et de l'administration de al salle de spectacle.

La suite logique

Arrêt sur image : elle est insatisfaite. Besoin de faire le point sur son expérience ?  Ou n'est-ce pas une fois de plus cette quête de sens qui la poursuit  ? Elle ose écrire à Laurent  Fleury, professeur de sociologie à l'université Paris Diderot, spécialiste des politiques et des pratiques culturelles. Elle qui a lâché l'école est rattrapée par l'université : Laurent Fleury accepte de suivre l'étudiante. 
 
« Cela a été une sacrée réparation, cela validait mon expérience de vie. » Elle ne croit pas au hasard. Ce diplôme se situait comme la suite logique de cette recherche sur soi – le fameux « connais-toi toi-même » des Grecs – avant d'aller vers les autres. « C'est une construction, quelque chose qui se remplit à un moment. La rencontre avec l'autre vient à ce moment-là. »
 

Comme une petite musique intérieure

Et quelle rencontre  ! Elle va bouleverser sa vie et mettre de l'ordre dans le puzzle de son existence. Un soir, elle est entraînée par une amie pour aller voir un spectacle où l'un des comédiens – Laurent Valo - est sourd.

C'est comme la lumière dans la grotte de Platon  : sa petite musique intérieure prend sens : « Je me suis reconnectée avec l'enfant qui était en moi. » 

 Annie vient d'entrer dans le monde des sourds. En deux mois seulement, elle apprend leur langue à l' Institute Visual Theater, laboratoire de recherches artistiques sur la langue des signes, créé par des États-uniens dans les années 70 et dirigé aujourd'hui par Emmanuelle Laborit. « C' est un monde complexe et multiple mais une langue, c'est une langue. La langue des signes n'est pas figée, c'est comme une chorégraphie et elle évolue sans cesse. C'est une richesse et un apport dont la société ne peut se passer. » affirme-t-elle avec force.

Ce monde nouveau  devient une problématique qu'elle creuse en rédigeant son mémoire de maîtrise en 2007 :  Quelle place ont les sourds sur la place publique  ? Comment les regarde-t-on  : citoyens à part entière ou  sous-citoyens  ? Quelle relation avec le politique ? Où est se situe alors le concept d'égalité ?

Mettre en lumière la parole des sourds

Annie Mako mène de concert recherche et action. L'association Bête à Bon Dieu Production ( BàBDP ) qu'elle avait créée en 2004 s'enrichit de cette dimension nouvelle. 
 
A BàBDP, sourds et entendants discutent  : pas de handicap, non  ! Mais de vrais sujets, ceux qui nous tracassent ou nous réjouissent au quotidien. Et depuis 2008, cela débat fort dans les soirées «  Parlons de nos vies  »  : des objectifs des conseils de quartier aux nouvelles technologies en passant par la place des femmes dans les sports collectifs, l'humour sourd et l'humour entendant, la bande dessinée ou le mariage homosexuel.
 
A BàBDP, artistes professionnels, sourds et entendants, aiment les mots qui se rencontrent dans ces deux langues subtiles et riches que sont la langue des signes et le français. Avec la troupe Clameur Public, ils nous emmènent sur les chemins de la poésie et du roman jeunesse. 
 
A BàBDP, c'est aussi à nous de jouer, entendants et sourds, avec Paroles citoyennes. Annie Mako et son équipe ont ainsi récolté dans huit villes de France des témoignages qui fondent  l'exposition itinérante « Citoyen(ne)s, et vous  ? »

« Il n'y a pas de thématique, chacun et chacune est libre de dire ce qu'il veut devant la caméra ; c'est réjouissant,  dit-elle ( Annie affectionne particulièrement cette expression ), ce moyen de dire " je ", d'être écouté et de rendre réel ce qui devrait être une évidence  : notre égalité de citoyen et de citoyenne. »

Marie-Anne Divet

A vous de suivre en langue des signes cette visite à la triennale "Intense proximité" du Palais de Tokio, vidéo réalisée par François Parbot, Annie Mako et Cristelle Papin en avril - juin 2012.

Un extrait de l'exposition " Citoyen(ne)s, et vous ? " , le témoignage d'Héléna Abdone, apprenante en langue des signes. 


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