Raphaël Palou
Parfois, partir loin, c'est la seule façon de revenir vers soi
Raphaël Palou a 26 ans. Il a grandi dans un petit village du sud-ouest de la France, là où les tracteurs croisent les vélos et où le rugby est plus qu’un sport : une culture. Il est aujourd’hui installé à Bilbao, dans le secteur du business, après avoir étudié à Pau, Toulouse et Paris. Derrière cette trajectoire, en apparence classique pour un élève de prépa, se cache une histoire bien moins linéaire : celle d’un garçon entre deux mondes, tiraillé entre héritage rural et aspiration d’émancipation, entre loyauté familiale et désir d’ailleurs.
J’ai grandi au milieu des champs et des bêtes
Dans la famille Palou, on travaille la terre. Depuis des générations. Raphaël, lui, n’y a pas échappé. Très jeune, il passe ses étés à irriguer les champs et nourrir les bêtes.
Je faisais ça dès la 4ème. Mon père m’avait mis sur l’irrigation, avec ces gros enrouleurs qui crachent des jets d’eau sur toute la parcelle. Ensuite, je suis passé aux vaches, aux poulets, aux cailles. C’était physique.
Mais surtout, c’était imposé.
J’avais aucune envie. Mes potes allaient à la mer, moi c’était interdit. On bossait de 8h à 21h, parfois sous 37°C. C’était rude.
Pourtant, à sa manière, il comprend aussi ce mode de vie.
Quand tu connais que ça, tu ne te poses pas trop de questions. C’est une culture. Tout le monde bossait à 16 ans. Et au fond, ça m’a forgé.
Chez Raphaël
Je n'ai jamais douté que je partirais
Raphaël aime son père. Mais leur relation a été souvent conflictuelle. Son père ne croit pas qu’il puisse réussir ailleurs que dans l’agriculture. Lorsqu’il est accepté en classe prépa, l’échange est glacial.
Raphaël aime son père. Mais leur relation a été souvent conflictuelle. Son père ne croit pas qu’il puisse réussir ailleurs que dans l’agriculture. Lorsqu’il est accepté en classe prépa, l’échange est glacial.
Je lui ai dit trois fois. La troisième, il m’a répondu: À mon avis, là où t’en es, tu te comportes comme un gland.
Pour Raphaël, ces mots restent en travers de la gorge, mais ils n’écrasent pas sa détermination. Il était convaincu qu'il voulait autre chose. Mais, il ne savait pas encore quoi.
Le fossé entre les deux hommes s’élargit pendant les années d’études.
Le fossé entre les deux hommes s’élargit pendant les années d’études.
Quand je revenais en vacances, ça se passait mal. Il me demandait d’aider, et moi je disais non. On était en total décalage.
Un autre monde, un autre langage
À Paris, puis à l’école de commerce, Raphaël découvre un monde nouveau. Mais il y arrive seul, sans boussole culturelle. Il dit que chez lui, personne connaissait les stages, les grandes écoles, les jobs à Paris. Quand il en parlais, les gens le regardait comme un extraterrestre, comme il le décrit.
À Paris, puis à l’école de commerce, Raphaël découvre un monde nouveau. Mais il y arrive seul, sans boussole culturelle. Il dit que chez lui, personne connaissait les stages, les grandes écoles, les jobs à Paris. Quand il en parlais, les gens le regardait comme un extraterrestre, comme il le décrit.
Même dans ma famille, certains pensaient que j’avais changé. Il y avait cette idée que je voulais me croire au-dessus.
Il ressent parfois un complexe d’infériorité. À l’école, il n’ose pas dire d’où il vient.
J’avais pas honte de mon accent ou de mes origines, mais la relation avec mon père, j’en parlais pas. J’en souffrais. L’alcool devient une échappatoire. J’ai fait des craquages. Je me suis dit : je veux pas devenir fou.
Il se reconstruit peu à peu. Il travaille sur lui-même. Et au fil du temps, la fierté d’avoir survécu à tout cela prend le dessus. Aujourd'hui, il se sent à l'aise avec lui-meme. Il ne renit rien.
Le vrai déclic viendra plus tard, après un revers brutal. Il perd son travail, et son appartement a Paris en une semaine.
Échec et mat. Sans contrat, tu trouves rien à Paris. Alors je suis parti à Bilbao. Et là, en un mois, j’avais tout reconstruit.
Ce moment marque un tournant. Il sait enfin ce qu’il veut. Il se sent légitime. Et peu à peu, les tensions familiales s’apaisent. Il me raconte: L’été dernier, il a invité ses potes de Paris chez ses parents. Ils ont vu que c’étaient des mecs simples, sympas. Ça a fait du bien à tout le monde.
Entre deux mondes, trouver l’équilibre
Aujourd’hui, Raphaël vit dans un entre-deux permanent. Il travaille dans un domaine qui le passionne, mais ne s’imagine pas vivre toute sa vie loin de ses racines. Là-bas, c’est chez lui, il decrit. Les gens lui ressemblent. Mais, il n'y a pas de travail. Même monter une boîte, c’est compliqué. C’est enclavé.
Entre deux mondes, trouver l’équilibre
Aujourd’hui, Raphaël vit dans un entre-deux permanent. Il travaille dans un domaine qui le passionne, mais ne s’imagine pas vivre toute sa vie loin de ses racines. Là-bas, c’est chez lui, il decrit. Les gens lui ressemblent. Mais, il n'y a pas de travail. Même monter une boîte, c’est compliqué. C’est enclavé.
Ce qui me rend heureux, c’est faire des trucs avec des gens que j’aime, avoir une situation stable, et travailler sur un projet qui me motive.
Il reste lucide sur la vie qu'il a choisie, sans jamais denigrer celle qu'il a laissé. Il decrit son ami, qui nettoie des rues de son village; et a racheté la maison de sa grand mère. Il raconte comment son ami vit tranquille. C'est peut être l'homme le plus heureux que Raphaël connaisse. Il ajoute:
Tout n’est pas fait pour tout le monde. L’essentiel, c’est de trouver son équilibre. Ce qui me rend heureux ? Travailler sur un projet qui me passionne, avec des gens que j’aime
Le parcours de Raphaël n’a rien d’exceptionnel au premier regard. Mais c’est justement là qu’il est précieux. Il dit beaucoup sur la France d’aujourd’hui : celle des milieux ruraux oubliés, de la reproduction sociale, de l’ambition vécue parfois comme une trahison, de ces jeunes qui partent loin sans mode d’emploi, mais avec la rage de se prouver qu’ils peuvent.
C’est l’histoire d’un garçon qui, sans fracas, a fait tomber les murs qu’on avait dressés autour de lui. Un pied dans la terre, un autre dans la modernité, il marche aujourd’hui avec plus de sérénité, en traçant son propre sillon.