Rebelles non-violents

« L’ardente obligation de se rebeller contre la violence », par Jean-Marie Muller

Jeudi 16 Février 2012

Jean-Marie Muller a remis la contribution suivante à Rebelles non-violent/e/s :



« L’ardente obligation de se rebeller contre la violence »,  par Jean-Marie Muller
Le mot « re-belle » (du latin rebellis de re et bellum, guerre) signifie « celui qui recommence la guerre ». Si l’on s’en tient à son étymologie, le rebelle est donc un « belliqueux ». Nous retiendrons ici l’hypothèse du rebelle qui fait la guerre pour une cause juste. Dès lors, la vertu du rebelle, son courage est de préférer faire la guerre pour la justice, plutôt que de se résigner à l’injustice. Il refuse notamment de se soumettre à l’autorité qui voudrait lui imposer sa loi. Il fait la guerre pour revendiquer sa liberté et, donc, sa dignité.


Ce lien étymologique entre la rébellion et la guerre ne doit pas nous étonner. Note langue est l’expression de la culture de notre société. Or, cette culture est structurée par l’idéologie de la violence nécessaire, légitime et honorable. C’est pourquoi les mots de la langue que nous avons apprise sont ombrés de violence. Le mot « rebelle » exprime précisément que la guerre, donc la violence, est le moyen normal, ordinaire, de refuser de se soumettre et de lutter pour obtenir la reconnaissance de ses droits.

Au demeurant, celui qui se « rebelle » en faisant « la guerre » pour lutter contre l’oppression mérite notre respect. Cependant, l'héroïsme dont le guerrier peut faire preuve ne saurait faire oublier le caractère meurtrier de la guerre. Le guerrier n'est pas toujours un criminel, mais la guerre est toujours un crime. Au lieu de légitimer la guerre par le courage du guerrier, il faut la délégitimer par le crime de la violence.

Ahimsâ

Gandhi affirmait que si le choix n’était qu’entre la lâcheté et la violence, il conseillerait plutôt la violence. Il préférait que les Indiens résistent par la violence au colonialisme britannique plutôt qu’ils se soumettent lâchement à ce régime qui les opprimait. Mais il ajoutait aussitôt que la non-violence était supérieure à la violence. Ainsi l’homme n’est pas prisonnier du choix entre la violence et la lâcheté, il a le choix entre la lâcheté, la violence et la non-violence.

Ainsi, selon l’idéologie dominante, il faut résister à la violence par la violence pour ne pas céder à la violence. En réalité, répondre à la violence par la violence, c’est céder à la violence en s’enfermant dans sa logique meurtrière. La contre-violence ne permet pas de combattre le système de la violence parce qu'elle en fait elle-même partie et ne fait que l'entretenir. En toute rigueur, la contre-violence est une violence contraire, mais elle n'est pas le contraire de la violence. Elle n'est pas la même violence, mais elle est elle-même une violence. Elle est une violence autre, mais elle est une autre violence.

Rebelle et violent ?

En définitive, je ne peux pas me rebeller contre la violence en imitant la violence de mon adversaire. Dès lors, à la question posée : « Peut-on être rebelle et non-violent ? », je réponds par une autre question : « Peut-on être rebelle et violent ?». Et je tiens qu’il n’est pas possible d’être rebelle et violent parce qu’il importe d’abord de se rebeller contre la violence, contre toute violence. Dès lors, « Pour être rebelle, on ne peut être que non-violent. » La non-violence est la seule rébellion possible contre l’injustice, parce que la violence porte en elle une part irréductible d’injustice.

Aussi bien nos « histoires ordinaires » que les histoires du monde nous l’apprennent chaque jour : la violence ne fait que prolonger le cycle des ressentiments, des revanches et des vengeances. Seule la non-violence peut rompre ce cycle et faire advenir la justice et la paix. Mais il nous faut en convenir : chacun d‘entre nous est davantage tenté par la résignation et la complicité avec l’injustice que par la rébellion, qu’elle soit violente ou non-violente. Ordinairement, chacun d’entre nous est davantage tenté par la collaboration que par la rébellion. Celle-ci est une rupture et toute rupture est difficile. La facilité est de s’habituer.

Se rebeller contre la préméditation du crime nucléaire

Je ne prendrai qu’un exemple qui nous concerne directement en  tant que citoyens français : la question de la dissuasion nucléaire. L’emploi de l’arme nucléaire, affirme la résolution de l’ONU du 24 novembre 1961, est « un crime contre l’Humanité et la civilisation » qui viole tous les principes du droit humanitaire international. Dès lors que l’emploi serait un crime contre l’Humanité, la menace de l’emploi, et donc la dissuasion, est d’ores et déjà criminelle. Et la simple possession de l’arme nucléaire, dont la seule justification est la menace de l’emploi, est elle-même illégitime. C’est s’égarer de vouloir raisonner en considérant l’arme nucléaire comme une arme légitime de défense, alors qu’elle est une arme criminelle de terreur, de destruction et d’anéantissement.


La menace de l’arme nucléaire, qui implique par elle-même le consentement au meurtre de millions d’innocents, est le reniement de toutes les valeurs d’humanité qui fondent notre civilisation. Par la préméditation du meurtre nucléaire, nous avons déjà nié les valeurs que nous prétendons défendre. Comment pourrions-nous, sans nier la dignité  de l’humanité de l’homme, consentir au meurtre nucléaire ? L’existence même de l’arme nucléaire consacre l’échec de toutes les morales, de toutes les philosophies, de toutes les spiritualités, de toutes les sagesses, de toutes les religions. La dissuasion nucléaire est la défaite de la raison, la défaite de la pensée, la défaite de l’intelligence. Le choix que chacun doit faire face à la dissuasion nucléaire n’est pas un choix stratégique, mais un choix éthique. Un choix existentiel. De même qu’en acceptant de cautionner l’arme nucléaire, l’homme choisit de vivre armé, de même en objectant en conscience à l’arme nucléaire il se désarme personnellement.


Notre attitude du citoyen face à l’arme nucléaire engage entièrement notre responsabilité éthique vis-à-vis de l’autre homme. En consentant à la dissuasion nucléaire, nous sommes responsables des menaces qu’elle implique pour toute l’humanité aujourd’hui et demain. Nous sommes personnellement et collectivement responsables.  Pour vouloir désarmer, nous ne pouvons certainement pas attendre que les autres veuillent également désarmer, que tous les autres veuillent désarmer afin que nous puissions désarmer ensemble. Tout particulièrement pour ce qui concerne le désarmement nucléaire, le principe de « multilatéralité » est un principe fallacieux. Seul le principe de l’« unilatéralité » peut nous permettre d’avoir prise sur la réalité. Nous avons l’obligation morale impérative de vouloir renoncer à l’arme nucléaire sans attendre la réciproque. L’essence même de l’obligation morale, c’est d’être unilatérale. La réciproque, ce n’est pas notre affaire. La réciproque, c’est l’affaire des autres. Notre affaire, c’est de prendre aujourd’hui la décision qui engage notre responsabilité. Notre dignité nous y oblige.  
 

L'appel de Bernanos

Dans les dernières années de sa vie, Georges Bernanos n’a cessé de protester contre la bombe atomique avec toute la vigueur dont il savait être capable : « À un monde de violence et d’injustice, au monde de la bombe atomique, on ne saurait déjà plus rien n’opposer que la révolte des consciences, du plus grand nombre de consciences possible. » Mais force est de reconnaître que l’appel de Bernanos à la révolte des consciences n’a pas été entendu.

Les hommes – du moins le plus grand nombre d’entre eux - ne se sont pas rebellés, ils se sont habitués, résignés, accommodés, adaptés, soumis. Ils ont démissionné. Ils ont accepté l’inacceptable. Le petit nombre des hommes qui ont voulu résister ont dû subir, impuissants, la loi du grand nombre. Aujourd’hui, la prolifération des armes nucléaires fait peser sur l’humanité le risque de sa destruction. Cette course aux armements nucléaires est la résultante de multiples démissions : morales, intellectuelles, spirituelles et politiques. Pourtant, aucun d’entre nous ne peut croire que l’histoire des hommes soit soumise à la fatalité

Jean-Marie MULLER

Il est possible de signe une pétition en ligne en faveur du désarmement nucléaire unilatéral de la France sur le site : France sans armes nucléaires

A lire sur le site Sortir du nucléaire un article sur le rapport de la Cour des Comptes concernant l'envolée des coûts du nucléaire, publié le 31 janvier dernier : " La fin du mythe et l'heure des choix "

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Marie-Anne Divet
Marie-Anne Divet
Ce qui m'a intéressée dans les idées de Gandhi, c'est le choix. Ou de réagir à la violence par la violence ou de répondre, en me creusant la tête, d'une autre manière, qui respecte l'être humain, comme un autre moi-même. J'aime cette obligation de faire autrement, d'une façon active et créative, une manière d'être à l'autre et non d'avoir l'autre.
Pédagogue de profession, j'aime cette idée que nous puissions collaborer, lecteurs/lectrices, expert/e/s, pour partager nos questions, mettre en commun nos réflexions et mutualiser nos ressources pour agir au quotidien là où nous vivons.

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