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Renée : « Etre fraternel, c’est aider les gens en silence, sans tapage »



Renée est née en 1947 à la Chapelle-Bouëxic, petite commune rurale , entre Rennes et Redon, qui compte alors 700 habitants. Ses parents, d'origine modeste, doivent partir travailler dans les Côtes du Nord (Côtes d'Armor aujourd'hui) pour payer les dettes. Travail de la terre, de la roche pour son père... Bonne à tout faire pour sa mère chez celui qu'ils appellent "Monsieur". Petite fille, Renée enregistre et se souvient de tout. C'est là que s'enracine sa rébellion face à l'injustice.


Liberté
 
 « On a la chance en France de pouvoir agir, penser, s’exprimer et se vêtir aussi… On l’a oublié mais, il y a quelques années, on n’était pas libre de s’habiller comme on voulait ! Pas de pantalon pour les filles (sauf avec une jupe au-dessus !) et port de la blouse obligatoire. C’est bien dans le septennat de François Mitterrand que l’on a pu réellement acquérir cette liberté dans la foulée de 1968, avec aussi l’apparition des radios libres, la suppression de la peine de mort… Les rapports entre les parents et les enfants ont changé. On a essayé de dialoguer un maximum avec les nôtres, sans téléviseur ! On s’exprimait pendant le repas du soir, dans le respect de chacun. Aujourd’hui, on se sent un peu dépassé. En tant que grands-parents cependant, nous avons la chance de beaucoup parler de tout avec nos petits enfants.... Trop de liberté ne tuerait-t-il par la liberté ?

La liberté commence par le respect mutuel au sein de la famille. Nos parents étaient stricts mais droits dans leurs bottes, ils sont toujours restés debout, respectueux et respectés. Tout le monde était "logé" à la même enseigne et on acceptait notre situation même si parfois, cela pouvait nous paraître injuste. Les contours sont plus flous aujourd’hui. Les familles se recomposent, ce qui peut parfois remettre en cause certains principes. On a gagné beaucoup de choses mais sait-on bien toujours les mettre en œuvre ? Les acquis ne sont pas toujours utilisés à bon escient. Certains ont pensé qu’au travers du mot liberté, on pouvait tout faire… Il n’en est rien heureusement.
 
Egalité
 
On essaie aujourd’hui de combler la différence entre les sexes mais on n’est pas parvenu à le faire entre les couches sociales. L’inégalité progresse. Les classes moyennes ont tendance à laisser la place à de très petites classes… des gens très défavorisés. Les classes moyennes n’existent plus alors qu’auparavant, elles vivaient modestement certes, mais elles vivaient bien. Aujourd’hui, combien doivent aller aux Restos du cœur ou au Secours catholique ? Le fossé ne cesse de se creuser. C’est une inégalité criante et les pauvres deviennent encore plus pauvres alors que l’on voit fleurir des salaires exorbitants.

Et le Panamá… C’est le pompon ! Les classes moyennes, toujours de plus en plus sollicitées, sont celles qui trinquent ! Je note aussi l’inégalité entre les villes et les campagnes, l’accès à la culture, le théâtre, la musique... Nos communautés de communes travaillent au maximum à ce rapprochement mais ce n’est pas encore complètement entré dans les mœurs. Les gens ont un frein pour accéder à la culture. J’ai l’impression que l’écran financier écrase le Président de la République ainsi que son gouvernement.

Fraternité
 
Il a fallu les événements malheureux et si cruels que nous avons vécu lors des attentats pour retrouver la signification du mot fraternité. Peut-être que les ruraux sont moins individualistes que les urbains ? En tout cas, ils le deviennent peu à peu. La jalousie s’installe partout et ce sont les intérêts financiers qui priment. La fraternité, c’est faire les choses en toute discrétion. Etre fraternel, c’est aider les gens mais en silence, sans tapage outre mesure. Ce sont des petits riens, une attention à l’autre. Il faut retrouver ce sens de l’humilité qu’il doit y avoir dans la fraternité. On devient de moins en moins humble. Les associations d’aide grandissent, sans publicité, juste pour ce qu’elles font : aider à reconstruire les "cabossés" de la vie. Bénévolat gratuit égal fraternité, égal diminution du chômage. Il y a beaucoup de fraternité dans le bénévolat et il faut inciter les jeunes à agir bénévolement. »

RENEE, APRES L'INDIGNATION... LA DETERMINATION

Le grand-père paternel de Renée est agriculteur. A La Chapelle-Bouëxic, on le dit "Branché politique", plutôt "à gauche" ! « À cette époque, raconte Renée, il y avait des clans entre le haut et le bas de la localité ! Les jours d’élection, les hommes avaient plutôt le verbe haut. Au fur et à mesure que la date approchait, et que la consommation d’alcool s’amplifiait, le ton montait. Il y avait aussi les chicaneries entre les enfants des écoles publiques et privées... » Renée fréquente l’école publique. Ses parents sont paysans et travaillent dans la petite ferme du grand-père maternel. À son décès, ils sont contraints de vendre : « Papa et Maman avaient du tempérament, poursuit Renée. Ils ont réussi à racheter quelques hectares de terre et surtout, leur maison. »
 
 « C’est là, face à tant d’injustice, que s’enracine ma rébellion. »

Mais le prix est trop élevé et le revenu de la petite exploitation ne suffit bientôt plus à rembourser la dette. En 1952, le notaire leur trouve un emploi dans un château d’un département voisin. « Ils étaient logés et rémunérés mais que de souffrances endurées sous le joug du maître des lieux… Tandis que Papa travaillait la terre, tirait de la roche dans la carrière pour empierrer les allées du château, Maman a tout fait dans les pires conditions : le ménage à genoux frottant les parquets à la paille de fer, la préparation des réceptions de Monsieur… »  

Au bout de huit ans, les parents ne supportent plus la situation : « Ils étaient exploités un peu plus chaque jour. Petite fille, j’ai tout enregistré. Je voyais mes parents souffrir. J’ai tout gardé en mémoire. Je crois que c’est là, face à tant d’injustice, que s’enracine ma rébellion. »

Avec perte et fracas, la famille prend congé du "Maître" et quitte le château. Le père de Renée trouve un emploi d’ouvrier agricole dans un village voisin tandis que sa mère cuisine et fait le ménage chez les uns et les autres. Le curé offre un logement à la famille dans le presbytère. C’est là que naît la petite sœur de Renée. Peu à peu, les parents parviennent à éponger leur dette.

Retour au village familial

Le 2 août 1960, la famille revient à La Chapelle-Bouëxic : « On retrouve avec un immense bonheur notre petite maison. Papa travaille comme ouvrier dans le bâtiment. Il ne se déplace qu’à vélo ! » Pour Renée, le dépaysement est violent. Jusqu’alors scolarisée en 6e à Dinan, elle doit poursuivre sa scolarité à l’école publique du village, dans l’impossibilité de se rendre au collège de Redon, éloigné d’une quarantaine de kilomètres. Certificat d’études en poche, elle intègre l’année suivante le cours complémentaire situé à Redon, nommé le "vieux CC": « Faute de place dans les dortoirs, quelque peu insalubres, on dormait chez habitant ! L’année suivante, quelle chance ! Nous intégrons le collège de Bellevue flambant neuf où je suis scolarisée jusqu’en 1966.  »
 
Chaque mois, de Paris,  un mandat part pour les parents

BEPC en poche, Renée part en novembre 1966 rejoindre sa meilleure amie qui lui a trouvé un emploi à Paris, dans le secteur socio médical, gestion et suivi de tableaux : « Je suis partie avec juste une petite valise ! Mon but était d’aider mes parents et de leur envoyer un peu de l’argent que je gagnais. J’étais pourtant payée au lance-pierres ! » En 1968, Renée est dans la rue, témoin des bagarres qui opposent étudiants, ouvriers et forces de l’ordre. Elle rencontre son mari cette même année, ouvrier en usine automobile.

Elle obtient un concours d’entrée à la sécurité sociale et commence à travailler dans le secteur administratif en 1969. « Je me dirige vers la branche médicale et travaille au contrôle médical en collaboration étroite avec un médecin conseil. C’était important pour moi d’avoir un contact avec les gens. Mon salaire mensuel était de 440 francs. Pourtant, chaque mois, j’envoyais un mandat à mes parents. »

De retour en Bretagne, dix ans avant de retrouver son poste

Le couple réside à Paris dans le 14e, l’arrondissement des Bretons, mais c’est à La Chapelle-Bouëxic qu’il se marie en 1969. Trois garçons naissent. Le marché de l’emploi se durcit et le mari de Renée doit enchaîner divers métiers : démarcheur en assurances-vie, magasinier dans une administration avant de devenir agent de maîtrise. En 1981, Renée n’a qu’un seul désir : retrouver sa Bretagne natale pour offrir aux enfants une meilleure qualité de vie. La famille s’installe à Maure-de-Bretagne. Renée prend une disponibilité.


Après plusieurs petits « boulots », elle parvient à retrouver un poste à la sécurité sociale : « Régulièrement, je renouvelais ma demande mais à chaque fois, j’essuyais un refus ! Au bout de dix ans, j’ai finalement obtenu un entretien avec le directeur et ai pu à nouveau intégrer un poste à Rennes mais, en tant que "temporaire" ! J’ai pu poursuivre ma carrière mais uniquement, du côté administratif. A 44 ans, j’ai dû retourner sur les bancs de l’école pour réapprendre la législation et les nouveaux textes. Aux côtés de jeunes de 20 ans, c’était bizarre mais j’ai tenu bon ! » 

En 1998, Renée doit mettre un terme à sa carrière professionnelle à la suite de problèmes de santé. Placée en invalidité, elle prend sa retraite en 2007 et s'investit dans une association d'aide au retour à l'emploi. Son mari, également retraité aujourd’hui, est membre du Secours catholique et de l’association des donneurs de sang.
 
 
Propos recueillis par Monique Pussat-Marsac et Tugdual Ruellan.



1.Posté par Bouju le 20/11/2016 18:54
fin, vaste et si positif que je me sens régénérée, un souffle de joie et d'optimisme merci, très simplement

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Pourquoi ce blog ?
Michel Rouger
Et si l’on demandait à chacun d’entre nous ce qu’évoque la devise républicaine, ces trois petits mots, parfois bafoués, souvent mis à mal quand ils ne sont pas oubliés de nos frontons publics ? Et si l’on prenait le temps de s’interroger sur le sens qu’ils prennent ou qu’ils ont pris dans nos vies ?

Alors, les citoyennes et les citoyens nous diraient leur mécontentement, parfois leur colère de n’être pas considérés, entendus, écoutés. Ils nous diraient leurs peurs et leur fragilité dans une économie mondialisée, monétisée, déshumanisée. Ils hurleraient leurs doutes, leur mépris face aux promesses qui leur sont faites et qui ne sont pas tenues.

Mais ils nous diraient aussi leur joie d’être libres, de pouvoir dire, rêver, encore et toujours penser. Ils nous diraient malgré tout leur espoir de voir poindre des jours meilleurs, leur soif et leur espérance de justice et d’égalité.

A l’initiative du député Jean-René Marsac, nous sommes allés recueillir des paroles, des histoires de vie, des réflexions glanées sur ces bouts de chemin croisés. Histoires Ordinaires propose de les mettre en partage sur ce blog.

Tugdual Ruellan

« Les valeurs de notre République et de notre démocratie sont violemment attaquées. Vers de nouvelles formes d'engagement et de dialogue avec nos concitoyens »

Par Jean-René Marsac, député



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