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1001 histoires avec ATD Quart Monde

La misère n'est pas une fatalité

Écoutez ou relisez les "31 histoires pour un monde autrement" éditées par ATD Quart Monde Grand Ouest et Histoires Ordinaires

« Je voulais te donner une nouvelle » (p.107)


Lundi 3 Juillet 2017

je_voulais_te_donner_une_nouvelle.mp3 je voulais te donner une nouvelle.mp3  (19.11 Mo)

Texte écrit à partir des idées de Jessica, Lison, Luis, Florian, Sidou accompagnés par Raphaël et Loïc
 
REBOND
 
Personnages : 
Bryan , un jeune parmi d’autres
La Fumée, dealer
Salvadora La Protectrice
Heimdall Le Gardien 
Joseph Le Retraité 

L’Esplanade entourée d’immeubles se réveille tranquillement. Elle ouvre les uns après les autres ses innombrables yeux fenêtres. Les uns après les autres se mettent à briller jaune. Chacun se met en place, à sa place. Salvadora La Protectrice ouvre la porte de son local puis entre. Elle s’installe à son bureau et regarde par la fenêtre les bâtiments rectilignes qui l’entourent. Elle rêve un petit moment. Heimdall Le Gardien est déjà au sommet de son poteau d’observation très haut. Il va y passer une bonne partie de la journée, c’est son travail voilà tout ! Et puis il ne déteste pas frôler les oiseaux, pigeons et autres pies voleuses. Voilà aussi Joseph. Depuis qu’il est à la retraite, il vient chaque matin pour se reposer sur un des bancs que la municipalité a installé pour « le mieux vivre ensemble » comme elle l’affirme. Enfin arrive La Fumée. « La Fumée » est son surnom, certains avancent que c’est son véritable nom, tant le commerce de la fumée en tous genres lui colle à la peau. Il se rend comme à son habitude dans cet angle d’une tour, visible et discret à la fois, l’endroit idéal pour un bon business, sans oublier cette sortie à l’arrière pour s’échapper si besoin. 

Très bien, chacun est à son poste, la journée peut commencer. 

Mais quelque chose ne va pas. Quelque chose de différent, de pas pareil, de pas banal même. 

Un groupe de six jeunes apparait de cet endroit au loin. Ils s’approchent. Ils ne devraient pas être là, à déambuler sur le macadam. Ils devraient avoir disparus dans leur lycée, pour toute la journée. Ils ne se cachent pas, ils font les fiers à bras, leurs regards qui tournent observent ceux de ceux qui les aperçoivent. Oui on a bien séché les cours, oui on fait ce qu’on veut, oui on est libre et si vous avez quelque chose à redire c’est tant pis ! 

Puis ils choisissent cet érable, le seul arbre de l’esplanade. Le groupe s’assoit au pied du végétal. Un cercle se forme. 

Chacun d’où il se trouve peut alors découvrir qui sont ces six qui ne sont pas à l’endroit de leur obligation. Pour des raisons de sécurité leur anonymat doit être respecté. Un seul 
prénom, pour le héros de cette histoire : Bryan, celui accompagné d’un ballon de basket qu’il vient de poser au sol sans conviction. Mais Bryan pourrait avoir un autre patronyme, voire même un autre encore ! Peu importe. 

Le temps se suspend, s’arrête, se stoppe, s’ennuie finalement. On échange quelques mots, un rire surgit du fond d’une gorge de temps en temps... mais rien de plus, rien de moins... 

La Fumée se décide. Il a reconnu son cousin dans le groupe. Un appel de son smart phone à l’autre smart phone. Je vous vois d’où je suis, tu sais, mon endroit... tu peux dire au petit nouveau, oui celui qui est à ta droite et que je ne connais pas, qu’il vienne me voir... oui à l’endroit habituel... comment il s’appelle ?... Bryan... il est dans ton lycée... je ne le sens pas en très grande forme... dis-­‐lui que je peux l’aider, l’aider à oublier ses soucis qu’il doit avoir... allez, dis-­‐lui... encourage-­‐le... tu peux bien faire ça pour moi... je t’ai déjà rendu pas mal de services, non ?... allez encore un mot ou deux et il va venir... il se lève... c’est bien cousin !... très bien cousin !... 

Salut mec (check) !... ça va ?... Oui tranquille... Qu’est-­‐ce que tu fais là, tu n’es pas en classe ?... J’ai séché le cours de sport avec mes potes... Ce n’est pas très bien tu sais de ne pas aller en sport... Je ne pensais pas à ça, j’aime bien le sport, je me débrouille pas trop mal au basket, mais j’avais un petit coup de mou, je n’étais pas trop motivé par le ballon, j’ai suivi mes copains... Tu n’aurais pas des soucis, toi, par hasard ?... T’as raison, chez moi c’est la galère, mes vieux qui se disputent, mon père sans boulot... je suis largué, et bien largué, voilà !... Ne t’en fais pas frère, j’ai la solution, un peu de cette poudre de Perlin Pinpin et tu oublies tes problèmes, tout devient facile, tout devient parfaitement doux !... Non, je ne veux pas prendre de ça !... C’est cadeau, un cadeau ça ne se refuse pas !... allez, prend-­‐le ! 

Bryan range mollement dans sa poche le petit paquet que lui donne La Fumée. Il s’éloigne. 

Petit !... oui, toi, petit !... viens un moment t’assoir avec moi sur ce banc.... Qu’est-­‐ce que vous me voulez ?... Tu sais mon ami, je t’ai vu avec ce loustic, tes problèmes ne s’envoleront pas en fumée !... Très drôle !... Quand on a des soucis le pire est de rester seul, de les garder pour soi... Vous ne pouvez pas comprendre, vous ne vivez pas dans une « famille à problèmes » comme on dit !... où les parents se font la guerre... Tu pourrais peut-­‐être leur dire que tu ne vas pas bien, que tu ne supportes plus cette situation, que tu souffres !... Vous croyez que c’est aussi simple que ça, vous rigolez ! Les soucis ne disparaissent pas comme par magie, grâce un simple claquement de doigts !... Dans la vie il ne faut pas s’attarder à ses soucis, tu dois les dépasser, réussir à vivre malgré tout !... De la morale tout ça, que de la morale ! Quand tu es en galère, tu es en galère... c’est ton ordinaire... l’ordinaire de quelqu’un de nul !... Tu te trompes mon gars, personne n’est nul, chacun a son chemin avec ses faiblesses mais surtout ses forces... toi par exemple ? ... Moi ?... je ne sais pas... le basket peut-­‐être... Tu vois, continue à marquer des paniers, tu verras comme tu seras heureux !... Bon, ça suffit Monsieur Bonheur à pas cher ! Merci quand même mais tout ça me saoule...
 
Hello !... oui, je suis là !... lève la tête !... Non, mais c’est pas vrai, on ne va jamais me laisser tranquille ici et maintenant !... Attends. Je descends. Je te rejoins. Tu sais que je pourrais te verbaliser !... Oui, sans doute... Mais ça ne me plait pas... Vous pourriez pourtant, ma poche est pleine d’interdits... Je ne parle pas de ceux-­‐ci... Bon, c’est vrai, je suis coupable de ne pas être en classe. Mais avec ces potes, là, je me sens bien, je suis rassuré, protégé contre tout. Je pense plus à avant, ni à après. Rien ne bouge, comme une éternité. J’aime bien quand on se pose comme ça... Oui, mais là tu as loupé des cours !... Je ne comprends pas pourquoi je dois venir chaque jour au lycée, apprendre des choses et des choses. J’ai d’autres soucis... Il faut s’empêcher d’être empêché !... Vous en avez d’autres, des formules de ce genre ? Vous croyez que c’est avec de tels mots que vous allez m’aider ? Vous êtes vraiment tous pareils vous les adultes ! Aller, chao !... Attends !... 

Ah non, pas vous ! Je n’ai pas besoin de vous ! Tous ces rendez-­‐vous que nous avons eu ensemble dans votre bureau avec mes parents depuis des semaines et encore plus n’ont servi à rien, madame la super Protectrice, Protectrice de rien du tout oui ! ... de rien du tout... vous ne prononcez que des blablas ! Ce n’est surement pas vous qui allez m’obliger à retourner dans ce fichu lycée !... Pourtant, tu m’as affirmé plusieurs fois que tu aimais apprendre, que tu aimais aussi le sport... Tu parles !... c’était juste pour vous faire plaisir ! De toute façon même si je réussis mes études, vous croyez que je pourrais faire ma vie ailleurs ? Et puis qu’est-­‐ce que penseront mon père et ma mère si je m’en vais, ce serait les trahir, vous ne croyez pas ? Tenez, je suis comme déchiré en deux !... Oui, je comprends, mais si tu te mets dans la tête que c’est difficile ce sera forcément difficile. Tu es un garçon plutôt positif, non ?... Oui, peut-­‐être... mais là je n’ai plus le moral, trop de tension, ça devient insupportable !... Si je parlais à tes parents !... ça ne servira à rien, plus rien ne peut servir à quelque chose. Au contraire Bryan ton problème est aussi le mien je peux t’aider d’autres peuvent t’aider ta difficulté c’est de rester tout seul sans le soutien des autres je crois que tu t’enfuis de toi-­‐même mais ce n’est pas la solution retrouve toi ne reste pas avec tes amis de l’ennui tu as d’autres cartes en main essaie de prendre du recul sur ta situation... 

Stop ! Stop ! J’en ai assez de toutes ces leçons qui ne servent à rien, de toutes ces foutaises, ces c... ! Je suis fatigué. Tellement fatigué. 

Bryan s’en va plus loin dans un coin là-­‐bas, un coin de silence il n’y en n’a pas beaucoup sur cette place minérale et des coins de pleurs il y en a beaucoup maintenant. Chacun l’observe ainsi plusieurs minutes, de longues minutes. Tristes et ne sachant que faire, même La Fumée ne fait plus trop le fier, ses potes non plus d’ailleurs. Chacun se demande ce qu’il a loupé finalement entre ces immeubles. Une histoire quotidienne, Bryan ou un autre ou encore un autre parmi d’autres, de multiples autres. Vraiment plombante cette situation. 

Le ballon. Joseph regarde un moment le ballon au sol. Immobile, l’objet semble lui dire quelque chose. Il se lève et ne sait pas trop bien pourquoi, il le saisit. Les autres surpris s’approchent, Salvadora La Protectice, Heimdall Le Gardien, puis les cinq jeunes, puis La Fumée lui-­‐même. Bryan, lui, est toujours dans ce coin. 

Chacun sent l’importance du moment. Et le moment est important. 

Joseph tente une première passe timide, peu importe à qui. Une deuxième, une troisième... mais tout reste fragile. Le ballon échappe et roule jusqu’aux pieds de Bryan. Un petit temps. Il hésite puis énergique il s’en empare, commence quelques dribles, le passe ensuite à l’un et à l’autre qui le lui rendent. Le jeu prend son envol. Les rebonds se font de plus en plus joyeux. Les sourires éclairent les visages. Les encouragements fusent. On ne pensait pas qu’on arriverait à se parler. Bryan est le meilleur de tous au basket et ça se voit ! Les autres admirent sa dextérité. 

Juin 2017 

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