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Maurepas au cœur Maurepas au cœur

Maurepas au cœur

Par des étudiant·es en journalisme de l'IEP de Rennes

Pascal Lesage, photographe au service de son quartier


À 59 ans, Pascal Lesage est habitant de Maurepas depuis 11 ans. Malgré un passé douloureux, il utilise aujourd’hui le bénévolat comme moyen de réinsertion dans la société, à l’échelle de son quartier.


Pascal n’aime pas être pris en photo, car le photographe, c’est lui.
Pascal n’aime pas être pris en photo, car le photographe, c’est lui.
Il nous accueille d’un timide “Bonjour”, dans son local photo, au 5 Bd. Emmanuel Mounier. La vue d’ensemble est surprenante au début, mais finalement assez représentative de Pascal Lesage. Des photos en négatif sèchent aux côtés d’appareils photos démontés et d’objectifs, tandis que les murs sont recouverts de ses propres photos et de photos d’archives. Sur les petites tables en bois qui lui servent de salon, il trouve une petite place entre des piles de livres pour se servir une tasse de café.

Pascal, c’est un peu l’oncle sympa du quartier de Maurepas. “Les jeunes m’appellent ‘Tonton’ quand ils me croisent”, confirme-t-il. Pourtant, derrière son sourire timide se cache un sacré personnage, d’origine parisienne.

Pascal a un passé très lourd, qui peut se lire dans les rides de son visage marqué par l’alcool. Mais on aurait tort de le réduire à ces segments de vie, tant il a accompli depuis.

“Pendant des années, mon nom c’était une croix et un numéro"
“Pendant des années, mon nom c’était une croix et un numéro"
Sauvé par “une main tendue”

Avant d’arriver à Maurepas, Pascal était incarcéré pour homicide involontaire. Aujourd’hui, il arrive à en parler mais ne s’épanche pas sur le sujet. “Je regrette ce que j’ai fait”, glisse-t-il simplement, le regard rivé au sol. Ces dix-sept années en prison ont été très difficiles. Atteint de schizophrénie et alcoolique, Pascal a notamment été transféré en cellule de surveillance et de soins médicaux après une tentative de suicide. C’est alors qu’il rencontre cette “main tendue”, un psychologue rennais. “Il m’a dit “je veux bien travailler avec toi, mais soit tu viens avec moi à Rennes, soit tu retournes dans ta merde”. Alors je l’ai suivi et j’ai fait ce travail sur moi-même pour être ici aujourd’hui.”

Il sort de prison en 2010, et s’installe à Maurepas, dans un petit appartement aux Gayeulles. “Pour moi c’était un château !”, rigole le photographe, alors peu habitué à avoir sa propre cuisine et salle de bain. Mais la réadaptation au monde extérieur n’en reste pas moins compliquée. “Pendant un an j’ai dormis dans la salle de bain”, confie-t-il, un peu honteux. “Parce que j’avais peur de chaque bruit, des voisins, et même de la lumière”. Ce n’est qu’en 2012 qu’il sort à nouveau de chez lui. “Le temps pour moi de m’adapter, d’admettre que j’avais encore des problèmes avec les médicaments et que j’avais besoin d’aide”, explique-t-il.

Rencontre avec un paparazzi

Pascal prend alors la décision de se rendre au Centre Social de Maurepas, pour apprendre à lire et à écrire. “Pendant des années, mon nom c’était une croix et un numéro. J’avais 49 ans quand j’ai commencé à lire et à écrire”. Voilà qui en découragerait plus d’un, mais certainement pas Pascal. Avec l’aide de trois professeures de l’UDAF 35, il a appris la lecture et l’écriture en un an, notamment en associant les sons et les couleurs.

Cela lui permet de s’insérer progressivement dans la vie du quartier, qu’il n’a plus quitté depuis. Il commence comme bénévole au Centre Social, puis au Secours Catholique, et travaille pendant un temps au “Café du facteur”. Avec quelques habitants, il crée ensuite le restaurant coopératif “Maurepas passe à table”. L'initiative, qui proposait aux habitants des repas à 5 euros, a duré deux ans.

C’est en 2015 qu’il rencontre Jacques Domeau, le “paparazzi” comme Pascal le surnomme affectueusement. Photographe professionnel, Jacques venait prendre en photo les distributions de repas organisées par Pascal et une troupe de théâtre. “Je suis allé le voir à son cabinet et on a commencé à parler, j’arrivais à parler de tout avec lui”, explique Pascal. Rapidement, il démissionne du Centre Social pour s’occuper à plein temps de l’accueil du cabinet photo de Jacques. Mais celui-ci tombe malade en 2017 et décède quelques mois après. Pascal traverse alors une période sombre et s’isole pendant plusieurs mois. “A sa mort, je me suis rendu compte que j’avais créé des liens forts avec un homme qui m’avait donné beaucoup. Mais moi je n’avais pas fait attention à lui”, soupire-t-il.

Avec l’aide de sa famille, Pascal se reprend. Il s’installe alors au Gros Chêne et ouvre son local photo, spécialisé dans le sténopé et le cyanotype.

“Je vis grâce à ces rencontres"
“Je vis grâce à ces rencontres"
La force de l’entourage

“Dans ce quartier, je suis chez moi”. Cela fait donc 11 ans que Pascal est bénévole à Maurepas, qu’il a progressivement apprivoisé. “Sans Maurepas, je ne serai pas là, je serai retourné en prison”, sourit-il tristement. En participant à des groupes de parole des alcooliques anonymes d’abord, Pascal apprend  à reconnaître ses erreurs et à se faire soigner. “J’ai enfin pu m’intégrer à la société.”
 
Anciennement très colérique, le bénévole a appris à maîtriser progressivement ses émotions et ses comportements. Il n’a jamais retouché à la bouteille et a pris le contrôle sur sa schizophrénie. Mais rien de cela n’aurait été possible sans accompagnement. “J’ai rencontré ici des êtres humains qui m’ont aidé, c’est avec eux que j’ai grandi”, confie Pascal, émotif. “Ils ne m’ont jamais rejeté, ils ont essayé de comprendre et ils m’ont accepté comme je suis”. Son visage, pourtant calme, trahit son émotion. Sans avoir besoin de la formuler, une immense reconnaissance se lit dans ses yeux.

Maurepas, quartier des  secondes chances

Maurepas fut donc un nouveau départ inespéré pour Pascal. C’est un quartier qui se caractérise par sa mixité, un “quartier de transit” comme il le décrit. Aux yeux du photographe, il est principalement composé de migrants, de personnel médical et de jeunes en recherche d’emploi. Ce lieu de réinsertion, Pascal le comprend mieux que personne. “J’ai rencontré beaucoup de personnes d’ailleurs, ce sont des rencontres qui m’ont porté et incité à continuer le bénévolat”.

Le mantra de Pascal aujourd’hui n’est pas anodin : il faut savoir donner pour recevoir. Le quartier de Maurepas l’a accueilli, épaulé, raconte-t-il. “Je vis grâce à ces rencontres, je transmet ma passion de la photo aux autres". Ce que Pascal apprécie par-dessus tout, ce sont les habitants qui ont su écouter son histoire, et ses blessures.

“J’ai beaucoup reçu, aujourd’hui je donne”

Au contact des migrants du quartier, il a appris à relativiser. “J’ai parlé avec des personnes qui venaient d’ailleurs, avec d’autres souffrances. Certaines ont connu la guerre, perdu leur famille…” Pascal refuse alors de pleurer sur son propre sort, et décide de s’engager.

“J’ai beaucoup reçu, aujourd’hui je donne”. Le bénévole consacre aujourd’hui sa vie à leur donner la seconde chance à laquelle il a eu le droit. Il a par exemple accompagné plusieurs habitantes de Maurepas au tribunal, après des agressions. “Ça m'a mis une claque de passer de l’autre côté de la barre”, soupire-t-il. “Mais grâce à ces personnes qui m’ont donné leur confiance, j’ai enfin pu me dire que ce que je fais c’est beau”.

Et Pascal en a fait, de belles choses. Comment ne pas raconter l’histoire, semblable à un conte, de Rifaï de Mayotte. Ce jeune migrant est venu un jour au local pour faire un stage de photo. Au bout du 15e jour de stage, Rifai a annoncé à Pascal qu’il allait officiellement arrêter de dealer pour chercher un travail. Mais Pascal ne s’est pas arrêté là. Il lui trouve un travail de sept mois dans le bâtiment, et l’aide à recontacter son père. C’est non sans fierté que le bénévole raconte que son “gamin” Rifai est aujourd’hui retourné à Mayotte avec son père, où il a ouvert un local de photographie sténopé.

“Je le fais peut-être aussi pour qu’on me pardonne”, chuchote Pascal doucement. “En tout cas, ici je suis chez moi.”

Cet été, pour ses 60 ans, Pascal prévoit de retrouver sa mère dans le quartier du 93, comme il le dit si bien. Soit une belle revanche, de retourner, apaisé, là où tout a commencé.

Laurine Le Goff

 




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