Rebelles non-violents

Nous autres meurtriers

Jeudi 29 Mars 2012

Jean-Marie Muller nous a fait parvenir ses commentaires suite aux évènements de Montauban et Toulouse. Dans cet extrait, à la lecture d' Albert Camus et de Khalil Gibran, il nous convie à réfléchir sur notre responsabilité.



Nous autres meurtriers
Il est précieux aujourd’hui de relire et de méditer Albert Camus. Notre monde, affirme-t-il, est  « le monde du meurtre » . Dans « Nous autres meurtriers », Camus écrit que le seul combat qui vaille est de lutter contre le meurtre. « Il n’y a qu’un seul problème aujourd’hui qui est celui du meurtre. Toutes nos disputes sont vaines. Une seule chose importe qui est la paix. Les maîtres du monde sont aujourd’hui incapables de l’assurer parce que leurs principes sont faux et meurtriers. Que du moins, et dans tous les pays, ceux qui refusent le meurtre se réveillent, dénoncent ces faux principes. » Il insiste : « Ceux qui ne veulent pas tuer doivent parler et ne dire qu’une seule chose, mais le dire sans répit, comme un témoin, comme mille témoins qui n’auront de cesse que lorsque le meurtre, à la face du monde, sera répudié définitivement. » 
Dans un autre texte, « Sommes-nous des pessimistes ? », Albert Camus écrit :  « Les gens croient qu’ils ont assez fait pour le bien de l’homme en ne tuant personne directement et en s’efforçant de ne mentir que le moins possible. (…) Ceux qui vivent dans un pareil monde sans le condamner de toutes leurs forces (c’est-à-dire presque tous) sont à leur manière, aussi meurtriers que les autres ». Quant aux réalistes, ils « n’entreprennent aucune tâche qui soit vraiment importante ou vraiment humaine, c’est ainsi que même sans le vouloir, ils consacrent le monde du meurtre ».   

Il nous faut également relire et méditer le merveilleux poète libanais Khalil Gibran. Lorsqu’un des juges de la cité d’Orphalese demande au prophète Alamustafa de parler de « Crime et de Châtiment », il répondit, disant :
« Souvent je vous ai entendu parler de celui qui commet une mauvaise action comme s’il n’était pas l’un des vôtres, mais un étranger parmi vous et un intrus dans votre monde. 
Mais je vous le dis, de même que le saint et le juste ne peuvent s’élever au-dessus de ce qu’il y a de plus élevé en chacun de vous,
Ainsi le mauvais et le faible ne peuvent tomber au-dessous de ce qu’il y a également de plus bas en  vous.
Et de même qu’une seule feuille ne jaunit qu’avec le silencieux assentiment de l’arbre entier,
Ainsi le malfaiteur ne peut agir mal sans le secret acquiescement de vous tous. (…)
Le juste n’est pas innocent des actions du méchant,
Et celui qui a les mains blanches n’est pas indemne des actes du félon.. »
 

Oui, les meurtres de Mohamed Merah sont des crimes contre notre commune humanité…
Qui pourrait penser les justifier ?
Non, Mohamed Merah n’est pas un « monstre » qu’il faut  retrancher de notre humanité…
Oui, les meurtres des enfants palestiniens et afghans sont aussi des meurtres in-justifiables…
Oui, la mort de Mohamed Merah est aussi un drame…
Oui, nous sommes tous responsables...
Et nous sommes tous coupables...
Nous sommes tous meurtriers...
Et Mohamed Merah, en dépit de toutes ses errances, est lui-même une victime de ce monde meurtrier...
Quand tout est dit, et quoi qu’on en dise encore, il est permis de penser que nous avons envers lui un devoir d’humanité qui nous conduit à exprimer à son égard un geste de compassion…
Chacun de nous est sommé d’assumer sa part de responsabilité pour inscrire dans l’histoire les principes philosophiques et les actions politiques, les uns et les autres respectueux de la dignité humaine, qui permettront de faire face aux injustices et aux violences qui meurtrissent les hommes dans notre société et partout dans le monde…
Pour maintenir  l’espérance vivante dans le cœur de nos enfants…

Jean-Marie Muller




Pour en savoir plus
 
J.M.Muller est philosophe et écrivain, membre du Mouvement pour une Alternative Non-violente  
Lire sur ce blog, « L'ardente obligation de se rebeller contre la violence »
 



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Pourquoi ce blog
Marie-Anne Divet
Marie-Anne Divet
Ce qui m'a intéressée dans les idées de Gandhi, c'est le choix. Ou de réagir à la violence par la violence ou de répondre, en me creusant la tête, d'une autre manière, qui respecte l'être humain, comme un autre moi-même. J'aime cette obligation de faire autrement, d'une façon active et créative, une manière d'être à l'autre et non d'avoir l'autre.
Pédagogue de profession, j'aime cette idée que nous puissions collaborer, lecteurs/lectrices, expert/e/s, pour partager nos questions, mettre en commun nos réflexions et mutualiser nos ressources pour agir au quotidien là où nous vivons.

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