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1001 histoires avec ATD Quart Monde

La misère n'est pas une fatalité

Écoutez ou relisez les "31 histoires pour un monde autrement" éditées par ATD Quart Monde Grand Ouest et Histoires Ordinaires

Juste un rêve ? LA FAMILLE PAKOMNOU ou histoire d'y croire... (p.120)


Samedi 1 Juillet 2017

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Dans la famille Pakomnou, je voudrais... le père !
Le père ? Il est au bord de la rivière. Il ajuste ses vêtements fatigués, passe un peigne dans ses cheveux et attrape deux de ses enfants par la main. Allez, en route !
Dans la famille Pakomnou, je voudrais... la mère !
La mère ? Elle débarbouille comme elle peut les plus petits pour qu'ils arrivent propres dans le bourg.
Dans la famille Pakomnou, je voudrais... le grand frère !
Le grand frère, il ferme la marche. Il porte un violon sur son dos.

C’est mercredi… Au fur et à mesure que la famille Pakomnou fait son entrée dans le village, portes et fenêtres se ferment. Les mères rappellent leurs enfants. Ah oui, bien sûr, c'est l'heure du goûter.
Bizarre, derrière les carreaux, les rideaux bougent. Derrière les rideaux, on distingue des silhouettes. Mais qu'est-ce qu'ils viennent faire chez nous ?
La famille Pakomnou avance sur le trottoir. Par endroits, des touffes d'herbe ont crevassé le goudron. Dans la rue principale, des maisons ont leurs fenêtres murées. Sur le mur de l’école, une banderole :
Non à la fermeture ! Sur la vitrine de l’épicerie-bar-tabac, une pancarte : A vendre…

Les Pakomnou montent les marches de la mairie. Le père, entouré de toute sa famille, frappe au bureau de la secrétaire.  
Toc, toc, toc, y aurait pas de la place pour nous ? C’est pour dormir.
Vous croyez que vous êtes les seuls ? Les gens de chez nous sont prioritaires. Désolée...

Au même instant, quelque part sur la terre… une femme et ses enfants sortent en courant de leur maison qui s’écroule sous les bombes.

Alors… devant la mairie, les fleurs du parterre se fanent.

Les Pakomnou traversent la place et entrent dans l'école. Ils frappent au bureau du directeur.
Toc, toc, toc, y aurait pas de la place pour nous ? C'est pour qu'ils apprennent.
Mais vos enfants ne parlent pas le français, ils vont faire baisser le niveau ! Désolé...

Au même instant, quelque part sur la terre… un taliban arrache le cartable d'une écolière :
les filles n'ont pas besoin de savoir lire !

Alors... dans la cour de récré, les oiseaux s’arrêtent de chanter.

Les Pakomnou continuent leur chemin. Un des petits montre du doigt un bâtiment vitré, plein de couleurs. C’est la bibliothèque !
Toc, toc, toc, y aurait pas de la place pour nous ? C’est pour les faire rêver !
Mais vos enfants ne connaissent pas notre langue ! Désolé...

Au même instant, quelque part sur la terre… des soldats pillent des maisons, entassent les livres sur la place et y mettent le feu.

Alors... dans la bibliothèque, les livres se referment.


Plus loin, une affiche du Resto du cœur les attire. Ils sont au Centre Social.
Toc, toc, toc, y aurait pas de la place pour nous ? C’est pour manger !
Le stock du mois est épuisé! Nous n’avons plus de bons d’alimentation. Désolé...

Au même instant, quelque part sur la terre… une maman remue des cailloux dans une marmite, pour faire croire à ses enfants qu'ils vont manger.

Alors... devant le Centre social, le vent se lève et gronde.

Devant eux se dresse l'église, les portes grandes ouvertes. La famille Pakomnou entre pour s'y reposer.
Toc, toc, toc, y aurait pas de la place pour nous ?
Personne ne répond. L'église est vide. Soudain des pas résonnent sur les dalles.
C’est l’heure de la fermeture, dit le curé. Désolé...
Au même instant, quelque part sur la terre… des Tibétains se faufilent dans une grotte pour y chanter en cachette.

Alors… dans l'église verrouillée, les statues se mettent à pleurer.

En sortant du village, les Pakomnou longent une ferme. Dans une prairie bien verte, des vaches broutent. Des moutons jouent à saute-mouton. Un bouc barbu conte fleurette à sa biquette. Un cheval galope crinière au vent.
Toc, toc, toc, y aurait pas de la place pour nous ? C’est pour mon grand, il sait travailler !
Vous arrivez trop tard, les blés sont fauchés, la récolte est terminée. Désolé...

Au même instant, quelque part dans le monde… un paysan sans terre est fusillé pour avoir contesté.

Alors... derrière la grange, le soleil se cache.

La famille Pakomnou, le père, la mère, leurs six enfants se dirigent vers la rivière. Sous le pont, ils seront à l'abri. Ils installent leur campement.
Tiens ! Il manque l'aîné des enfants. Le père se retourne : son fils est au bord de la prairie, immobile comme un rocher. Le cheval s'approche et pose son museau sur l'épaule du garçon.  
Son père l'appelle. Hé ! Le cœur battant, son fiston dévale le champ en faisant tournoyer son violon comme un lasso.

Plusieurs jours passent. Dans la journée, le père s'en va ici et là. Il cherche. Où se loger. De quoi manger. Où travailler. Il cherche.
Le soir, le grand prend son violon. Il joue. Pour lui, pour sa famille, pour le soleil, pour la lune, pour rire, pour les fleurs, pour la vie. Dès le premier coup d'archet, le cheval galope tout en bas de la prairie et reste là à l'écouter.

Une fin d'après midi, le cheval arrive en hennissant. Il se frotte au garçon comme s'il voulait lui dire quelque chose. Celui-ci le suit en courant jusque dans le bourg. Le maire est allongé au milieu de la place. Des personnes l'ont vu tomber en portant sa main au cœur.
Il a fait un malaise ?  
Bien sûr qu'on a appelé les pompiers, mais la ville est à 35 km et ici, il n'y a ni médecin, ni pharmacie.
Le jeune homme enfourche la monture et fonce chercher son père. Il le prend en croupe. Ils repartent à toute allure. Le père se penche sur le corps inerte de l'élu. Il sort de sa poche un flacon. Il le débouche et le fait respirer au maire qui tout à coup reprend connaissance.
C'est mon métier, dit le père, j'étais médecin dans mon pays.  
Les habitants assistent à la scène, se grattent la tête. Ils n'en croient pas leurs yeux.

Ce soir-là, pour la première fois, ils se sont tous retrouvés chez la voisine autour d'un p'tit remontant. Et puis tout en parlant, la voisine de la voisine s'est souvenue que la maison de sa belle-mère en bas du bourg était inoccupée. C'est bête, non ?

Six mois plus tard, arrêt sur image : la famille Pakomnou monte les marches de la mairie.
Le père, la mère, 1, 2, 3... 6 enfants + un bébé dans les bras de la maman. Derrière eux, tout le village !
Pourquoi ? C'est le baptême républicain du petit dernier.
Qui c'est le parrain ? Monsieur le Maire tiens !
Et la marraine ? La bibliothécaire en personne !

Hé ! Regardez les fleurs du parterre ? Complètement épanouies...
Ça, c'est grâce au crottin ! On vous explique.

Primo : l’école n’a pas fermé, on a même ouvert une classe !
C'est le cheval de la ferme qui fait le ramassage scolaire. Le violoniste conduit l'attelage :
 y a de l'ambiance dans la charrette !
Secundo : maintenant que la commune a un docteur, ça fait venir des gens !

On avait bien besoin aussi d'un balayeur pour ramasser le crottin.

D'un jardinier pour le répandre dans les jardins.

D'une femme de ménage qui raconte à la bibliothèque des histoires aux bambins.

D'un cantonnier pour entretenir les trottoirs et faire les courses de nos anciens.

D'un vitrier qui répare les fenêtres et accueillent les nouveaux voisins.

C'est pas fini ! Madame Pakomnou a rouvert le café-épicerie-bar-tabac. Dans son magasin, on peut acheter des produits introuvables chez nous, ceux d'un petit pays quelque part sur la terre...

Cécile Danguy, Marie-Françoise Huet, Maryvonne Chartier, Martine Durand, Marie Bruneau, Albert Peyret, Gigi Bigot (ATD Rennes)


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