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Parfums d'espoir

Ania, 19 ans, dans la guerre du Haut-Karabakh

Lundi 21 Février 2022

Reportage de Yasmina Akar, Luc Alaux (texte et photos) - Elnaz Nahavandi (dessin)


Ania, jeune Arménienne de 19 ans, nous raconte son histoire après le conflit frontalier entre l'Arménie et l’Azerbaïdjan. Ce qu’elle ressent aujourd’hui, un an après la guerre, est une constante inquiétude face à un avenir peu prometteur.
Ania, 19 ans, dans la guerre du Haut-Karabakh

La république du Haut-Karabakh proclame son indépendence en 1991 après la chute de l’Union Soviétique. Cependant, l’Azerbaïdjan ne reconnaît cette proclamation, puisque cet état est enclavé dans l’Azerbaïdjan. La république souhaite un rattachement à l’Arménie, mais les tensions demeurent fortes entre les deux pays. Ceci mène à l’éclatement du conflit en 1991, et à son déclenchement en 2020.  

Le 27 septembre 2020, la capitale du Haut-Karabakh, Stepanakert, est bombardée par l’aviation azérie. L’Azerbaïdjan reçoit le soutien de la Turquie. Ceci a fait une défaite remarquable pour les Arméniens, jusqu’au cessez-le-feu sous l’intervention de la Russie. L’Azerbaïdjan a pu conquérir la plupart de cette région, qu’elle avait perdu auparavant en 1991.

Ce conflit de 44 jours sur le Haut-Karabakh a fait plus de 6 000 soldats morts et 150 non-combattants décédés. Sans compter les nombreux blessés et ceux qui ont dû se déplacer. Pourtant, aujourd’hui, plusieurs Arméniens sont effectivement revenus au Haut-Karabakh, mais ils restent constamment effrayés. Nombreuses sont les personnes qui ont dû quitter leur foyer, chassées par ce violent conflit qui dure depuis des années.

Ce qui reste maintenant de ce conflit sont des souvenirs et des rêves brisés, portés par ces familles qui ont dû tout quitter, tout recommencer. Parmi elles, Ania et sa famille.

« J’ai oublié ce que c’était de me sentir chez moi »

Le sourire d’Ania semblait à bien couvrir ses émotions de peur et de fatigue. Ce n’était pas facile de parler d’une situation aussi délicate, mais elle a tenu à nous raconter son histoire.
« Tout a commencé lorsque mes amies et moi avons été surprises par l’explosion de la maison de mes voisins, cela était un choc. Nous étions paniquées. Nous n’avons pas compris ce qui se passait, et nous n’avons pas su comment réagir. Le temps semblait s'arrêter. Il est vrai que nous étions réveillées quand cela s’est passé, mais on n’arrivait toujours pas à comprendre. C’était terrifiant ».
Ania vivait tranquillement à Nagorno-Karabakh, précisément dans la capitale Stepanakert. Son père travaillait comme professeur de sciences, et sa mère est une femme au foyer. Elle était en train de passer une bonne soirée avec ses copines chez elle à la maison, quand soudainement elles entendent des bruits très forts de tirs à côté. Elles sont surprises, et vont vers la fenêtre de leur salon. Elles voient l’immeuble du voisin d’Ania brûler en flemme.

C’était une explosion. Leurs voisins avaient construit leur maison eux-mêmes, et ça faisait plus de 25 ans qu’ils vivaient là-bas. Mais désormais, ils n’avaient plus qu’un tiers de cette maison, que des pierres et des chagrins.

Ania appelle ses parents qui n’étaient pas à la maison pour leur expliquer la situation, et ces derniers lui disent de les attendre et de rester tranquille. Ses amies, sa sœur de 17 ans et son frère de 13 ans qui étaient dans la maison aussi, avaient très peur. Et elle aussi.

Quand ses parents sont arrivés, Ania se sens plus en sécurité. Ses parents les rassuraient, en pensant que cela se terminera au plus vite. Deux jours passent, très lentement. Après avoir été témoin des effrondements d’autres maisons à côté, et entendre plein de morts et blessés, en si peu de temps, sans oublier les tirs constants, ils ont décidé de partir.

Chaque jour était pire que l’autre. Les nouvelles n’étaient pas prometteuses. Les jeunes soldats mourraient chaque jour, de plus en plus nombreux. Des gens qu’ils connaissaient ont perdu leur maisons, leur proches, ou étaient gravement blessés.

Ania a préparé ses affaires au plus vite. Elle a pris très peu d’affaires, notamment son passeport, puisqu’elle ne comprenait pas ce qui se passait, et elle n’avait pas de temps. Les tirs étaient tellement proches qu’ils ne pouvaient pas sortir du tout, et donc ils n’étaient pas capable d’aller chercher de la nourriture, ni même dormir en paix.

Par la suite, la mère d’Ania s’est pressée pour laisser leurs enfants partir. Le père d’Ania lui ne voulait pas partir. Il voulait rester pour trouver une solution et voir ce qui allait se passer après être certain que ses enfants allaient être à l’abri.

Ania est partie avec sa mère, son petit frère et sa petite sœur à son village, Astghashen. Ils ne voulaient pas se séparer de leur père, mais la mère d’Ania ne voulait pas rester une seconde de plus en laissant ses enfants en danger. Sa mère pensait que le village allait être plus sécurisé pour ses enfants, mais ce n’était malheureusement pas le cas.

Même loin de Stepanakert, ils pouvaient entendre les bruits d’autres explosions et de tirs. Ils ont du resté deux semaines dans le sous-sol; et le danger était toujours là. Ils ont eu beaucoup de mal, puisqu’ils sont restés sans électricité, avec très peu d’eau et de nourriture. C’était horrible de devoir se cacher en espérant que les tirs s’arrêteront et qu’ils pourraient éventuellement rejoindre leur père à leur maison.

Donc, après ces deux semaines, Ania est partie avec son frère et sa sœur à la capitale, sans sa maman. Ils n’avaient pas de temps à perdre, puisqu’ils avaient peur que le conflit se rapproche et s’étend au village. La mère d’Ania ne voulait pas laisser son mari seul, et elle n’avait pas de batterie sur son téléphone portable pour pouvoir l’appeler, puisqu’elle n’avait pas d’électricité pour plusieurs jours. Elle est donc partie à Stepanakert pour chercher son mari. Elle faisait confiance en Ania pour s’occuper de sa sœur, et surtout de son petit frère. Elle voulait trouver son mari pour rester à ses côtés et trouver un endroit où ils pouvaient tous vivre, loin du chaos.

Mais, le père d’Ania était tellement traumatisé des bruits constants de bombardement, qu’il a commencé à avoir des complications sévères. Il n’arrivait plus à prendre des décisions, ni à penser correctement. Il répondait plus, sa situation était inquiétante. La maman d’Ania perd beaucoup d’espoir en voyant que son mari, qui devrait être son mécanisme de support et celui de la famille, ne capte plus rien.

Pendant ce temps, Ania est arrivée à Erevan chez sa grand-mère, sans ses parents, qui eux étaient désormais bloqués là-bas.
« Mon père est resté là-bas, car il avait de l’espoir que ceci allait se terminer et qu’on retournera comme si rien n’était. Il savait que s’il partait de la ville, il ne pouvait pas facilement trouver un travail. Il voulait simplement faire son boulot de père, pour nous encourager financièrement et protéger notre maison. Mais il ne s’attendait pas à tellement de pression et d’horreur. Il a commencé à avoir des problèmes de santé et a passé la plupart de son temps à l’hôpital. C'était tellement difficile de partir sans mes parents. Je devais être forte parce que j'étais la grande sœur. Je devais rassurer mon frère et ma sœur, alors que moi-même, je ne savais pas ce qui allait se passer ».

Ania ne pensait pas que cette guerre allait durer 44 jours, et ses parents non plus. Elle est venue dans la capitale avec beaucoup de responsabilités sur ses épaules. Sa grand-mère était très âgée, très fatiguée. Elle vivait dans une maison bien placée, mais pas assez grande. Rien n’était renouvelé depuis que le grand-père d’Ania est décédé il y a deux mois. Elle perdait la tête, et donc ne rendait pas la situation plus facile.

Ania a dû trouver un travail pour pouvoir quitter le petit appartement de sa grand-mère, payer un nouveau loyer et nourrir ses frères et sœurs. Elle voulait évidemment s'offrir le minimum de confort dont elle profitait dans sa ville natale.

La guerre lui a fait porter des responsabilités qui l’ont fait mûrir de 10 ans. Cette jeune fille de 19 ans, les yeux fatigués, portait sur son visage les traces de cette défaite. Même si cette dernière ne l’a pas blessé physiquement, elle subit les conséquences de cette guerre perdue, et fait partie de ces milliers d’Arméniens qui ont vu leur vie bouleversée.
« Aujourd'hui, un an plus tard, je travaille comme hôtesse dans un restaurant, je poursuis mes études en linguistique à l’université du nord à Erevan, et je m'occupe de ma famille, notamment de mon père, puisqu’on l’as ramené chez nous après la fin de la guerre. Il ne pouvait pas rester seul avec ma mère qui elle aussi avait besoin d’aide et de soutien. Mon frère pleurait beaucoup, et me demandait tout le temps: quand est-ce que reviennent papa et maman? Ils nous ont quitté pour de bon? Je ne savais pas quoi lui répondre. J’ai essayé de le rassurer, mais je n’arrivais pas ».  

Après ces 44 jours, la guerre était finie. Alors, la maman d’Ania a décidé de venir les chercher pour vivre ensemble dans son village. Mais Ania ne voulais pas retourner. Elle et sa sœur avaient trop peur et elles ne voulait absolument pas laisser leur père au village, car c’était trop pour lui. Il devait changer d’environnement pour que sa situation s’améliore. À Stepanakert, c’était encore dangereux, et instable.
« On aurait pu trouver une autre ville moins coûteuse peut-être, mais tout s’est passé trop vite, on ne savait pas où aller en si peu de temps » ajoute Ania. « On n’arrivait pas à faire des bonnes décisions, on était vraiment perdus surtout que notre préoccupation principale est devenue la santé de notre papa. J’ai pu convaincre ma maman de partir de la région définitivement, et faire peut-être quelques visites à la maison après pour chercher nos affaires. Mais notre famille a été séparée car on ne pouvait pas tous aller à Erevan avant de trouver un bon endroit pour vivre.

Alors, aujourd’hui, mon père, ma sœur et moi vivons ensemble à Erevan, dans un appartement vieux et coûteux que je paye moi-même. Ma mère est mon petit frère sont eux partis à Astghashen, mon village.

Et à chaque fois que je dis ça aux gens, ils me demandent : comment peux-tu te débrouiller ? Tu es si jeune. Je ne sais jamais quoi leur répondre… Donc je ne réponds pas, je souris simplement. Mais d’autres Arméniens ont vécu pire, et plusieurs doivent se trouver un endroit pour s’installer avec leur famille, et donc nous sommes tous dans la même situation, vivons le même cauchemar ».

« Quand on voit le pire, tout le reste semble dérisoire »

Ania a fondu en larmes alors qu'elle nous décrivait la pression qu’elle subissait. « Je n'en ai jamais parlé à personne, je ne sais même pas pourquoi ».

Comme beaucoup, elle n'a pas reçu d'aide du gouvernement arménien. Elle veut quitter le pays le plus tôt possible, et avoir un appartement décent pour elle et sa famille. Elle veut être réunie avec sa maman et son petit frère, pour qu’ils puissent manger à table comme ils faisaient avant, tous les jours au petit-déjeuner.

Partir du pays n’est pas facile pour une personne si attachée à son pays. Cependant, la peur ne lui laisse pas le choix. La ville est désormais triste, et plongée en peur et en mauvais souvenirs.

Les Arméniens sont en général très souriants, mais on remarque dans leurs yeux qu’ils sont fatigués, tout comme Ania. La guerre n’est pas facile, pour personne, et ça prend beaucoup de temps pour pouvoir mettre les souvenirs de gens morts, blessés, maisons détruites, et cœurs brisés de côté. On demande à ces personnes de prétendre comme si rien n’était.
« J'aime mon pays et ma ville natale. Mais ici, à Erevan, je ne me sens pas en sécurité, comme une étrangère. Je ne fais rien, juste je travaille, en espérant de finir mes études au plus vite pour ne plus avoir à payer mes frais de scolarité, et pouvoir payer un meilleur loyer. Je n’ai simplement aucune vie sociale, et voir mon père dans cette situation chaque jour me déprime. Je me sens coupable si je sors pour boire un verre en le laissant avec ma petite sœur, je suis responsable.

Ma sœur veut arrêter ses études à l’école pour se trouver un travail et faire de l’argent, mais moi, je ne le tolère pas. Arrêter l’école pour travailler à son âge n’est pas la solution et je n’accepterai pas d’arrêter son future comme ça. Moi, c’est différent. Je suis au collège, et je suis la grande soeur. Je n’ai pas arrêté mes études, et je n’arrêterai pas.

Je pourrais retourner dans ma ville natale, mais je ne veux pas me mettre à nouveau dans une situation dangereuse. Même ici, j’ai peur que l'ennemi azéri attaque la capitale. Lorsque nous sommes revenus dans la ville de Stepanakart, je n’oublierai jamais le regard provoquant des soldats azerbaïdjanais. J’ai toujours cette angoisse pour ma maman et mon petit frère. Je dois absolument trouver une maison pour qu’on puisse tous se réunir, en famille, une autre fois ».
Ania veut être forte et indépendante pour rendre sa famille heureuse et la mettre à l’abri, car elle craint que la guerre aille reprendre et l’atteindre à nouveau.

« Si j'étais venue dans la ville par choix et par libre-arbitre, cela aurait été bien différent du sentiment de devoir le faire parce que je n'ai nulle part où aller. La moitié de mon argent va aujourd'hui pour le loyer, je suis épuisé de travailler, d'étudier, de m'occuper de la maison… J’aimerais pouvoir m’inquiéter de choses courantes comme mes notes d’examen, ou bien ma vie amoureuse… Mais je ne peux pas ».
Il n’y a pas de lieu comme la maison

Ania exprime son manque de confiance envers le gouvernement qui l’a laissé se débrouiller seule.
Elle veut vivre une vie simple où sa sécurité est assurée et où elle pourrait se sentir à nouveau chez elle.
« Je n'ai aucun problème avec les Azerbaïdjanais parce que je sais qu'ils ont souffert comme moi. Je ne veux pas que la guerre éclate à nouveau. J'ai cette peur constante que cela se produise tous les jours. J'ai perdu deux de mes cousins ​​à cause de cette guerre. Nous avons trouvé leurs corps… ou ce qu'il en reste… Tout ça à cause de la guerre. Je déteste la guerre. Je veux vivre dans ma maison d’enfance, car c’est le seul endroit où je suis confortable et en sécurité ».

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