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Blandine : « On a des devoirs envers les autres et envers le pays »



Pendant 25 ans, la factrice Blandine Thibaud a effectué la même tournée sur la commune d’Avessac en Loire-Atlantique. Mais c’est plus que du courrier qu’elle a distribué, jamais regardante du service apporté à des personnes parfois isolées.


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Liberté

 « Oui, nous sommes dans un pays de liberté. Nous avons la liberté de pensée, la liberté de parole – on dit pratiquement tout ce que l’on veut, particulièrement les humoristes. Quand on voit ce qu’ils disent sur le président ou autre… oui, on a la liberté de parole. On a la liberté de rencontrer qui on veut et de faire ce que l’on veut, mais il doit y avoir des barrières. On doit avoir du respect pour les hommes et pour les choses. On a le droit de manifester mais de casser, on n’a pas le droit. C’est un manque de respect des choses et des gens : il va falloir payer ce qui est cassé. Question de civisme.
 
Apprendre aux enfants, dès le début de la vie, ce qui se fait ou non, ce qui se dit ou non. Les premiers éducateurs sont les parents et non pas l’école. Ce sont eux qui donnent les repères dès la naissance. Ils doivent être un modèle même si personne n’est parfait. L’exemple doit venir d’en haut. Ceux qui nous gouvernent devraient être irréprochables. On ne peut pas demander à la jeunesse d’être honnête alors qu’à longueur de journée, les médias nous informent d’affaires plus ou moins véreuses. Les médias sont nécessaires mais sont plutôt branchés sur les scandales, people ou financiers. Ça passe en boucle : c’est plutôt négatif pour les jeunes déboussolés. Oui, nous sommes dans un pays libre mais beaucoup ne se rendent pas compte de ce qu’est la liberté.

Egalité

On a des devoirs envers les autres et envers le pays... les deux vont ensemble. On ne peut pas profiter de tout et ne rien donner en échange. Oui, il faut aider les gens mais il faudrait que ces aides soient obtenues justement et ce n’est pas toujours le cas. Alors, ces aides ne vont pas aux gens qui en ont vraiment besoin. On n’a pas le droit de s’enrichir avec des aides. L’aide au logement est faite pour quelqu’un qui a du mal à payer son loyer. J’en ai vu des abus au cours de mes tournées de factrice comme cette dame qui vivait seule avec sa fille dans un T5 : tout était payé par les allocations logement ! Le devoir serait de dire : « J’ai, donc je paye ». Souvent, parler des aides divise les gens. On se dit : « On va voter FN pour remettre de l’ordre ! » Mais combien de personnes cherchent du travail et n’en trouvent pas. Comment comprendre que quelqu’un qui cherche du travail a parfois plus intérêt, financièrement, à rester chez lui que de travailler ? On regarde son voisin qui ne fait rien de la journée et qui touche le chômage. Pas étonnant que ça crée des tensions et que les extrêmes gagnent des voix !
 
Pourquoi quelqu’un percevant une indemnité n’irait-il pas donner pendant quelques heures un coup de main dans la semaine, à la mairie, à l’école ? L’exclusion, ça va très vite ; on déconnecte et on lâche prise très vite. Peut-être est-ce une idée de droite ce que je dis mais on devrait reconnaître les bonnes idées là où elles sont ! Parfois, elles sont à gauche, parfois elles sont à droite. Chacun ne part pas avec les mêmes chances dans la vie, pour les études particulièrement. Certaines études ne sont pas accessibles si on n’a pas l’argent pour les financer. Tout le monde n’est pas à égalité pour se lancer dans la vie. Beaucoup sont obligés d’emprunter pour payer leurs études. Ils démarrent dans la vie avec déjà des remboursements d’emprunts en plus. C’est vrai que ça n’était guère plus facile autrefois. Quand on s’installait, ce n’était pas le grand luxe ! Mais on est plus exigeant aujourd’hui. On veut parfois des choses dont on pourrait bien se passer. On est envieux, jaloux. Les jeunes veulent des meubles neufs, tout.
 
Question santé, on est dans un pays où on a beaucoup de chance. On ne vous demande pas si vous avez les moyens de payer avant de vous soigner. Y a-t-il beaucoup d'autres pays où ça existe ? Est-ce que les gens s'en rendent compte ? Certains abusent – je pense aux personnes qui vont en cure, aux frais de la princesse parce qu'ils ont mal au dos et ensuite, hop… voyage en camping-car pendant deux mois. Ce sont des choses qui m’énervent parce que ce n’est pas de l’égalité.

Fraternité

Fraternité me fait plus penser à solidarité. Mon frère, ma sœur… Mais par rapport à qui ? Si une famille arrivait, sans rien… c'est sûr, j’ouvrirai ma porte pour l'accueillir temporairement. La notion de fraternité s’est faite plus forte depuis les attentats parce qu’on s'est senti agressé. Ce que j’ai vu changer dans mon métier, c’est le comportement de certains jeunes de 35-40 ans, qui s’est individualisé. Et puis, la montée des extrêmes… Souvent, je me demandais pourquoi certaines personnes étaient autant agressives, même en milieu rural.
 
Solidaire avec les réfugiés. A Avessac, il y a un immeuble qui accueille des réfugiés, l’antenne du centre d’accueil des demandeurs d’asile des Trois-Rivières. Le fait d’héberger des réfugiés politiques ici fait croire à je ne sais quel danger. Certains pensent que ces personnes prennent des logements aux habitants oubliant que les habitants ne veulent pas vivre dans ces immeubles. Je ne comprends pas que l’on soit si intolérant dans nos petits pays. On jalouse toujours les autres, ce qu’on voit de la personne. Je suis pour aider les autres même si on n’a pas la même couleur de peau, les mêmes idées, les mêmes croyances. Il faut porter intérêt aux autres sans méfiance et sans jugement. Je crois même que les gens capables des pires horreurs ont forcément, à un moment ou à un autre, au fond d’eux une petite lumière positive. Comment penser à la peine de mort sans avoir trouvé cette petite lumière ? La peine de mort rend toujours quelqu’un criminel : celui qui décide de tuer. Avec certains, le ménage serait vite fait.
 
Solidaire au boulot. Beaucoup sont démotivés parce qu'on leur demande des efforts pour soi-disant laisser leur entreprise continuer de tourner. Ils acceptent de faire ces efforts mais ils perdent leur emploi parce que la boîte ferme… et ils apprennent que les patrons s'en sont mis plein les poches ! Ce n'est pas du respect des autres. Il faut pratiquer le donnant-donnant, tout le monde y gagne. Quand je travaillais, lorsque le facteur était malade, il n'y avait pas forcément quelqu'un pour le remplacer. On s’arrangeait et il y avait toujours des arrangements possibles. Tout le monde s'y retrouvait. C’est sûr qu’il y a des abrutis mais c’est une minorité ; dans l'ensemble, les gens sont plutôt compréhensifs et arrangeants.
 
Solidaire tout court. La solidarité, c'est aussi savoir donner aux associations, aux actions de solidarité. Ceux qui donnent ne sont pas toujours ceux qui en ont le plus mais plus les petits comme nous qui sont touchés. Après, découvrir que les magouilles et l'argent détourné couvriraient la dette du pays… J’ai été factrice, fonctionnaire, cataloguée fainéante. J'ai toujours trouvé cette remarque blessante qui revenait régulièrement, même dans les repas de famille. Pourtant, j'ai toujours fait mon travail du mieux que je pouvais, en me disant qu'on ne pouvait pas me licencier. Oui, il y a des gens paresseux dans la fonction publique mais il y en a aussi dans le privé. Oui, il y a des pourris en politique mais il y en a aussi de très honnêtes, humains et merci à ceux-là. »
 
BLANDINE, FACTRICE, DISTRIBUE PLUS QUE DU COURRIER

Blandine Thibaud est née en 1961 à Nantes. Elle passe son enfance avec son frère, dans un petit pays de 600 habitants, au bord de la mer, Les Moutiers-en-Retz. Ses grands-parents sont paysans, des deux côtés, sans biens propres : « Ils louaient leurs terres. C’était des gens très modestes mais des travailleurs. J’ai été élevée dans cet esprit que, si on voulait quelque chose, il fallait travailler et que rien ne tombe du ciel ! » Les parents prennent la suite de la petite exploitation mais, en 1976, un incendie accidentel détruit la ferme, un jour de 14 juillet : « Tout est parti en fumée... Ça s’est arrêté comme ça. Mon père était un paysan dans l’âme, c’était toute sa vie. »

 A force de ténacité, les parents de Blandine parviennent à rénover une partie de la maison et à en devenir propriétaires. Mais pour cela, son père doit changer de métier : « La commune l’a aidé puis il est parti travailler pour la pose du tout-à-l’égout. Parfois, il partait plusieurs jours sur des chantiers. Pour un paysan comme lui, c’était très dur et il n’a pas supporté. Il est décédé en 1984. »
Quitter l'école à 16 ans

Blandine décide de laisser les études et commence à travailler dans l’école du village, en soutien de l’institutrice. Elle n’a que 16 ans : « L’école ne me plaisait pas, même si j’avais sûrement des possibilités. J’accompagnais les enfants à la cantine (adsem avant l’heure !) et j’ai adoré ça. » L’été, elle fait les saisons notamment dans une boulangerie où elle rencontre Yannick avec qui elle se marie : « Il avait repris la suite de ses parents, avait divorcé et avait trouvé un emploi dans une société qui fabriquait du matériel de boulangerie. Pendant vingt-deux ans, il a formé les futurs utilisateurs dans de nombreux pays » Blandine trouve un emploi dans une petite épicerie puis, licenciée économique, prépare un concours pour entrer à la Poste. 
 

La même tournée pendant 25 ans !
 
Devenue factrice, elle est nommée en 1983 à Saint-Nom-la-Bretèche dans les Yvelines : « Moi qui, à 22 ans, n’avais jamais pris le train toute seule ! Pendant cinq ans et demi, j’ai distribué le courrier à vélo, en mobylette et en voiture. » En 1989, la Poste propose à Blandine de revenir dans l’Ouest et la nomme au bureau de Saint-Nicolas-de-Redon (Loire-Atlantique). Elle s’installe avec son mari et leur fille unique dans une maison qu’ils achètent à Sainte-Marie, aux portes de Redon : « Pendant 25 ans, j’ai effectué la même tournée sur la commune d’Avessac sur près de quatre-vingts kilomètres. C’était mon choix, je ne voulais pas être dans un bureau. J’ai vu mes copines enceintes, puis naître les petits-enfants… Les mamies pleuraient quand je suis partie en retraite !
 
"On entre vite dans l'intimité des gens"
 
Ce qui me plaisait dans ce métier, c’est que j’étais avec des gens. Je n’hésitais jamais à rendre service, à faire quelques courses, à acheter du poisson pour une cliente... Quand on est facteur, on entre vite dans l’intimité des gens. Avec le courrier, on voit bien ce qui passe… Depuis que je suis retraitée, je fais du théâtre et participe chaque année au téléthon : c’est un peu ma patrie là-bas ! Aujourd'hui, notre fille est éducatrice spécialisée en Champagne et travaille auprès de personnes handicapées. Il y a dix ans, elle est allée monter une école au Sénégal avec une association junior qu'elle a créée avec des copains. C'est ma fierté. Rien que pour ça, ma vie est réussie ! »

Propos recueillis par Monique Pussat-Marsac et Tugdual Ruellan.


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Pourquoi ce blog ?
Michel Rouger
Et si l’on demandait à chacun d’entre nous ce qu’évoque la devise républicaine, ces trois petits mots, parfois bafoués, souvent mis à mal quand ils ne sont pas oubliés de nos frontons publics ? Et si l’on prenait le temps de s’interroger sur le sens qu’ils prennent ou qu’ils ont pris dans nos vies ?

Alors, les citoyennes et les citoyens nous diraient leur mécontentement, parfois leur colère de n’être pas considérés, entendus, écoutés. Ils nous diraient leurs peurs et leur fragilité dans une économie mondialisée, monétisée, déshumanisée. Ils hurleraient leurs doutes, leur mépris face aux promesses qui leur sont faites et qui ne sont pas tenues.

Mais ils nous diraient aussi leur joie d’être libres, de pouvoir dire, rêver, encore et toujours penser. Ils nous diraient malgré tout leur espoir de voir poindre des jours meilleurs, leur soif et leur espérance de justice et d’égalité.

A l’initiative du député Jean-René Marsac, nous sommes allés recueillir des paroles, des histoires de vie, des réflexions glanées sur ces bouts de chemin croisés. Histoires Ordinaires propose de les mettre en partage sur ce blog.

Tugdual Ruellan

« Les valeurs de notre République et de notre démocratie sont violemment attaquées. Vers de nouvelles formes d'engagement et de dialogue avec nos concitoyens »

Par Jean-René Marsac, député



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