Le suicidé de la société d'Antonin Artaud

Dans l'émission Tracks sur Arte en novembre 2013, Eric Cantona interpelle le journaliste qui l'interviewe: " Vous avez lu Antonin Artaud, le suicidé de la société ? Non ? " Implacable, il ferme les yeux: "C'est dommage". Rattrapage.


Le suicidé de la société d'Antonin Artaud
Le poète Antonin Artaud (1896-1948) a passé neuf ans dans un asile psychiatrique. Le titre exact de l'oeuvre ? "Van Gogh, le suicidé de la société". Dans cet ouvrage posthume, Antonin explique que Van Gogh n'était pas fou. Qu'au contraire, il était sensible et... sensé.

En quoi êtes-vous fou plus qu'un autre ?

Il pose surtout la question de la folie : en quoi êtes-vous fou plus qu'un autre, en quoi gênez-vous la société plus qu'un autre ? Il note que la folie varie selon les époques, ce qui l'invalide à ses yeux. Le tout ouvre encore le chant des possibles comme une symphonie qui ne cherche pas l'harmonie. Le droit à l'essai, à la folie, à l'imagination pour aller plus loin est essentiel dans un monde où les prescripteurs se proclament agitateurs.

La sphère démente que les médecins ordonnent de soigner

Selon Artaud, la société est responsable du suicide de Van Gogh car elle n'aime pas les esprits libres. Il englobe par là sa propre condition ainsi que celle de ses contemporains, pris eux aussi, dans une sphère démente dont on n'a jamais pu les en défaire, dont on a tenté de les soigner. Or, Artaud cherche, lui, à ne pas s'en défaire puisqu'il s'agit là d'une façon d'être au monde et d'exister par son propre esprit, sans chercher à se façonner, à l'étriquer pour être aux Autres, pour être compris, être comprimé. 

« Dans Van Gogh le suicidé de la société, publié en 1947, Antonin Artaud fait de la violence de Van Gogh la réponse à l'obscénité haineuse du monde et des psychiatres ; de sa folie, une réponse de l'âme à l'imbecilité universelle qui lui souffle « Vous délirez ». Alors Van Gogh s'est tué parce qu'il ne pouvait pas tuer le psychiatre, le docteur Gachet. Il s'est tué parce qu'il ne pouvait plus supporter ce « délire » qu'on attachait à ses pas.

Un formidable embrasement d'escarbilles d'hyacinthe opaque et d'herbages de lapis-lazuli

« Je vois à l'heure où j'écris ces lignes, le visage rouge sanglant du peintre venir à moi, dans une muraille de tournesols éventrés, dans un formidable embrasement d'escarbilles d'hyacinthe opaque et d'herbages de lapis-lazuli. Tout cela, au milieu d'un bombardement comme météorique d'atomes qui se feraient voir grain à grain, preuve que Van Gogh a pensé ses toiles comme un peintre, certes, et uniquement comme un peintre, mais qui serait, par le fait même, un formidable musicien. »

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