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28/09/2011

La lutte mondiale de Jean, paysan breton


Dans la grande bataille mondiale de l'agriculture, les quelque 200 millions de paysans du mouvement Via Campesina tentent de résister aux grandes firmes agro-alimentaires et de défendre une agriculture respectueuse des populations, des territoires et de l'environnement. Depuis toujours, Jean Cabaret est de ce combat.


La lutte mondiale de Jean, paysan breton
Vous voulez prendre le pouls de la Planète Terre et aider, un peu, à la sauver ? Allez donc à Rostrenen, au creux de la Bretagne, puis dirigez-vous vers le village de Kergaourantin. Ce nid de verdure paré d'un orgueilleux noisetier est plus que bucolique. C'est un foyer de résistance. Ici, depuis trente ans, Jean  et Odile Cabaret se battent pied à pied contre le hold up de l'agrobusiness sur la nature et l'agriculture. Avec les militants du coin et du monde. 

À vrai dire, Jean Cabaret, fils de paysans d'Hillion, à 1 h de là, sur la côte, n'a guère l'esprit bocager. Il est arrivé ici après avoir promené sa grande carcasse en Afrique, en Irlande, aux États-Unis et au Canada, sac au dos et sans avoir patienter jusqu'au Bac. Mais n'est-ce pas les voyages de jeunesse qui forment et éveillent la conscience ? « Complètement, j'ai rencontré plein de monde et vu certaines dérives », commence-t-il à expliquer dans la maison familiale, en préparant le café.

« On ne voyait pas alors d'agressivité sur les terres »

Son horizon, donc, dépassait les arbres quand il s'est installé avec Odile à Kergaourantin, sur une ferme de 24 ha qu'ils ont pu louer sans trop de mal : « Les voisins avait prévu de se partager la ferme mais ça s'est bien passé, on ne voyait pas alors d'agressivité sur les terres. » 

Depuis, en trente ans, avec leurs trois enfants, ils ont mené leur barque en restant cohérent. Au bout de dix longues années, ils ont pu passer au lait bio. Ils ont agrandi leur ferme « comme tout le monde »  mais plutôt moins que tout le monde : « On a 60 ha, beaucoup sont à 100 par ici. » Ils n'ont pas couvert leurs terres de maïs : « C'est herbe et un peu de céréales point barre. » Ils ont leur poulet label rouge Fermiers d'Argoat, leur bois, leur cidre, le cochon transformé en charcuterie... Paysans ils sont. 

La lutte mondiale de Jean, paysan breton

Trente ans de « bagarre sans fin

Et inoxydables militants. « On a colmaté quelques brêches, » dit-il modestement. Entre Rostrenen et Bonen, sur la quinzaine d'exploitations de jadis, il en reste quatre ou cinq. C'est déjà, ça. Aux alentours, c'est pire. Mais c'est trente ans de « bagarre sans fin », un « travail au quotidien », « au corps », contre les paysans eux-mêmes, ceux qui vendent et disent « après moi le déluge ! »

La colère reste en permanence tapie sous la barbe apparemment sage de Jean Cabaret. Contre cette désertion paysanne et bien plus : la désertion des politiques.  En rase campagne, cette fois c'est le cas de le dire. Leur abandon des territoires. Leurs plans, de Bruxelles à Paris, ont d'abord détruit la culture des paysans. « En 1984, avec les quotas laitiers, on a marchandisé le droit à produire ; à partir de 1992, avec les primes à l'hectare, on a raisonné rotation des primes... »  Et maintenant, « les élus ne votent plus, et même ne siègent plus, dans les commissions de répartition des quotas laitiers  »... Comment enrayer de tels mécanismes ? 

N'entrons pas plus avant, ici, dans le maquis des politiques agricoles ! Soulignons plutôt qu'il a fallu une sacrée trempe à Jean Cabaret et à ses amis de la Confédération paysanne du secteur pour installer des jeunes, dominer la FDSEA et convertir plus de 60% du territoire en MAE (mesures agro-environnementales) ou en bio (plus de 200 ha d'un seul tenant...)

Des paysans haïtiens contre les semences OGM

Et ça, tout en accueillant « des gens d'un peu partout  » à Kergaourantin et en courant le monde comme secrétaire national de la « Conf' » chargé de l'international ! En 1993, à 33 ans, Jean Cabaret est à Mons pour la naissance du mouvement Via Campesina sur une idée jaillie l'année d'avant au Nicaragua. En 1996, il est à Rome au Forum des Nations Unies sur la « sécurité » alimentaire. En face, les 1 500 militants du contre-forum désignent une paysanne mexicaine pour aller lancer la notion de « souveraineté » alimentaire qu'ils ont adoptée : « Ça a été un moment très fort ! »  Il a été suivi en 1999 à Seattle de la victoire historique à l'Organisation mondiale du commerce.

Qu'est-ce qui poussait ainsi Jean Cabaret à lâcher régulièrement sa ferme, ses enfants, ses collègues, alors même qu'Odile était engagée à la mairie ? « Je voulais continuer à travailler sur le coin, ça a été au prix de gros efforts... Mais avec tous ces débats, on construit peu à peu, c'est ça qui est intéressant. » « On ne parle plus de l'alimentation comme avant »; en guise d'exemple aussi, « quand les États-Unis ont envoyé leurs semences OGM à Haïti, les paysans du mouvement Papaye étaient prêts, ils ont mené une bagarre terrible et foutu les semences à la porte. »

La lutte mondiale de Jean, paysan breton

Une « ferme » de 50 000 vaches

Les OGM, c'est bien sûr le grand combat commun des paysans du monde réunis dans Via Campesina tant ils concentrent tous les méfaits en chaîne de l'agriculture intensive, tant les États-Unis multiplient les offensives sous couvert souvent d'aide humanitaire... Tout se tient en réalité : « la Bretagne n'a pas l'apanage de la pollution, des concentrations, des suicides de paysans...», souligne le porte-parole breton de la Confédération paysanne.

Une chose est très sûre : dans ce combat, « il faut être blindé   ». Les forces adverses sont puissantes, les problèmes complexes, « les pressions inimaginables ». Jean Cabaret reste encore sous le choc d'un voyage aux États-Unis il y a quelques années. « J'ai vu dans l'Orégon une ferme de 50 000 vaches, l'horreur ! Un immense lieu de traite avec quatre roto-tandems de 80 places tournant 24 h sur 24, des "terrils" de bouses entassées au bull...  »

« La vérité du ministre n'est pas meilleure que la mienne »

Des vieilles fermes incendiées comme au far west dans le Michigan,  le purin qui remonte quand on puise l'eau, des fonctionnaires et militants menacés de mort... « Super-impressionnant !  » On n'en est pas là en France mais les enjeux sont tels qu'il n'y a pas non plus de cadeau.

Jean Cabaret est armé pour ça : « Quand je vois Bruno Le Maire, je me fous qu'il soit ministre : je n'ai pas toutes les clés qu'il a mais sa vérité n'est pas meilleure que la mienne, pareil pour Le Drian, j'ai perdu mes complexes. » Intarissable, Jean Cabaret perd aussi parfois l'idée de l'heure. Le temps a filé, une réunion les attend tous les deux à 13 h 30 : sûr que ce midi encore, le repas sera court. 

Michel Rouger.

Un film à voir ou revoir : Green

La lutte de Via Campesina en vidéo 

Quelque 200 millions de paysannes et paysans luttant dans soixante-dix pays, sur tous les continents : le mouvement Via Campesina est réellement devenu la voix des laissés pour compte du système agro-alimentaire mondial. Il vient de réaliser cette vidéo de 20 mn pour présenter son combat en faveur d'une agricuture paysanne permettant d'assurer la dignité des populations et la souveraineté alimentaire des pays du sud.

L'effet boeuf : un documentaire accablant

« L'effet boeuf », documentaire canadien, dresse un tableau accablant de l'industrie agro-alimentaire mondiale. Trois grandes multinationales états-uniennes règnent sur l'industrie nord-américaine. Les animaux sont engraissés à coups de vaccins, antibiotiques, hormones de croissance. Aucun scrupule sur les dégâts sociaux et environnementaux.  Des éleveurs en lutte cherchent une alternative...






1.Posté par René Tomolillo le 18/10/2011 11:48
On a juste besoin de millions de Jean Cabaret , de vrais individus non inféodés aux dictats de la finance internationale, on en a besoin. Mais on sait que ce combat est épuisant, les gens comme cet homme ont une lourde charge qui consiste à faire barrage seuls à des institutions énormes, à des firmes internationales puissantes et sans états d'âme, bravo pour ce courage !
Beaucoup de simples consommateurs pensent comme Jean Cabaret , nous ne sommes pas en ligne de front, mais on vous embrasse d'un signe de la main avec des cals à l'intérieur.
Merci Monsieur .

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