Rahma, en quête de liberté

Mercredi 16 Mars 2022

Rahma Arafah est une femme égyptienne de 23 ans et surtout une bonne amie à moi que j'ai rencontrée au Liban il y a deux ans. Je voulais partager son histoire pour montrer ses difficultés, ce qu’elle a dû endurer et comment elle a pu conquérir sa liberté en tant que jeune femme en Egypte. Elle est devenue aujourd’hui cette femme confiante, passionnée et aventurière.

Privée de liberté

Rahma a grandi en Égypte tout au long de sa vie et en Arabie saoudite. Ces pays du Moyen-Orient ont la réputation de maintenir les femmes dans un milieu clos où leur liberté semble minimale. Malheureusement, une telle réputation s'est avérée vraie.
“J'ai été élevée dans une société très fermée avec des gens ‘fermés’ dans les deux pays et ma famille n'était pas si ouverte non plus. Vous savez, c’est fou comment vous êtes marqués par l'environnement dans lequel vous vivez et vous pensez que c'est la bonne façon de vivre simplement parce que les autres font la même chose ou parce que votre gouvernement vous l'impose”.
Elle ne voulait pas partager de détails sur sa vie personnelle, elle voulait plutôt nous donner un aperçu de ce qu'elle avait traversé et les défis auxquels elle était confrontée comme toute autre femme vivant dans de telles conditions.
Aujourd’hui, beaucoup d'entre nous trouvent improbable d’avoir autant de personnes privées de telle liberté, comme c’était le cas il y a plusieurs années. Nous entendons parler d'histoires qui se produisent tous les jours dans le monde, cela ne doit pas concerner uniquement les pays arabes.

Cependant, nous oublions qu'il peut y avoir un endroit où les gens sont privés de liberté plus souvent que d'autres. C'est devenu une pratique courante et les gens n'en sont pas conscients.
 “Tout m'a été imposé, littéralement tout. C'était comme si la porte de la liberté était verrouillée et que je n'avais jamais accès aux clés. Je n'ai pu rien faire. Je n'avais pas de relations amoureuses par exemple, je ne pouvais pas sortir tard le soir pour me promener toute seule ou aller chez des amies pour discuter ou danser... je ne pouvais pas faire les choses que les gens font d'habitude”
« La première fois que je me suis sentie libre, ce n'est que lorsque j'ai voyagé »

Rahma avait 17 ans lorsqu'elle a commencé à suivre la procédure de papiers à faire pour voyager un jour. L'idée de voyager a été déclenchée par une envie de liberté plus que par une curiosité ou une recherche de l’aventure.


Elle était mécontente de sa vie. Parfois, les gens ne comprennent pas ce que cela fait de ne pas pouvoir sortir de chez soi et de faire ce qu'ils ont envie de faire. La religion est une belle pratique que les gens ruinent parce qu'ils l'imposent à leur manière. Le pire, c'est ce que nous, les Arabes, avons dans nos pays.

Beaucoup d'entre nous qui vivons au Liban, en Égypte, en Arabie Saoudite, etc...sommes “religieux” sans savoir vraiment pourquoi. Nous n'avons jamais eu la liberté de comprendre la religion et de voir les différentes interprétations, l'histoire derrière elle, la raison pour laquelle nous devrions croire. Au lieu de cela, nous avons été élevés pour simplement y croire, la pratiquer et ne pas poser de questions.

Beaucoup de nos familles considèrent qu'il est “tabou” de remettre en question notre religion et ses pratiques avec les traditions de nos familles. Bien que moi, Rahma et d'autres personnes croyons en l'importance des valeurs culturelles, nous estimons que nous avons le droit et la liberté de poser des questions et de faire ce que nous avons envie de faire.
Le problème de l'indépendance est quelque chose dont beaucoup de gens souffrent dans ces pays et par indépendance nous entendons la liberté. Habituellement, les gens vous disent que lorsque vous atteignez l'âge de 18 ans vous devenez libre. Vous avez un esprit  suffisamment construit et conscient pour devenir rationnel et assumer la responsabilité de vos actions et des conséquences.
“Je voulais quitter mon pays. Je voulais tout laisser derrière moi. Je le savais tout simplement depuis le début mais je n'avais jamais  vraiment pensé que je pouvais réellement le faire. Je ne pense pas que j'avais peur, je le prenais juste comme un défi mais je pensais que c'était presque impossible”.


    “Je vivais une vie sans avoir aucun choix et je n'avais point ce que c’était d’être libre. La question financière a toujours été difficile et j'ai toujours besoin de travailler et d'avoir assez d'argent pour gagner ma vie. Cela n'est pas devenu si difficile mais c'était un défi que j'avais envers moi-même”.
L'idée de voyager pour elle n'était pas réalisable ou possible. Surtout pour une fille,  aller dans des endroits toute seule n'était jamais quelque chose que Rahma considérait comme pouvant arriver. Quelles que soient ses croyances et tout ce qu'elle savait être bon ou mauvais pour elle, cela n'avait tout simplement pas d'importance.

Elle a compris qu'en raison des traditions en Égypte, sortir seule,  hors  de la maison, entant que femme mais surtout hors du pays sans que personne de sa famille l’accompagne n'était pas possible. Elle pensait qu'elle ne pourrait tout simplement jamais le faire.

Elle pensait que son destin était écrit par sa famille, son environnement, son pays. Mais ses sentiments avaient finalement fini par exploser. Elle savait que les femmes du monde entier voyagent seules, alors elle s'est dit que c'était possible pour elle aussi.
“J'ai commencé à devenir indépendante pour travailler, me développer, apprendre et me former. Je ne savais pas de quoi j’étais capable. Depuis l'âge de 17 ans, j'ai commencé à planifier progressivement. Quand tu peux te financer toi-même sans dépendre des autres, tu deviens libre de prendre tes décisions” .
De toute évidence, sa famille ne la soutenait pas du tout. Mais elle s'en fichait. Elle leur a montré qu'en  réalité elle était devenue une femme capable de bouger seule et de faire ce qu'elle avait envie de faire.

“Mes désirs étaient simples, mais nécessaires”

Parfois, tout ce que les gens ont envie de faire, c'est aller se promener dans la nature, aller visiter un endroit qu'ils ont toujours rêvé de voir, aller explorer le monde. Même lorsque ces décisions ne semblent pas rationnelles, les gens à un certain âge ont tout à fait le droit de faire ce qu'ils ont envie de faire car dans l'instant même, il n'y a pas de meilleure sensation. De plus, ils apprennent de leurs erreurs.
“Je suis finalement devenue indépendante. Et par indépendante, je veux dire financièrement. J'étais capable de les mettre devant la réalité des choses, et je ne me souciais pas de ce que les gens disaient et je n'étais pas non plus affectée par la façon dont ils vivaient. Cette vie qu'ils menaient était probablement bonne pour eux mais pas pour moi. Tant que les gens sont satisfaits de leur vie c'est ce qui compte. Mais personne ne doit m'imposer et surtout pas une religion que j'ai été forcée de pratiquer à cause de l'endroit où je suis née”.
C'est le plus gros problème que les gens traversent. De toute évidence, personne ne peut choisir où il naît, à quoi il ressemble et qui est sa famille. C'est la réalité des choses mais ceci n’est pas le problème. Ce qui ne va pas comme le dit Rahma, c'est d'avoir ce contrôle sur les enfants pendant plus de 15 ans et de leur interdire de voir des choses qu'ils doivent voir même si c'est effrayant, violent, mauvais ou autre.

La vie est dure et il est important pour nous de la voir telle qu'elle est,  nous devons y être préparés. La famille doit nous protéger et nos parents le font par amour. Mais est-ce rationnel d’emprisonner les enfants pour voir ce qu’est le monde ? Est- ce juste de les enfermer et de ne pas leur laisser savourer la vie et découvrir d’autres cultures, d’autres mondes, et d’autres personnes?


Les gens peuvent protéger leurs proches d'une manière qui ne rogne pas leur liberté. Les gouvernements sont des ensembles de lois et de réglementations que les gens doivent suivre, mais ne ils ne doivent pas subir de lavage de cerveau en leur faisant croire que c'est la bonne façon de vivre. Être enfermé à l'abri de la lumière, de la liberté, des choses de base régulières que toute personne devrait traverser tout au long de sa vie n'est pas acceptable.

Rahma voulait avoir sa propre vie. Pas une vie contrôlée par quelqu'un d'autre ou quelque chose d'autre. Elle peut s'adapter n'importe où mais elle veut découvrir tellement de choses qu'elle a manquées pendant de nombreuses années. Et les années ne sont pas courtes, dit Rahma. Elle sait que chaque jour perdu, elle aurait pu faire tellement de choses.
“Pour vivre comme les gens autour de moi, je ne pouvais tout simplement pas m'imaginer être comme ça dans le futur. Ce n'est pas parce que leur mode de vie est mauvais mais j'avais des idées différentes en tête et des rêves différents. Leurs vies... Je n'en veux pas, c'était toxique pour moi”.
 

« Égypte: une bénédiction et une malédiction »


“J'aime tant de choses en Égypte » dit Rahma, "et c'est mon pays. C'est là où je suis née, où j'ai vécu pendant de nombreuses années de mon enfance. J'aime évidemment les plats égyptiens, non seulement pour son goût mais aussi pour ses prix bon marché ”.



Cependant, la principale chose que Rahma n'a pas pu accepter c'était les traditions des gens avec leurs jugements des personnes comme elle. Elle en avait marre de ne rien pouvoir faire sans que les gens sachent à peu près tout de ses mouvements. Cela la dérangeait surtout que les gens parlent et tant de choses ne sont pas bien vues par le peuple égyptien.

Elle vivait même dans la capitale du pays, le Caire, ce qui signifiait qu'elle ne vivait pas dans une  région rurale où ces choses sont plus ancrées car tout le monde se connaît.

De plus, c'est la curiosité des gens pour la vie des autres et leur ingérence qui a poussé Rahma à avoir comme objectif de  préserver sa vie privée et sa liberté  . Elle en avait marre que les gens décident pour elle ou la jugent pour la façon dont elle s'habillait. Et cela se produisait alors qu'elle n'était même pas capable de faire ces choses librement. Elle suivait toujours les normes et vivait comme sa famille et selon les règles imposées. Magré tous ces efforts, elle était toujours jugée et critiquée. 
 “Tout le monde veut tout savoir sur tout le monde. Personne ne vit en privé et on parle tellement, par exemple, de qui vient à la maison, avec qui j'ai déjeuné, à quelle heure suis-je rentrée, si je marchais seule ou si je portais quelque chose d'inapproprié', ce que je n'ai évidemment jamais même fait, mais ces gens ont leur propre interprétation de ce qui est approprié et de ce qui ne l'est pas”.


"Cet environnement était tout simplement très familial et je ne pouvais plus vivre derrière ces murs. Je voulais être libre et avoir une vie privée".
Sa voix n'a jamais été entendue, son talent n'a jamais été montré et apprécié, notamment ses peintures, ses plaintes n'ont jamais été sérieusement prises en considération et même si les gens autour d'elle l'aimaient cela ne suffisait pas.
Elle a évidemment encore de bons amis qu'elle a connus en Égypte et elle a toujours des contacts avec sa famille et ses proches, mais elle dit que cette distance l'aide à se rapprocher d'eux d'une certaine manière parce que c'est la seule façon pour elle de penser à ce qu'elle a de bien et non aux choses qu'elle n'a pas reçues.

“ Mon objectif aujourd'hui est d'être libre financièrement ”

Rahma a commencé à travailler à l'âge de 10 ans. Elle ne faisait pas ça pour l'argent et elle était trop jeune de toute façon mais elle adorait faire des choses avec ses mains. Elle aimait les choses manuelles et donc en grandissant elle allait toujours seule dans des endroits où elle proposait son aide. Elle ne voulait pas être payée, elle voulait juste apprendre à faire différentes choses. Elle voulait être productive et cela la faisait se sentir bien dans sa peau.

Ensuite, elle a voulu créer une entreprise. Elle était curieuse de ces grandes entrepreneurs, comment ils commencent, ce qu'ils font, ce qu'ils apprennent à faire et comment ils en bénéficient. Elle voulait travailler avec ces entreprises et apprendre en tant que bénévole. Par la suite, en seulement deux mois de travail pour cette ‘start-up’, elle a commencé à avoir un salaire.

De toute évidence, elle ne recevait pas un gros salaire, cela équivalait à environ 30 dollars américains par mois mais ça a démarré et augmenté et elle était heureuse d'apprendre. Son apprentissage portait sur les ventes, le marketing, la recherche et différentes choses. Aujourd'hui, elle se concentre sur le contenu et les médias sociaux. Par ailleurs elle se passionne toujours pour la peinture.


“Je ne me considère pas Egyptienne, je suis qui je veux être”

Rahma dit qu'elle ne sent pas qu'elle appartient vraiment à l'Égypte et qu'elle ne se considère pas vraiment ou pleinement égyptienne. Elle dit qu'elle s'est sentie plus Libanaise qu'Égyptienne lorsqu'elle s'est rendue au Liban. Ce n'est pas qu'elle ne se soucie pas de son identité mais c'est qu'elle a appris à s'adapter à l'endroit où elle pose  les pieds car tout ce qui compte  est  le moment précis  où elle vit, quelque soit l'endroit où elle se trouve. L'appartenance n'a  pas d'importance pour elle tant que ce n'est pas son choix et sa liberté d'être à cet endroit et de faire les choses qu'elle veut faire.
“J'avais 19 ans lorsque j'ai voyagé pour la première fois. Je suis allée au Sri Lanka et honnêtement, je ne me souviens même pas de la chose exacte qui a déclenché ce voyage. Tout s'est passé petit à petit, j'ai commencé à faire des papiers et des documents comme les demandes de passeport et de visa etc... Donc, étape par étape, j'ai commencé à voir ce que j'aimais faire ou où je voulais aller. J'ai commencé à faire des recherches sur les pays où je pouvais aller avec le peu d'argent que j'avais et où je pouvais rester dans ce pays, un endroit que je pouvais me permettre... J'ai obtenu mon passeport sans même savoir que je voyagerais”.
C'était courageux de sa part de quitter le pays, la maison et tout avec seulement l'esprit d'aventure et de liberté. Elle a tout fait par elle-même, avec recherche et dévouement. Elle a appris en faisant des erreurs et en se rendant d'un endroit à l'autre. Une fois qu'elle a commencé à voyager, personne n'a pu l'arrêter. C'est devenu une sorte d'addiction, et aujourd'hui elle le fait avec de plus en plus d'assurance.


“Je voyage pour explorer, apprendre et expérimenter davantage, et j'aime bouger, je ne sais pas si c'est une maladie mais je ne sais pas pourquoi je ne me vois pas m'installer maintenant, j'ai besoin de bouger encore plus”.
Rahma dit qu'elle ne restera jamais en Egypte quant elle aura sa propre famille dont elle devra prendre soin. Elle veut que ses enfants aient la liberté qu'elle a gagnée par elle-même mais avec facilité. Elle veut qu'ils apprennent à connaître leur pays mais sans avoir à subir les ennuis qu'elle a connus, surtout en tant que femme.
C'est le principal problème et défi pour Rahma : sa nationalité. Les détenteurs de passeports égyptiens n'acquièrent pas facilement l'acceptation de Visa n'importe où. De plus, elle doit toujours revenir en Egypte et y rester au moins un mois afin d'attendre l'acceptation d'une candidature dans un pays européen par exemple.
“Si ce n'était pas de mon passeport, j'aurais probablement déjà visité environ 60 pays. Si je possédais une nationalité française par exemple, je sais qu'il est possible de voyager dans plein de pays facilement. Mais c'est mon passeport qui pose problème. Je n'ai pas de préférence, je veux aller partout où je peux. Et savoir qu'un tel passeport peut me causer des ennuis, c'est rageant”.
Rahma essaie de trouver un moyen d'obtenir une bonne résidence et un bon passeport; et elle espère qu'avec le temps, elle ne sera plus confrontée à ce problème.
“Je crois que les objectifs changent avec le temps, donc je ne peux pas avoir d'objectif à long terme mais pour l'instant, c'est d'être complètement libre financièrement, d'avoir un bon passeport et d'être la première femme égyptienne à voyager avant 30 ans. Mais bien sûr, je ne serais pas triste si une autre femme le faisait avant moi. L'idée principale est que j'aime ma vie de cette façon et je veux la mettre en exemple pour les femmes venant de mon pays et de ma culture parce que c'est une très grande chose à réaliser pour ces personnes”.
“ Aujourd’hui, je suis finalement heureuse”

Rahma veut simplement qu'elle-même et les gens comme elle fassent ce qu'ils veulent faire, pas parce qu'ils y sont forcés par leurs familles, sociétés, religions, traditions... Ce n'est pas une chose facile pour de telles personnes venant d'endroits difficiles. Ces personnes doivent se battre jour et nuit pour leur propre liberté à leur manière.
“Je ne donne jamais de conseil, je parle toujours de ma propre expérience car la mienne ne correspond pas à la vie de tout le monde, chacun a des risques différents. J'ai pris beaucoup de risques en abandonnant l'université, j’ai dû faire face à mes parents pour avoir ma liberté. Ainsi, certaines personnes pourraient ne pas avoir à passer par là. Alors choisissez par vous-même, croyez, voyagez, vivez... faites simplement tout ce que vous voulez faire parce que vous avez pris cette décision”.


Rahma note que voyager ne devrait pas coûter cher. La première fois qu'elle a voyagé, elle n'avait que 500 dollars américains sur elle, voire moins. Mais, avec ce peu d'argent, elle a pu pendant deux mois se rendre dans des endroits comme le Sri Lanka, la Malaisie et Singapour.

Cela n'a pas besoin d'être cher car la façon dont les Égyptiens ou même les Arabes en général voyagent est principalement un voyage de luxe. Les gens là-bas ont l'impression de ne pas pouvoir voyager sans passer par des hôtels de luxe 5 étoiles et de fréquenter les bars et restaurants les plus coûteux.
“Pour moi, je me contente des choses de base, des choses normales. Et, pour être honnête, de toute façon je n'ai pas l'argent pour voyager en "luxe". Je préfère avec cet argent que ces gens ont  simplement aller à deux endroits au lieu d'un et je sais que je vais en profiter. Je suis heureuse comme ça, je me suis battue pour ma liberté et j'apprécie tout ce que je fais donc il n'y a aucun regret et aucune erreur que j'ai commise jusqu'à présent, je suis simplement heureuse”.


Texte : Yasmina Akar 
Photos : Luc Alaux et Rahma Arafah
Dessins: Rahma Arafah et Elnaz Nahavandi