Balade avec Luc Thiébaut, d'une rive à l'autre de la Méditerranée


29 Novembre 2018



2018 11 29 Balade avec Luc Thiébault d'une rive à l'autre de la Méditerrannée.mp3  (9.23 Mo)

Il a débarqué à Villejean il y a deux et demi et d'emblée s'est senti chez lui. La Méditerranée l'habite comme elle habite Villejean. Luc Thiébaut, passionné de l'Autre, surtout quand il est différent, ne cesse donc depuis son arrivée de créer des liens par toutes sortes de chemins. 

Cet après-midi, il a donné rendez-vous au métro, station Université. Nous sommes une douzaine, d'âges et d'origines diverses. Luc Thiébaut veut nous faire découvrir la diversité des langues écrites à Villejean. La balade, qui va nous faire cheminer près de deux heures entre la station Université et la Dalle Kennedy, commence par les sculptures de Jean-Paul Philippe. Aleph, Alpha...une vingtaine d'alphabets sont sculptés là, au sol. Un cadeau pour Luc Thiébaut ! Dommage que le sculpteur n'ait pas pu venir.

L'œuvre est un symbole fort du langage pluriel de Villejean. Mais pour Luc Thiébaut tout fait lien.  En remontant le cours Kennedy, il désigne le prénom John Fitzgerald : « Fitz, c'est fils de, comme Ben en arabe ou en hébreu. » Puis il entre à Kennedy-Photocopie, chez Sabour venu d'Afghanistan. Une discussion animée s'engage sur les mots passés du dari (persan)au français et inversement, souvent par l'arabe : tambour, nénuphar...

Nous voyageons ensuite sénégalais devant Nianing Beauty, breton devant la crêperie « Les petits menhirs », puis tamazyght, ou berbère ou chleuh, arabe et français... :  l'Association Mosaïque où nous accueille Lahcen Bouhssini est un vrai carrefour linguistique. Bien des commerces, et aussi la mairie de quartier, la bibliothèque, le centre social... : que de mots échangés jusqu'au final dans le multiservices informatiques d'Ali, l'ami syrien, où Khouloud propose aussi le meilleur de la cuisine damascène. 

Happé à 16 ans : « Je voulais sauver le monde ! »

« J'espère faire comprendre la richesse de discuter avec l'autre, surtout quelqu'un de différent de soi, confie-t-il plus tard, en se référant à Germaine Tillion, la grande résistante et ethnologue habitée comme lui par la Méditerranée et singulièrement l'Algérie.

Celle-ci l'a happé, lui, à 16 ans et ne l'a plus lâché. « Je venais d'avoir le bac et je voulais sauver le monde ! » sourit-il. Le jeune parisien, « bourgeois d'origine métropolitaine et catholique », propose ses services au Secours Catholique. On l'envoie moniteur dans un camp en Isère auprès d'enfants de harkis. L'année suivante il y retourne. Mieux  : il découvre l'Algérie elle-même, moniteur durant un mois dans une  colonie de jeunes Algériens. 

L'Algérie est devenue son autre pays. Etudiant, il va un dimanche sur deux dans les bidonvilles de Nanterre donner des cours de rattrapage à des travailleurs algériens. Il a décidé de devenir agronome dans l'idée d'aller travailler là-bas. Sans être un "pied rouge", un idéaliste politique, il se retrouve à 21 ans près de Bouira, en Kabylie, ouvrier agricole dans une ferme autogérée. 

Il parcourt le pays en mobylette, tombe sous le charme des Aurès, obtient de faire son service national en coopération là-bas, enchaîne sur un contrat dans un office agricole du pays. Il le casse au bout d'un an, vaincu par la bureaucratie. Il ne fera pas sa vie en Algérie mais l'Algérie fait pour toujours partie de sa vie. 

Une Maison de la Méditerranée

Celle-ci se fera chez les Bourguignons, à Dijon. L'ingénieur agro, spécialité « Agriculture-élevage », intègre l'AgroSup (ENSSAA à l'époque), professeur d'économie et des politiques de l'environnement, ce qui le conduira durant deux ans, de 1983 à 1985, aux côtés d'Huguette Bouchardeau, ministre de l'Environnement et figure des femmes politiques de gauche. Mais sa passion algérienne le transforme en grand connaisseur du Maghreb, ses sociétés, ses cultures.

En 1996, avec un copain marocain, il crée un outil pour favoriser les échanges entre ici et là-bas : la Maison de la Méditerranée. Il se nourrit l'esprit et partage ses découvertes, réalise des diaporamas très divers :  “ Mémoires françaises de Tirailleurs Marocains”, « Fruits et légumes de la Méditerranée », « Oiseaux d’Algérie dans la peinture”, “ Aux coins de nos rues, nos histoires se croisent” (le Maghreb sur les plaques de rues françaises). 

Il co-réalise surtout en 2012 avec Caroline Philibert un film de 55 mn « A chacun son Algérie », un document (à  découvrir ci-dessous) qui rassemble les témoignages souvent émouvants d'acteurs de la guerre d'Algérie, habitant en Bourgogne, qui se sont retrouvés dans des camps opposés. Sous-titre du film : "Ecouter des mémoires différentes, construire une histoire commune." Tout Luc Thiébaut est là.

Un  passionné des différences

Il y a deux ans et demi, quand il quitte Dijon au bout de quarante-trois ans et se retrouve à Rennes pour se rapprocher de ses enfants, c'est naturellement pour continuer à cheminer d'un côté à l'autre de la Méditerranée. Aussitôt, il part rencontrer l'association Mosaïque, le Centre culturel Avicenne, les Amis de l'Algérie, le groupe d'amitié chrétiens-musulmans, etc, et crée une antenne rennaise de la Maison de la Méditerranée. 

Villejean a adopté ce grand type qui fait tous les jours ses courses sur la Dalle, donne des cours de français, va d'une porte d'association à une autre, peut vous parler des heures aussi bien de la diversité religieuse en Algérie que des arbres du Maghreb, d'Alphonse Daudet en Algérie que des tirailleurs marocains. Retraité depuis huit ans, il peut y consacrer tout son temps (voir ci-dessous deux conférences organisées en décembre et janvier).

L'Algérie, il y est retournée une dizaine de fois depuis l'année 2000, après les années noires du terrorisme. Pourquoi un tel attachement ? Il y pense souvent, a mis en chantier un bouquin pour tirer l'affaire au clair. Peu importe au fond. Ce qui le passionne d'abord c'est bien la rencontre des différences jusque dans les langues. Luc Thiébaut parle espagnol, anglais et allemand,  « un peu arabe, un peu berbère » aussi. Du coup, le jeune bourgeois parisien de jadis a été pris un jour pour un juif marocain : « Ça m'a plu ! »

Michel Rouger

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