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Maurepas au cœur Maurepas au cœur

Maurepas au cœur

Par des étudiant·es en journalisme de l'IEP de Rennes

Yuksel Beyge, le regard critique d’un migrant à Maurepas


L’honnêteté de notre démarche à Maurepas signifie également récolter des témoignages moins positifs du quartier. C’est le cas de Yuksel Beyge, habitant de Maurepas par nécessité plutôt que par choix, et assez critique envers son lieu de vie.


L’air bourru, dans sa veste en cuir fermée jusqu’au cou, Yuksel est du genre à dire ce qu’il pense. Assis à une table du Babazula, le grand gaillard nous dévisage d’abord avec méfiance. C’est la première fois qu’on se rencontre en personne, après tout. Mais il s’adoucit vite, et met de côté sa carapace pour laisser entrevoir un sourire affectueux.

Une arrivée contrainte

Yuksel Beyge est arrivé en France il y a 32 ans, directement à Rennes. Kurde, originaire de Turquie, il vit d’abord avec une Bretonne, pendant 19 ans. Ayant grandi dans des petits villages comme Mus, Varto et Karapinar, la ville moyenne de Rennes lui plait bien. En 2007, il se marie avec une Kurde, “une fille de chez moi” comme il dit. Après avoir vécu au boulevard de Sévigné, à Patton puis à Villejean, il s’installe finalement à Maurepas en 2009. “Comme j’avais un bébé, on m’a donné un appart à Maurepas, et j’ai accepté. C’est bien, il y a tout ce dont on a besoin à proximité.”

Yuksel a une mentalité simple : si je ne le fais pas, personne ne le fera pour moi. Ainsi, sans avoir fait aucune étude, “pas une minute” rigole-t-il, il a appris seul à parler le français. “J’ai tout fait pour apprendre à parler. J’ai appris en parlant, je disais ‘ça va ?’ et j’essayais de retenir ce que les autres me répondaient.” Une fois ses papiers régularisés, le jeune papa s’est mis en quête d’un emploi. Il travaille d’abord en intérim, en entreprise, puis en manœuvre, et enfin en maçonnerie. Usé par ce métier physique, il a aujourd’hui arrêté de travailler bien qu’il joue de temps à autres de la musique traditionnelle kurde dans les mariages.
“Il n’y a pas vraiment d’intégration”

Derrière l’apprentissage du français, pour Yuksel, il y a l’enjeu de l’intégration en société. “Si tu penses qu’à toi, t’arriveras pas à comprendre et t’intégrer”, lance-t-il simplement. “Il faut accepter les gens, accepter de vivre au milieu de différentes cultures. Si on respecte chaque côté, on pourra vivre ensemble sans souci.”

A Maurepas, tout le monde se respecte, mais les liens sont rarement plus forts que cela. Dans son bâtiment, Yuksel vit aux côtés de Portuguais, Français, Africains, Turcs, Arméniens ou encore Géorgiens. “A l’entrée, on se dit bonjour et on demande des nouvelles, mais pas plus.” L’ancien maçon décrit un quartier divisé par bâtiments, avec peu de mixité entre les HLM. “Je crois que c’est un choix politique”, avance-t-il. “La ville fait exprès de répartir les communautés entre elles, dans leur coin, donc il n’y a pas vraiment d’intégration.” 
 
L’avenir incertain de la dalle du Gros Chêne

En tant que père de famille, Yuksel est également inquiet de l’évolution du quartier, notamment la dalle du Gros Chêne. “Les familles ont peur, moi je n’ai pas confiance d’envoyer mes enfants chercher une baguette tout seuls.” Il y a 4 ans, il a fait une demande pour quitter le quartier, qui n’a toujours pas abouti depuis. Mais, ancien habitant du quartier de Villejean, il sait aussi que la dalle du Gros Chêne est loin d’être la plus dangereuse. “D’un côté, j’ai pas forcément envie de partir”, ajoute-t-il. “ Quand on regarde la dalle de Kennedy, on se dit que Maurepas c’est le paradis.”
 
Selon lui, il y a d’abord un important travail de sécurité à réaliser. “Les flics ne font pas leur travail face aux gens qui restent fumer et boire très tard, ils viennent juste regarder et repartent” souffle-t-il. Yuksel pense qu’une interdiction de la vente d’alcool à partir d’une certaine heure serait une bonne manière de réduire la fréquentation de la dalle. Par ailleurs, il déplore le peu d’actions réalisées dans ce sens. “Pour changer les choses, il faut que les habitants s’y mettent à plusieurs. Comme on dit chez nous, ce n’est pas avec une rose qu’on peut voir le printemps.”
 
Pour autant, le soixantenaire au regard sérieux n’est pas catégorique sur ce quartier qu’il affectionne malgré tout : “C'est simple, si ça ne me plaisait pas, je ne serais pas resté 32 ans ici.”
 
Laurine Le Goff & Camille Debaud




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