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Antoine : « Il est grand temps de se battre pour rester un pays libre ! »



Antoine Séchet a grandi dans un milieu ouvrier, modeste, dans le Maine-et-Loire. Installé à Monterfil (Ille-et-Vilaine) avec sa femme et ses trois enfants, il a toujours travaillé et exercé le métier qu’il aimait. Jusqu’à ce douloureux licenciement de l'entreprise Smithkline-Beecham de Plélan-le-Grand.


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Liberté
 
« Je pense qu'on vient de faire trois pas en arrière ! Mais rien n'est désespéré. On n'est pas tombé dans le vide. J’ai espoir mais il est grand temps de se battre pour rester un pays libre, pas un pays où l'on pense pour toi, où l'on prend les décisions pour toi. La liberté, c'est continuer d'avoir le droit de dire ses différences, manifester. Je m'oppose à la casse. Le paradoxe est là. On a vécu de très belles années en France avec la liberté. On est un pays où l'on peut réaliser ses envies sans être jugé, persécuté. Malheureusement, ça se ferme de plus en plus. Je suis inquiet. 
 
Egalité

C'est le droit pour tous de s'exprimer. Surtout, le droit à être entendu. Il faut entendre ce que disent les gens. Il ne suffit pas de les écouter. Travailler à partir de ce que les gens vivent réellement. Elle est là, l'égalité. Avoir la même chance que les autres de pouvoir s'exprimer. Ça fait du bien déjà de pouvoir s'exprimer.
 
Fraternité
 
Ça va un peu avec solidarité. Mais je distingue ces deux mots. La fraternité, c’est avancer ensemble, dans le respect et l'amour de l'autre. C'est aimer la différence, aimer l'autre tel qu'il est mais vraiment l'aimer. J'ai beaucoup basé mes engagements sur le respect. Je dis à mes trois enfants souvent : « J'ai peut-être raté des choses mais j'espère au moins vous avoir inculqué le respect de l'autre. » La fraternité, c'est plus que d’être simplement solidaire : c’est vraiment avancer main dans la main. Je crois que j’attache plus d'importance à la fraternité. Ça m’anime plus. Quand l'autre avance, on avance aussi.
 
On reçoit toujours beaucoup plus que ce que l'on donne même si on ne le perçoit pas tout de suite. L'amour est aussi fort après avoir exprimé la différence qu'avant. Il faut beaucoup communiquer. La base de l'engagement, c'est d'abord accepter de s'exprimer dans un contexte où on sait très bien que l'on n’aura pas l'unanimité. On a eu la chance de ne pas connaître l'immédiateté de l'information, le bourrage de crâne de l’information. On avait le temps de se faire une opinion. Aujourd'hui, les gens apportent des jugements sans avoir pris le temps de l'analyse. Ils sont devenus consommateurs, préoccupés par leur bien-être.
 
On peut changer les choses là où on est, de sa place. Mais il y a encore plein d’endroits où les gens s'engagent : les coopératives par exemple, beaucoup de jeunes familles, la Mézon du Cârouj à Monterfil (Ille-et-Vilaine) qui accueille les jeux traditionnels bretons. Il y a plein d'espoir. Je me sens privilégié. Toute personne, dans n'importe quel secteur, peut être importante. Il faut savoir dire quand les choses sont belles et sont bonnes.


 
ANTOINE, ENGAGÉ POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE

Antoine : « Il est grand temps de se battre pour rester un pays libre ! »
Antoine a 51 ans et est originaire du Maine-et-Loire. Il est issu d'une famille de quatre enfants de parents ouvriers, déjà engagés et militants eux-mêmes au niveau professionnel, associatif : « Ils ont aujourd'hui 76 ans et sont toujours tournés vers les autres. C'est leur moteur, leur carburant. Cet engagement a influencé ma vie. Deux garçons, deux filles, je suis le deuxième. Mon frère est professeur des écoles, ainsi qu'une sœur. Ma plus jeune sœur est agricultrice. »

Antoine arrête son cursus scolaire après un CAP-BEP en mécanique automobile. Rapidement, il souhaite travailler : « Il y avait du travail, on avait la possibilité de progresser. Ce diplôme avait une vraie valeur auprès des employeurs. J'ai commencé mais l'âge du service militaire est arrivé. Je suis parti dans l'Est, affecté dans un garage où j’ai encore progressé assurant les visites de véhicules militaires. En plus de mon permis voiture et moto, j'ai pu passer mon permis poids-lourd et transports en commun. »
 
Le rêve de Smithkline-Beecham
 
A la sortie du service militaire, Antoine trouve un emploi d’ouvrier magasinier dans une entreprise à Cholet qui revend des lubrifiants pour automobile. C’est là qu’il commence sa vie professionnelle, à 23 ans, après seulement trois jours sans travailler. Trois ans plus tard, il rencontre Christine, originaire de Monterfil et décide donc de quitter son emploi pour s’installer en Ille-et-Vilaine. Fille unique de parents agriculteurs, elle travaille comme agent administratif à la mairie de Plélan-le-Grand. En 1988, tous deux emménagent dans la maison familiale, non loin des parents retraités. Rapidement, Antoine trouve un nouveau travail dans une petite entreprise de location de matériel qui ne compte que quatre salariés. Mariage avec Christine. Mais, peu de temps après, licenciement : « …Un désaccord avec l'employeur ! »

En 1990, il intègre l'entreprise Smithkline-Beecham comme opérateur. L'entreprise, leader mondial des antibiotiques, vient de s'installer à Plélan-le-Grand et une trentaine de personnes a été embauchée. Les deux parlementaires locaux ont fait une sorte de partage : « Pierre Méhaignerie avait pris Canon à Vitré et Alain Madelin… Beecham ! On a été embauché avant que la production ne commence vraiment. On a découvert ensemble le matériel et le procédé de fabrication. C'était uniquement de la pharmacie, des extractions, des mélanges, des transformations de produits. » 

Inaugurée en grandes pompes !
 
L’entreprise est inaugurée en grandes pompes le 1er février 1993 en présence de Bernard Kouchner, ministre de la Santé et de l'Action humanitaire, de Pierre Méhaignerie, président du Conseil général d’Ille-et-Vilaine et d'Alain Madelin, ex-ministre de l'Industrie. Première unité de fabrication de pénicilline de synthèse en Europe, l’usine se présente comme l'un des fleurons du groupe et se veut exemplaire en matière de protection de l'environnement et de sécurité de l'emploi. Elle a coûté 68 millions de francs d'investissements. Antoine travaille en 3 x 8 et le rythme de vie décalé qui va avec : « Matin, après-midi, nuit pendant des années... On ne sait plus à quelle heure dormir ! L'avantage, c'est que j'ai passé beaucoup de temps avec nos enfants et ça, j'en suis vraiment heureux. J'ai pu aussi faire partie de quelques associations. Mais physiquement, on y laisse des billes et je le sens aujourd'hui. »

L'entreprise progresse. Antoine monte en compétences : technicien puis chef d'équipe, en responsabilité d'une équipe de trois personnes. Croissance à deux chiffres pendant huit ans. Mais, la molécule, fabriquée dans l’entreprise, arrive bientôt dans le domaine public et le prix de vente connaît alors une chute libre : « D’abord, ils ont augmenté les cadences pour tenter de refaire surface mais finalement, les actionnaires ont décidé de cesser la production. »

En  juillet 1999, le groupe pharmaceutique britannique SmithKline Beecham annonce une restructuration de ses activités dans les antibiotiques. Bilan : 800 suppressions d'emplois dans le monde et la fermeture ou la vente de quatre sites de production en Europe dont celui de Plélan-le-Grand « pour en ouvrir un en Asie, plus rentable. A la clé : plan social pour la quarantaine de salariés. »
 
Engagé dans la lutte syndicale
 
Antoine choisit alors de se syndiquer à la CFDT, syndicat majoritaire dans l’entreprise : « Je me suis donné à fond pour le collectif mais vraiment, face au mur, je me suis fait mal ! Une union se fait parmi l'équipe de salariés. Même la direction de Plélan, impuissante, était désolée de voir ce qu’y passait. Une personne avait été recrutée spécialement pour fermer le site, d'une arrogance extrême. Un nettoyeur, un tueur sans aucune empathie. Je me suis forgé une carcasse. »

Antoine y croit malgré tout, intègre le comité d'entreprise et participe à toutes les négociations, y compris celles du siège à Nanterre : « Nous cherchions à compenser tout le mal que l’entreprise nous avait fait. Au bout d’un moment, je me suis senti déconnecté. Il y avait un tel décalage avec ce que nous vivions. Mon engagement s'est endurci à cette période. 

J'ai été dans les derniers à partir. Après moult discussions, ils ont repris le site pour faire de la chimie après avoir investi plusieurs milliers d'euros pour le mettre aux normes Seveso. Ils ont réussi à reprendre tout le monde mais on n’a jamais sorti un produit dedans ! Au bout de cinq ans, ils ont fermé. J'ai bénéficié d'une validation des acquis de l'expérience mais dans la chimie. Ils avaient utilisé nos compétences pour progresser mais sans nous reconnaître. Ils m’ont proposé de partir dans le Rhône ! »

Antoine : « Il est grand temps de se battre pour rester un pays libre ! »
Le même salaire depuis... 28 ans !
 
Antoine connaît alors une longue période de déprime : « Progressivement, ça a été la chute. Terminé ! Je n'ai pas retrouvé d'emploi. Depuis ce jour, je n'ai jamais cessé de régresser devant accepter tous les petits boulots qui se présentaient. Ma plus grande fierté est d’avoir réussi à ne jamais pointer au chômage. » Antoine travaille aujourd’hui dans une entreprise de travaux publics, négoce de matériaux, voirie, assainissement, tuyaux...

« J'ai été pris pour ma polyvalence, mon sérieux et mon expérience… mais j’ai le même salaire de base que lorsque j'ai commencé à travailler à 23 ans ! Je comprends pourquoi les gens aujourd'hui se révoltent. Au départ, tout le monde était très solidaire. Le système fait qu'on individualise les gens. On prend, on jette, on humilie. Aujourd'hui, plus personne ne croit plus en dieu ni au diable. Voilà pourquoi les extrêmes arrivent, là où les anciens systèmes ont été impuissants. Tout le monde est désabusé. En qui croire ? La solution ne peut venir que du terrain pas de ceux qui sont très haut, en qui on a perdu toute confiance. On a perdu cette valeur travail. On a dévalué les gens. Les techniciens prennent des postes d'ouvriers, du coup, quelle est la place de l’ouvrier ? Comment peut-il lui-même progresser ? »
 
Continuer à y croire... toujours
 
A Cholet, plus jeune, Antoine faisait du sport et encadrait une équipe de volley-ball. Malgré le découragement qui l’a envahi quelques années, il reste combatif: « Il faut continuer à y croire. Avec nos enfants, je me suis engagé à l'école au bureau des parents d'élèves, suis devenu président de l’Ogec. J’ai fait partie d'un club important de VTT puis suis devenu conseiller municipal à Monterfil, un premier mandat en 2004 puis un deuxième mandat. Je suis aussi engagé au sein de Chrétiens en monde rural avec ma femme, une occasion de réfléchir à plusieurs à l'engagement dans la vie en lien avec la foi chrétienne. J’ai basé cet engagement sur l'agir, le sens, les autres. Je continue d'être curieux. J'essaie de faire en sorte que les gens s'appuient sur ce qu'ils ont. J’ai toujours envie et je continue de croire… »
 
 
Propos recueillis par Rozenn Geffroy et Tugdual Ruellan.



1.Posté par Bigot Gigi le 15/12/2016 21:00
C'est fort ! C'est vraiment Histoires Ordinaires : des anonymes, héros de leur vie, de leur combat, de leurs valeur.s.. Merci.

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Pourquoi ce blog ?
Michel Rouger
Et si l’on demandait à chacun d’entre nous ce qu’évoque la devise républicaine, ces trois petits mots, parfois bafoués, souvent mis à mal quand ils ne sont pas oubliés de nos frontons publics ? Et si l’on prenait le temps de s’interroger sur le sens qu’ils prennent ou qu’ils ont pris dans nos vies ?

Alors, les citoyennes et les citoyens nous diraient leur mécontentement, parfois leur colère de n’être pas considérés, entendus, écoutés. Ils nous diraient leurs peurs et leur fragilité dans une économie mondialisée, monétisée, déshumanisée. Ils hurleraient leurs doutes, leur mépris face aux promesses qui leur sont faites et qui ne sont pas tenues.

Mais ils nous diraient aussi leur joie d’être libres, de pouvoir dire, rêver, encore et toujours penser. Ils nous diraient malgré tout leur espoir de voir poindre des jours meilleurs, leur soif et leur espérance de justice et d’égalité.

A l’initiative du député Jean-René Marsac, nous sommes allés recueillir des paroles, des histoires de vie, des réflexions glanées sur ces bouts de chemin croisés. Histoires Ordinaires propose de les mettre en partage sur ce blog.

Tugdual Ruellan

« Les valeurs de notre République et de notre démocratie sont violemment attaquées. Vers de nouvelles formes d'engagement et de dialogue avec nos concitoyens »

Par Jean-René Marsac, député



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