Rebelles non-violents

Pourquoi brûle-t-on les bibliothèques ?

Jeudi 19 Juin 2014


Pourquoi brûle-t-on les bibliothèques ?
C'est le titre d'un ouvrage écrit par Denis Merklen. qui, un jour presque par hasard, découvre cette statistique étonnante :  entre 1996 et 2013, 70 bibliothèques ont été incendiés dans les quartiers populaires. Mais pourquoi les brûlent-ils ? 

« J’ai essayé de prendre les pierres et les cocktails Molotov lancés contre les bibliothèques comme étant des messages. Il n’y a pas que les livres pour abriter des productions de sens. […] Incendies et caillassages parlent autant de ceux qui lancent pierres et cocktails Molotov que des bibliothèques auxquelles ils s’adressent. » explique ce sociologue de formation qui dans le cadre de L'Atelier de recherche sur les classes populaires a passé 5 ans à écouter ceux et celles qui sont sur le terrain.

Restez dans votre coin !

Les bibliothèques sont comme des symboles de la puissance publique, espaces ambigus, à la fois dans le quartier et comme une porte qui ouvre sur l'extérieur. C'est un peu comme l'école, à la fois dedans/dehors avec son personnel venant d'ailleurs comme pour apporter la bonne parole de la culture.

Voilà comment l'exprime un des interviewés : « Ils mettent des bibliothèques pour nous endormir, pour qu’on reste dans son coin, tranquilles, à lire. Ce que les jeunes veulent, c’est du travail. La réponse c’est : « Cultivez-vous et restez dans vos coins. » On t’impose un truc ! »

A qui la faute ?

Denis Merklen en appelle à Victor Hugo et son fameux poème " A qui la faute ? ". Hugo interroge le communard qui vient de mettre le feu à une bibliothèque. « J’ai mis le feu là », déclare l’incendiaire avant d’avouer, face aux questions pressentes du poète « Je ne sais pas lire ».

Denis Merklen le souligne : les incendiaires ne sont pas illettrés, l’écrit est bien au coeur des révoltes, « à la fois comme mode de communication (SMS, réseaux sociaux) et comme enjeu politique et social. ». Il découvre même que des messages enveloppaient certaines des pierres balancées.

Se rapprocher de la culture populaire

Observateur engagé des luttes sociales en Amérique latine, l’auteur compare : « À la différence de l’Amérique latine, les « bibliothèques populaires » animées par des militants syndicaux, politiques ou religieux ont pratiquement cessé d’exister en France, notamment au fur et à mesure que la gauche gagna les municipalités des villes ouvrières, comme dans le cas de la « ceinture rouge » qui entoure Paris à partir des années 1930 et 1940. Les bibliothèques populaires ont ainsi cédé leur place à des bibliothèques publiques placées dans l’orbite municipale, et les militants sont devenus des fonctionnaires salariés. » 

« Elles n’ont d’autre choix, écrit-il, que de se rapprocher des classes populaires pour agir avec elles » non plus en « donnant accès » ou en « important » une culture extérieure mais en travaillant les pratiques culturelles du quartier et en dépassant l’action désocialisante qui sépare l’individu du groupe par une mise en avant, par exemple, des pratiques collectives de la lecture ou en transformant une politique de consommation culturelle en politique de production.

Une invitation à redonner aux bibliothèques leur place dans l'éducation populaire.

Le poème de Victor Hugo

A qui la faute ?

Tu viens d'incendier la Bibliothèque ?

- Oui. J'ai mis le feu là.

- Mais c'est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire,
Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des jobs, debout sur l'horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? Le livre est là sur la hauteur;
Il luit;  parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d'esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître
À mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l'homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C'est à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l'erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c'est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !

- Je ne sais pas lire.

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Pourquoi ce blog
Marie-Anne Divet
Marie-Anne Divet
Ce qui m'a intéressée dans les idées de Gandhi, c'est le choix. Ou de réagir à la violence par la violence ou de répondre, en me creusant la tête, d'une autre manière, qui respecte l'être humain, comme un autre moi-même. J'aime cette obligation de faire autrement, d'une façon active et créative, une manière d'être à l'autre et non d'avoir l'autre.
Pédagogue de profession, j'aime cette idée que nous puissions collaborer, lecteurs/lectrices, expert/e/s, pour partager nos questions, mettre en commun nos réflexions et mutualiser nos ressources pour agir au quotidien là où nous vivons.

Marie-Anne Divet