« Des médias de plus en plus concentrés, des journalistes de plus en plus dociles, une information de plus en plus médiocre. Longtemps, le désir de transformation sociale continuera de buter sur cet obstacle. S'il faut néanmois tempérer la noirceur d'un tel bilan, c'est uniquement en raison des échecs de la propagande. La vie sociale résiste à l'écran. (...) Cela fait longtemps que les responsables politiques et syndicaux s'accordent pour ne plus aborder la question de l'information et de son contrôle démocratique, y compris quand ils se proclament radicaux.
Sur ce sujet précis, les "altermondialistes" et les révolutionnaires filent aussi doux que les autres. Ils ont peur des médias et de leur pouvoir, peur du pouvoir qu'ils ont concédé aux médias. S'étant résignés, avec plus ou moins de volupté, à la personnalisation des mouvements et des luttes qu'induisent à la fois le régime présidentiel et la décadence du journalisme, étant parfois eux-mêmes atteints d'un petit tropisme narcissique - un travers que l'exposition répétée aux flashs des reporters épanouira en cancer -, même les plus militants estiment dépendre de la presse pour se faire entendre. Ils se montrent par conséquent disposés à toutes les mises en scène pour qu'elle ne les oublie pas. Mais les combats porteurs sont ailleurs. (...)
Parlant des journalistes de son pays, un syndicaliste américain a observé : "Il y a vingt ans, ils déjeunaient avec nous dans des cafés. Aujourd'hui, ils dînent avec des industriels." En ne rencontrant que des "décideurs", en se dévoyany dans une société de cour et d'argent, en se transformant en machine à propagande de la pensée de marché, le journalisme s'est enfermé dans une classe et dans une caste. Il a perdu ses lecteurs et son crédit. Il a précipité l'appauvrissement du débat public. Cette situation est le propre d'un système : les codes de déontologie n'y changeront pas grand-chose. Mais face à ce que que Paul Nizan appelait " les concepts dociles que rangent les caissiers soigneux de la pensée bourgeoise", la lucidité est une forme de résistance. »
Serge Halimi Les nouveaux chiens de garde, Raisons d'Agir, 2005
Et pour le son et l'image :
Documentaire "Les nouveaux chiens de garde" réalisé par Yannick Kergoat et Gilles Balbastre (2012).
Documentaire "Les nouveaux chiens de garde" réalisé par Yannick Kergoat et Gilles Balbastre (2012).