24 Février 2022


Lahcen Bouhssini, président de Mosaïque Bretagne Maroc : ouvert, impliqué, prêt au dialogue


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Accompagnement à la scolarité, activités pour les femmes, échanges interculturels, foot, c’est l’association « Mosaïque Bretagne Maroc ». Son fondateur, Lahcen Bouhssini, est installé à Villejean depuis trente ans. Il est un militant de l’intégration sociale, culturelle, sportive et professionnelle. Les manifestations de violences… Il en est témoin. Son rôle à lui : agir sur les causes. Entretien.
Un combat de 40 ans au service d’une société multiculturelle

Lahcen est une personnalité connue dans le quartier de Villejean. La longévité de son association - 20 ans cette année - et son engagement inspirent le respect. Les locaux de Mosaïque se situent à quelques pas de la dalle. A proximité d’un lieu considéré comme sensible. Le Marocain de 71 ans n’évoque qu’à demi-mots le trafic de stupéfiants qui s’y déroule. Comme s’il ne voulait pas juger les jeunes tombés dans ce business.

« Je ne suis pas un éducateur de rue. Ces jeunes sont majeurs. C’est leur choix de vie. Je peux au mieux leur donner un conseil : faire attention aux conséquences de vos actes ! Mais je n’ai pas d’alternative constructive à leur proposer, que ce soit sur le plan économique ou professionnel. Alors, je me tais.". Le président de Mosaïque connaît un certain nombre de jeunes adultes du quartier. Il les a vus passer dans son association lorsqu’ils étaient en primaire et qu’ils avaient besoin d’aide aux devoirs, le soir après la classe. Ces jeunes le saluent en général avec respect.

« Quand on est entre nous, dans les locaux de l’association, tout fonctionne. Alors qu’une fois dehors, ce n’est plus notre territoire. Cela fait dix-huit ans qu’on fait de l’aide à la scolarité et on le fait bien. Nos bénévoles sont d’une grande qualité humaine, ils sont dévoués. Ce n’est jamais perdu. Les jeunes se souviendront plus tard qu’on les a aidés, qu’un adulte s’est occupé d’eux à un moment où ils en avaient besoin. »  

Au pot de départ d’une jeune en service civique à Mosaïque
Des locaux à rénover

Pour Lahcen, le vivre ensemble est une priorité au même titre que l’éducation, la citoyenneté ou les droits de la femme. Convaincu que son programme d’activités est utile pour la société, il aimerait que la ville de Rennes soit davantage bienveillante avec son association. Ce qui passerait d’abord, selon lui, par des locaux  plus accueillants.

« Nous louons un espace bien placé mais qui a besoin d’être rénové. Lorsqu’il pleut, l’eau dégouline du plafond dans notre pièce principale. Ca fait des années que j’alerte les services de la ville. On m’a annoncé pour janvier 2022 un déménagement dans un local provisoire, le temps de faire des travaux dans le local actuel. Il était temps. Accueillir des personnes extérieures et des jeunes dans ces conditions, c’est comme si l’institution nous traitait comme une population de seconde zone. »

Avec ses 250 adhérents et une cinquantaine de bénévoles, Mosaïque-Bretagne Maroc estime faire sa part dans une mission qui participe à la cohésion sociale. Pourtant même en s’investissant 40 heures par semaine, le président dit s’épuiser à la tâche. Il a besoin de davantage de subventions pour fonctionner.

« J’ai détaillé mon projet à la municipalité de Rennes en 2019. Manque de chance, les élections sont passées par là et j’ai dû redéposer mon dossier fin 2020. Locaux, recrutement d‘éducateurs professionnels, aide à la gestion, j’ai estimé nos besoins à 100 000 € annuels. »

Lahcen Bouhssini détaille cette somme qui paraît à priori élevée. Deux salaires d’éducateurs, l’un pour la scolarité, l’autre pour l’entrainement des jeunes du club FC Mosaïque. Un mi-temps pour la gestion quotidienne de l’association - bilans, comptabilité, planning - Et un budget pour le renouvellement du mobilier, notamment les chaises inconfortables récupérées il y a 30 ans au collège.

L’accompagnement à la scolarité :65 jeunes accompagnés par une douzaine de bénévoles
Manque d’influence

On ne peut pas reprocher au pilier de l’association, marqué par des décennies  d’engagement républicain, de s’enfermer dans des postures communautaires. On le sent ouvert, impliqué, prêt au dialogue. Lui aussi admet la dégradation du climat social à Villejean et les violences qui vont avec (1) . Il tente de prendre de la hauteur pour l’analyser.

«  Les opinions politiques extrêmes ont pris de l’importance ces dernières années. De l’extrême gauche à  l’extrême droite, j’entends des discours haineux contre les immigrés, les étrangers. Cette idéologie se diffuse dans l’opinion. C’est un frein au vivre ensemble. Créer une société multiculturelle, ça prend du temps. Le temps d’éduquer, de s’engager. Les immigrés de ma génération ont gagné bien des combats en quarante ans. Nos droits sont reconnus. Cela dit, nous sommes encore peu présents dans la sphère politique. Bien que nous représentions 15 à 20 % de la population, nous sommes sous-représentés dans les instances municipales ou parlementaires, par exemple. C’est aussi le cas dans les milieux économiques, professionnels, politiques. Nous manquons d’influence. »

Fin 2021, Lahcen Bouhssini a reçu de bonnes nouvelles : renouvellement de son contrat de mission d’accompagnement à la scolarité, validé par la Caisse d’Allocation Familiale jusqu’en 2025. Partenariat renouvelé avec la municipalité de la Chapelle-des- Fougeretz pour la gestion  du jardin marocain (2) . Et promesse de la ville de Rennes d’un nouveau local provisoire. Le président Mosaïque-Bretagne-Maroc a bien besoin de ces encouragements.

Catherine Verger.
 
1) En 1999, « l’Association des Amis du Voyage », l’association dont est issue « Mosaïque Bretagne-Maroc » avait commandé à des sociologues rennais une étude sur les relations sociales à Villejean : « Examen des processus de racisation et rôles des associations ». Auteurs : Véronique Vasseur avec la participation de Angélina  Etiemble et Sébastien Jarnot. Il a été publié aux Editions Quest’us

2) Le jardin marocain a été créé dans les années 2000. Il est situé à la Chapelle-des-Fougeretz en bordure de l’étang du Matelon. La commune assure la gestion et l’entretien du jardin. L’association Mosaïque-Bretagne-Maroc y organise des manifestations culturelles : accueil de groupes, visites thématiques autour de la flore et de l’architecture, participation à la fête des confitures...

A retrouver : le portrait vidéo réalisé en 2018