Envoyer à un ami
Version imprimable
Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
31/03/2011

Aly, un cauchemar au cœur du rêve égyptien


Les acteurs du « printemps arabe » affrontent partout la violence des systèmes en place, bien décidés à casser l'élan démocratique. Ainsi en Egypte, où Aly, 28 ans, sort tout juste d'un cauchemar.


Manifestant de la première heure sur la fameuse place Tahrir, au Caire, Aly Subhi est l'un de ces jeunes Égyptiens qui inventent en ce moment l'histoire de leur pays. Un rôle difficile pour l'acteur de théâtre de 28 ans, même s'il a fait de la rue sa scène préférée. En mars, il a été arrêté et torturé. Son témoignage est parvenu à la rédaction d'Histoires Ordinaires: en voici le résumé.

« Je ne me suis jamais senti aussi fort », dit Aly aujourd'hui.
« Je ne me suis jamais senti aussi fort », dit Aly aujourd'hui.
Le mercredi 9 mars, Aly quitte une réunion avec ses amis où l'on a, comme souvent, beaucoup parlé de la vie dans les prisons égyptiennes. Avec son amie Lobna, il part rencontrer un éditeur, rue Kasr el-Nil. Ils passent près de la place Tahrir et y jettent un œil. Ils n'y sont pas allés depuis quatre jours. Il faut bien gagner sa vie.

La place garde quelques traces du passage des voyous qui ont attaqué les manifestants la veille mais ce qu'Aly et Lobna remarquent le plus, c'est le drapeau égyptien qui flotte la-haut: « En le regardant, ça m'a donné envie de rester à nouveau, je l'aimais peut-être encore plus que le sit-in », dit-il.

« - Ramy, qu'est-ce qui se passe?»

Ils s'attardent donc, marchent, rencontrent des amis, blaguent, l'ambiance est très paisible. Puis ils poursuivent leur chemin et arrivent rue Kasr el-Nil, face au Musée. Le lieu de torture de l'armée égyptienne. Il y a beaucoup de monde. Des manifestants sans doute. Tout va bien et puis ils entendent un grand bruit derrière eux. Ils se retournent. Des militaires, des manifestants, et des voyous armés de bâtons courent dans une confusion totale.

Lobna a peur. « C'est étrange parce qu'elle a vu pire. Peut-être est-ce l'intuition de la mère qui parle, elle sent que quelque chose de mauvais va se produire.» Ali conduit Lobna jusque chez l'éditeur et repart vers le musée en prévoyant de lui téléphoner pour la rassurer. Arrivé sur les lieux, il retrouve soldats, manifestants et voyous.

Soudain, il aperçoit son ami Ramy Essam qu'on emmène:
« - Ramy, qu'est-ce qui se passe?
- Je ne sais pas !!! Qu'est ce qui se passe?
- Ne t'inquiète pas, nous allons nous occuper de ça. »

 
Aly appelle leur ami Kalabala qui tente de le rassurer: « Ne t'inquiète pas, nous allons le faire sortir mais viens vite avant qu'ils ne t'arrêtent aussi.» 

200 personnes arrêtées

Ce mercredi 9 mars, l'armée égyptienne a en fait décidé de disperser de force les militants du Caire qui ne veulent pas se satisfaire du départ de Moubarak et restent intransigeants dans leur rêve de démocratie. Dans la journée, quelque 200 personnes, 173 hommes et 17 femmes, vont être arrêtées et emprisonnées au Caire, sans pouvoir joindre avocats ou familles.

Ramy Essam, 23 ans, artiste aussi, s'éloigne donc sous bonne escorte. Aly et ses amis se rassurent les uns les autres, se jettent sur leur téléphone ou internet. Aly compte demander l'aide des soldats pour
sortir Ramy de là. Il revient sur la place. Mais il se rend vite compte qu'il risque pour de bon de se faire arrêter. 

« Et ce fut le début »

Il repart, aperçoit des gens de ses connaissances qui s'enfuient et tombe sur un autre ami, Ismail, qu'on emmène lui aussi. Même scénario. Aly téléphone à Tari, la soeur d'Ismaïl, pour la rassurer. Et puis c'est Youssef qui se trouve arrêté et Aly, une nouvelle fois, prend son téléphone. Quand un jeune soldat, soudain, l'interpelle.

Aly: « - Qu'est-ce qui se passe, man?
 - Viens avec moi
- OK, mais qu'est ce qui se passe?
- Où es ton téléphone? »

Aly l'a dans la main, il le montre. Le soldat le prend, le met dans sa poche et pousse Aly vers le musée. Aly ne résiste pas, tient à sa dignité, ne veut pas être battu en public comme d'autres. Les deux hommes arrivent au musée. « Et ce fut le début ».

Tu troubles le pays, sale fils de pute! »

Le soldat le tire derrière le cordon tendu devant le musée. Il le menace de sa crosse: « Relax,
mon cousin »,
lâche Aly. C'est comme ça qu'il appelle les soldats, Aly: « mon
cousin »...

- Le cousin: « Tu troubles le pays, sale fils de pute! »
- Aly: « Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer, nous allons en
sortir. »


Un autre soldat frappe alors Aly derrière la nuque. Puis un officier des forces spéciales s'avance, à la Bruce Lee. Les jeunes soldats tiennent Aly par les bras et le poussent vers le type. Celui-ci lui lance un coup de pied dans la poitrine avec ses bottes de l'armée: « L'armée qui est avec le peuple, le peuple qui a l'habitude de dire « le peuple et l'armée ne font qu'un »...

Les amis d'Aly se sont aussitôt mobilisés
Les amis d'Aly se sont aussitôt mobilisés

Attaché par les cheveux, frappé...

« J'ai pris le coup à l'endroit où j'ai eu mon opération du poumon il y a deux ans, les cicatrices sont toujours là », poursuit Aly dans son témoignage. Il tombe, on le traîne par les cheveux qu'il a encore longs, l'officier lui saute sur le corps. Puis on l'attache par les cheveux à une barre. Il est frappé aux genoux et aux tibias, il chute, Aly maudit ses cheveux qui le retiennent à la barre. Le coups continuent, puis vient l'électricité...

Aly pense mourir quand ses tortionnaires lui attachent les mains derrière le dos, lui bandent les yeux, l'allongent dans une voiture en lui promettant le pire. En fait le décor change. Aly se retrouve à la « Scène 28 » où des gens menottés sont filmés un à un devant des couteaux, des machettes, des cocktails Molotov... Ils sont fouillés, aussi, et délestés de tout ce qu'ils ont, ne gardant que leur carte d'identité. 

En caleçon

Une fois filmés, Aly et ses camarades d'infortune sont remis dans les bus et passent la nuit avec leurs geôliers. Le lendemain, vers 7h, Aly et son groupe sont mis dans un camion sans savoir ce qui les attend. Ils se retrouvent sur la route Le Caire -Suez et arrivent à la prison principale des Forces Armées, à Hikestep, sur laquelle trône une gigantesque image de Hosni Moubarak.

À l'intérieur de la prison, ils descendent de camion et se retrouvent en caleçon, songeant bien sûr à la torture dont cette prison est un haut lieu. Les soldats se moquent de l'acteur Aly, lâchent quelques coups. Aly craint d'être violé. Ils lui coupent seulement les cheveux. Le groupe de prisonniers est envoyé chez des médecins. Dans leur clinique, ceux-ci notent leurs blessures.

Le procureur se met à rire

Les prisonniers sont ensuite emmenés dans un grand espace appelé « Prison 3 - Visiteurs » et enfermés dans des cellules. De temps en temps, un autre groupe arrive. La plupart des prisonniers
s'endorment, épuisés. Vient un moment où ils se retrouvent réunis en grand nombre. Beaucoup se connaissent. On les conduits alors dans le bâtiment du commandement.

Aly est interrogé par le procureur. L'homme, veste ouverte, est décontracté mais aligne les charges. Aly lui raconte la vérité et signe. « Que va-t-il m'arriver? » ajoute-t-il. Le procureur se met à rire: « Rien! Tu vas comparaître devant le tribunal et obtenir de 5 à 7 ans. » Et de rire de nouveau. Aly sort de là et va s'asseoir, effondré. « Pour le première fois, j'ai pleuré. »

« La Comédie Noire »

Ce fut ensuite, dit-il, « la Comédie Noire ». Les prisonniers se retrouvent au mess des officiers. Les maîtres des lieux sont guillerets. De temps en temps, le juge demande à un soldat de faire taire les cuisiniers. Aly Subhi, finalement, est sorti libre. Les pressions, au-dehors, ont fini par payer. Depuis,
l'artiste ne « s'est jamais senti aussi fort », dit-il pour poursuivre la lutte du peuple égyptien.

Il a retrouvé son ami Ramy, libéré au bout de quelques heures seulement mais après avoir été, lui aussi, torturé. « Des soldats m'ont remis à des officiers qui m'ont attaché les mains et les jambes et ont commencé à me donner des coups de pied sur tout le corps et le visage, puis sur le dos et les jambes avec des bâtons, des barres de métal, des fils et des tuyaux », a-t-il écrit par la suite sur sa page Facebook.

« En toute impunité »

Tous n'ont pas eu cette chance de retrouver la liberté. Le 26 février, Amr al-Beheiry, 33 ans, employé dans une entreprise agroalimentaire, participait à un sit-in au Caire devant l'Assemblée du Peuple. L'armée a dispersé violemment le rassemblement et il a été arrêté. Trois jours plus tard, il a été condamné à cinq ans de prison, officiellement pour avoir agressé un agent et avoir enfreint le couvre feu.

Ses proches se sont aussitôt mobilisés. Son frère Mohamed réclame un jugement équitable, avec un juge ordinaire, pas un tribunal militaire. « Son procès a duré trois minutes, sans avocat et sans témoins », dit-il. Amr a subi aussi de mauvais traitements.

« Le Conseil militaire suprême a fait fi des rapports crédibles d'arrestations arbitraires et de torture, a déclaré le 11 mars Joe Stork, directeur adjoint de l'ONG Human Rights Watch pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord; les forces de sécurité - y compris le personnel militaire – maltraitent les gens en toute impunité. »

(Traduit de l'anglais par la rédaction)




Nouveau commentaire :


L'enquête des lecteurs


"Les gens qui ne sont rien"
Dans ce voyage, un reporter fait partager le meilleur de ses rencontres. Femmes et hommes  de  toutes contrées, des cités de l’Ouest de la France aux villes et villages d’Afghanistan, d’Algérie, du Sahel, du Rwanda, de l’Inde ou du Brésil, qui déploient un courage et une ingéniosité infinis pour faire face à la misère, aux guerres et aux injustices d’un monde impitoyable. 280 pages. 15 €.

Et neuf autres ouvrages disponibles