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Maryannick : « la devise républicaine a été ma ligne de conduite toute ma vie»



Maryannick Nicolas, âgée aujourd’hui de 82 ans, se retrouve seule en 1966 avec ses sept enfants, après le décès soudain de son mari. Battante dans l’âme, elle s’accroche à la vie, trouve un emploi à l’agence Havas à Rennes, offre une vie digne à ses enfants et milite pour le droit des femmes. Depuis 2005, elle perd progressivement la vue et continue pourtant de conter dans les hôpitaux et maisons de retraite en Ille-et-Vilaine. Elle n’a rien perdu de sa force ni de sa foi en la fraternité.


Liberté, égalité, fraternité
 
« J’ai eu une vie peut-être pas facile mais une vie de bonheur avec mes sept enfants, merveilleux, leurs sept valeurs ajoutées et aujourd’hui, mes vingt petits-enfants, plus beaux les uns que les autres. Aujourd’hui, quand je regarde nos enfants, je vois des femmes et des hommes responsables dans leur vie de couple, dans leurs rôles de parents, dans leurs engagements socioprofessionnels. Je vois des femmes et des hommes responsables et c’est là toute ma richesse. Liberté, égalité, fraternité sont des valeurs fortes qui m’animent.
 
Cette devise républicaine ainsi que mes valeurs chrétiennes ont été tout au long de ma vie, ma ligne de conduite. En 1979, avec des amis, nous avons monté une association Tiers et quart monde, à Bréal-sous-Montfort (Ille-et-Vilaine) pour accueillir les réfugiés des boat-people (devenue aujourd’hui Bréal solidarité). En 2001 et 2005, je suis partie en mission humanitaire au Mali. Cela a été pour moi un choc énorme. J’ai mis du temps avant de retourner faire mes courses au supermarché ! Je suis devenue très Africaine de cœur. J’ai aussi été visiteuse de prison bénévole, à Jacques Cartier à Rennes, un engagement qui m’a beaucoup marquée. J’y ai vécu des rencontres extraordinaires avec des gens aux parcours très atypiques. J’ai arrêté car je risquais de dériver, de perdre la distance.
 
Depuis 1994, je suis conteuse en hôpital et j’interviens auprès d’enfants, d’adolescents cancéreux, anorexiques ainsi qu’en maison de retraite. C’est un bonheur, c’est de la fraternité. On apporte un peu mais on reçoit tellement. Depuis 2005, je suis devenue mal voyante et je perds la vue progressivement. Je ne peux plus rien lire mais j’écoute beaucoup. J’ai donné un autre tour à ma vie. J’ai 82 ans et je tiens à rester dans ma ville, dans ma maison le plus longtemps possible. C’est ma façon de rester une citoyenne… pas trop moche ! »

 
MARYANNICK, UNE VIE DE BONHEUR... MALGRE TOUT

Maryannick naît en janvier 1934 à Trédarzec, un tout petit village des Côtes d’Armor dont sa mère, Denise, était originaire. C’est là qu’elle passe sa petite enfance avant de partir vivre à Brest avec ses parents. Georges, son père, parisien d’origine, ébéniste formé à l’école Boule, s’installe à Tréguier dans les Côtes d'Armor. Il participe, entre autres, à la réfection des portes de la cathédrale. Sa mère travaille comme couturière. « Au moment de la déclaration de guerre, mes parents tenaient un bar à Brest, rue Louis Pasteur qui s’appelait… le Royal bar ! Est arrivée la guerre le 3 septembre 1939 et mon père a été mobilisé le 1er septembre de cette même année, dans le sud-ouest. Démobilisé en septembre 1940, il est arrivé peu de temps après et a trouvé un travail chez Levitan, un grand magasin de meubles… Maman se voyait mal rester tenir seule le bar alors ils se sont séparés du commerce et maman est devenue culottière pour la marine nationale. Nous avons déménagé pour habiter rue du docteur Charcot, une maison où il était possible de résider à plusieurs familles.
 
Ma mère m’habillait en bleu, blanc, rouge !
Le premier bombardement que nous ayons subi était allemand. Je me souviens qu’ils bombardaient de très haut. J’étais seule avec ma mère dans le jardin. Monsieur Gubler, un vieux monsieur suisse qui vivait dans la maison d’à-côté nous a aperçues depuis sa fenêtre. Il a alors fait signe à maman de venir chez lui se protéger. Depuis ce jour, dès qu’il y avait des bombardements, nous allions chez lui. Un matin au réveil, nous avons vu les volets de Monsieur Gubler fermés. Il était parti et nous ne l’avons jamais revu. J’ai compris qu’il était juif. Les Allemands s’installent à Brest le 19 juin 1940. Je me souviens les voir défiler. Il y en avait et il y en avait… et nous étions effrayés. Il y avait énormément d’entraide entre les Brestois et nous étions soucieux les uns des autres. Certains Allemands que nous croisions dans la rue, me caressaient la tête, avec gentillesse (je devais sans doute leur rappeler leurs enfants), mais ma mère écartait aussitôt leur main ; s’ils me donnaient un bonbon, elle le jetait avec mépris dans le caniveau. Tous les dimanches, nous allions en procession dans les quartiers bombardés : ma mère m’habillait en bleu, blanc, rouge ! J’avais des parents extraordinaires. Ils ont même réussi, début 1941, à faire passer quelqu’un en Angleterre. J’avais sept ans, j’ai tout entendu lorsqu’ils préparaient l’opération.

Libération : réapprendre à vivre libres
A la rentrée 45 je suis devenue pensionnaire dans une école privée, à Tréguier, chez les religieuses, les Filles de la Croix, jusqu’à ma 3e puis, à Plestin-les-Grèves, toujours chez les soeurs. Messe tous les jours, à jeun le matin, à 6h45 ; et le dimanche, basse messe, grand-messe, vêpres et complies. On revenait à la maison à la Toussaint, à Noël, deux jours en février, à Pâques et c’était fini. J’ai commencé alors des études d’infirmière à l’Hôtel-Dieu à Rennes. Et j’ai rencontré Louis, devenu mon fiancé, qui était en cinquième année de droit. On s’est marié et en 1955, nous avons eu notre premier enfant. En septembre 1955, Louis est parti pour l’Algérie. Il lui manquait juste sa thèse. Il en est revenu en 1957. Nous étions un couple très amoureux… Je vivais alors chez mes parents et mes beaux-parents.
 
De Rennes à Paris
Louis entre à Ouest-France comme journaliste pour l’édition de Rennes. Nous emménageons dans un appartement plus grand, rue du pré-Botté, propriété de Ouest-France, tout délabré à cause des bombardements. Puis, en 1957, Louis, qui vient de passer son doctorat en droit, trouve du travail à Connaissance des arts et Réalités, des revues de prestige, rue Saint-Georges à Paris. Nous avons alors déménagé. Notre quatrième enfant est né à Paris en novembre 1958 puis les trois autres. Louis avait trouvé un nouveau travail chez Publicis puis à l’Union des fabricants d’aliments composés pour réaliser l’ensemble du programme de publicité de l’entreprise. Les camions rouges et blancs de l’UFAC… c’est lui !

Seule avec sept enfants
Mais en décembre 1962, Louis est licencié. Il n’y avait pas de contrat ! Il doit alors retourner travailler à Paris, toujours comme publiciste et intègre l’agence Havas, rue de Richelieu. En 1966, il apprend qu’il est diabétique. Au mois de novembre, en à peine trois jours, il meurt des suites d’un coma diabétique. Je me retrouve seule avec mes sept loupiots.  Il m’a fallu réfléchir très vite. Le directeur d’Havas France me propose un emploi à Rennes, à l’agence située rue le Bastard. J’ai commencé en septembre 1967. Ma dernière petite fille n’avait que 3 ans… J’ai obtenu un F6 en HLM dans les grandes tours de Villejean. Je me levais à 5h45 pour avoir le temps de préparer mes enfants. J’ai pris quelqu’un à la maison pour m’aider mais ça me coûtait la moitié de mon salaire qui n’était que de 600 francs mensuels… 

Maryannick : « la devise républicaine a été ma ligne de conduite toute ma vie»
1968 : on parle de « conditions de travail »
L’agence Havas a lancé un service de publicité et on m’a proposé de devenir la secrétaire. Tous les jours, on travaillait jusqu’à 18h30 ainsi que le samedi matin. Mon poste m’a été enlevé en avril 1968 au motif d’un « manque de disponibilité par rapport à ses sept enfants ». Je suis alors tombée en dépression et en arrêt maladie à partir de mai 68. Havas m’a proposée alors de faire du travail à la maison, le « télé Havas », l’annuaire de l’agence. Ça m’arrangeait bien. En 1969, j’ai été élue déléguée du personnel CFDT. Une expérience très enrichissante, on savait que j’avais du cran. A cette époque, après 68, les conditions de travail ont commencé à changer, par exemple avant les femmes n’avaient pas de local pour déjeuner le midi. Chacune devait se débrouiller et devait faire comme elle pouvait. On nous a donné un local avec un four, un petit frigo, une table, des chaises et un évier. Une pointeuse a été installée. Au début, je n’étais pas pour, estimant que ce n’était pas vraiment une avancée sociale. Finalement, si ! Car jusqu’alors, nos heures supplémentaires n’étaient jamais comptabilisées. Nous pouvions ainsi dire, stop ! Les heures supplémentaires pouvaient enfin être récupérées ou rémunérées. Nous avons eu aussi la possibilité d’aménager nos horaires. Nous avons cessé de travailler le samedi matin, c’était une avancée extraordinaire : nous avions notre week-end en entier pour nous et notre famille.
 
Arrivée à Bréal-sous-Montfort
Il me fallait acquérir un équilibre personnel. Je me suis donc engagée dans différentes associations comme l’Association Populaire Familiale, les associations syndicales et au niveau de la paroisse St Luc. Cela a certainement permis à mes enfants de mieux se construire. Dans les années qui ont suivi, l’agence Havas m’a fait aller de service en service. J’ai travaillé comme standardiste, à l’accueil des clients, à la comptabilité, à la rubrique obsèques... C’est devenu ma force car je connaissais tout le monde. En 1970, un poste de secrétaire deuxième catégorie est proposé pour travailler avec les agents publicitaires. Ma candidature a été acceptée et mon salaire quelque peu augmenté. Tous mes enfants ont pu ainsi suivre des études. Mais j’en ai eu marre… toujours le sentiment d’exploiter les gens avec la pression de chefs, souvent sans scrupules. Un ami médecin, qui souhaitait s’installer à Bréal-sous-Montfort, m’a proposé de devenir secrétaire médicale pour lui. Un poste que j’ai exercé pendant 17 ans. Nous avons donc emménagé à Bréal, dans une maison que j’ai fait construire, où je réside toujours depuis.

Militante associative convaincue
En 1979, avec des amis, nous avons monté une association Tiers et quart monde (devenue aujourd’hui Bréal solidarité), pour accueillir les réfugiés des boat-people. En 1987, j’ai aussi été visiteuse de prison, à Jacques Cartier, un engagement qui m’a beaucoup marquée. J’y ai vécu des rencontres extraordinaires avec des gens aux parcours très atypiques. J’ai arrêté car je risquais de dériver, de perdre le recul nécessaire à cette activité. A partir 1988, j’ai fait partie de la troupe de théâtre Le Grillon, où j’ai eu la chance de jouer de nombreuse pièces dans une ambiance très amicale. En septembre 1994, avec Jean Bossard, j’encadre l’atelier théâtre (30 élèves environ, un vrai bain de jouvence). En novembre, je me suis engagée comme bénévole à la distribution aux Resto du Cœur, rue de l’Alma. On apporte un peu mais on reçoit tellement. Pour raison de santé, en 1996 j’ai dû arrêter cet engagement.

Rester "citoyenne"
En 1995, j’ai suivi une formation de conteuse et désormais avec mes collègues de l’ABHR j’interviens en hôpital auprès d’enfants, d’adolescents ainsi qu’en maison de retraite. C’est un bonheur, c’est de la fraternité. Depuis 2005, je suis devenue mal voyante et perds la vue progressivement. Je ne peux plus rien lire mais j’écoute beaucoup. J’ai donné un autre tour à ma vie. J’ai 82 ans et je tiens à rester dans ma ville, dans ma maison le plus longtemps possible. C’est ma façon de rester une citoyenne… pas trop moche ! J’ai eu une vie peut-être pas facile mais une vie de bonheur. »
 
 
Propos recueillis par Jean-Yves Geffroy et Tugdual Ruellan.



1.Posté par Vivre en Paix Ensemble le 21/10/2016 08:45
Voici le portrait d'une Bretonne généreuse et attachante, Maryanick. c'est à lire sur le "Histoires Ordinaires", un blog qui a pour ambition de redonner sens aux mots LIberté, égalité, fraternité. A suivre!

2.Posté par Emmanuelle le 21/10/2016 09:59
Qu'est-ce que c'est chouette de vous lire... ça redonne le moral quand besoin est !
Bien à vous !
Emmanuelle

3.Posté par Martine le 23/10/2016 17:14
J'ai été émue, bouleversée, transportée en lisant cette histoire, j''aimerais prendre une tasse de café d''amitié pour cette femme si vivante, engagée et claire. BONNE ROUTE A ELLE.

4.Posté par Bigot Gigi le 15/12/2016 21:10
Tu ne m'avais pas tout dit, Marie-Annick ! Quelle vie ! Quelle ligne ! Bravo. Merci. Au plaisir de te croiser en 2017. A Mythos ? Continue de dire...

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Pourquoi ce blog ?
Michel Rouger
Et si l’on demandait à chacun d’entre nous ce qu’évoque la devise républicaine, ces trois petits mots, parfois bafoués, souvent mis à mal quand ils ne sont pas oubliés de nos frontons publics ? Et si l’on prenait le temps de s’interroger sur le sens qu’ils prennent ou qu’ils ont pris dans nos vies ?

Alors, les citoyennes et les citoyens nous diraient leur mécontentement, parfois leur colère de n’être pas considérés, entendus, écoutés. Ils nous diraient leurs peurs et leur fragilité dans une économie mondialisée, monétisée, déshumanisée. Ils hurleraient leurs doutes, leur mépris face aux promesses qui leur sont faites et qui ne sont pas tenues.

Mais ils nous diraient aussi leur joie d’être libres, de pouvoir dire, rêver, encore et toujours penser. Ils nous diraient malgré tout leur espoir de voir poindre des jours meilleurs, leur soif et leur espérance de justice et d’égalité.

A l’initiative du député Jean-René Marsac, nous sommes allés recueillir des paroles, des histoires de vie, des réflexions glanées sur ces bouts de chemin croisés. Histoires Ordinaires propose de les mettre en partage sur ce blog.

Tugdual Ruellan

« Les valeurs de notre République et de notre démocratie sont violemment attaquées. Vers de nouvelles formes d'engagement et de dialogue avec nos concitoyens »

Par Jean-René Marsac, député



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