La liberté de la presse au Liban à travers Arthur Sarradin, journaliste, cinéaste et écrivain

Lundi 21 Février 2022

Reportage de Yasmina Akar et Luc Alaux (Texte) - Photos Arthur Sarradin


Le Liban est connu pour être un pays où les droits fondamentaux de l’homme dépendent fortement des dirigeants des partis politiques. Les citoyens libanais ainsi que les journalistes (locaux ou internationaux) font face à des niveaux élevés de harcèlement, de menaces, d’arrestation, et d’abus de leur liberté d’expression et de la liberté de la presse. Certain d’entre eux disparaissent pour avoir critiqué un politicien par exemple, et cela a augmenté notamment durant les enquêtes sur l’explosion du 4 août 2020.

Parce que cette liberté dépend en grande partie de ces politiciens, les journalistes semblent faire face à une peur sans fin. Certains d’entre eux atteignent un point où ils abandonnent leur travail, ou passent par des phases graves de dépression.

L’accord de Taef a été signé en 1989. Cet accord a été la solution pour une fin de la guerre civile de 15 ans au Liban. Mais en vain, celui-ci énonce de nombreux articles qui n’ont pas été appliqués; parmi lesquels : « Le Liban est une république parlementaire démocratique fondée sur les respects des libertés publiques, en particulier la liberté d’expression et de conviction, sur la justice sociale et sur l’égalité des droits et devoirs entre tous les citoyens, sans discrimination ni préférence ».

Aujourd’hui, la vérité est décevante. Les dirigeants et responsables politiques sont prêts à utiliser toute sorte de menace et de poursuite contre toute personne qui exprime une critique à leur égard ou simplement, qui cherche la vérité pour le bien de la population libanaise.

Arthur Sarradin, journaliste, cinéaste et écrivain, nous raconte en détails ce que des journalistes comme lui subissent dans leur meétier au Liban.
« Non à la suppression de la liberté »

Une presse contrôlée par le pouvoir politique

De manière générale, plusieurs façons sont utilisées par les partis politiques pour faire pression sur les journalistes. « Pour commencer, il y a la pression sur la loi, une censure officielle sur l’art et la culture, ainsi que le blocage de sites en ligne, ce qui a été le cas du média libanais le 961 en mars dernier pendant plusieurs heures bloqué par les fournisseurs d’accès au Liban. Ainsi que des actions légales qui ont été menées sur les journalistes » nous dit Arthur.

Puisqu’il existe dans la constitution du Liban une loi sur la liberté d’expression, on peut citer d’autres lois notamment celle de l’accusation d’incitation à la haine communautaire la plupart du temps, les leviers qui sont actionnés par le pouvoir des acteurs de la vie politique pour faire pression sur les journalistes. Donc ça peut être pour ensuite les amener poursuivre des interrogatoires, pour diligenter les enquêtes officielles ou simplement pour leur faire payer des amendes, inciter à l’autocensure… alors, pour faire pression d’une manière ou d’une autre.  
« Il y a aussi des attaques ciblées, par les partisans des partis confessionnelles. Notamment durant la révolution du 17 octobre, on a vu les attaques, physiques, se multiplier contre les journalistes. En plus des attaques menées par les forces de sécurité intérieure qui ont des fois ciblé explicitement des journalistes qui avaient des casques et des gilets de presse.

La dernière méthode de pression majeure sur les journalistes qu’on pourrait citer, serait le harcèlement en ligne. Les menaces de mort, l’incitation à la haine en ligne, les portraits pornographiques de femmes journalistes pour mettre la pression sur elles, ou simplement, le harcèlement ».
 Le pouvoir politique met de la pression sur les journalistes et activistes ; plusieurs d’entre eux ont dû se présenter au commissariat ou devant l’organisme qui gère. La cyber-criminalité pour des propos qu’ils pouvaient tenir sur les réseaux sociaux ou dans leur show télévisé, pour avoir critiqué telle ou telle milice, telle ou telle parti politique ou tel représentant. Ils avaient ensuite subi des plaintes. Il y a tous les mois des exemples qu’on peut relever.
 
« Pour pouvoir décrire une réalité, il faudrait bien décrire les choses »

À force de harcèlements et de menaces, il y a beaucoup de journalistes qui décident de s’auto-censurer. L’idée, justement, est de garder des désignations un peu plus génériques.
« C’est assez difficile » ajoute Arthur, « car bien sure parfois pour pouvoir décrire une réalité, il faudrait bien décrire les choses, et donner des noms de partis politiques ; ainsi que des représentants ».
Chaque journaliste a expérimenté d’une manière ou d’une autre une des formes de pression.
« Moi et mes collègues avons plutôt subi des violences en ligne ou sur le terrain lors de certaines confrontations avec des partisans et des factions confessionnelles qui avaient décidé de viser des journalistes pendant des manifestations. Ils avaient donc utilisé des bâtons ou de pierres, ou avaient essayés de prendre et de casser les caméras des photographes ou des journalistes en général ».

Une lutte multicéphale

Évidemment, il y a toujours des solutions, pour aider les journalistes et la presse plus généralement à fonctionner correctement dans une démocratie. Tout dépendra des décisions qui seront prises sur différent aspects; comme l’aspect juridique, les médias et sur l’aspect culturel.

La première solution serait plus politique, donc de changer le système, de faire plus de préventions contre le harcèlement, et appliquer des lois plus effectifs contre le harcèlement, contre la violence (à la fois des forces de sécurité intérieure et aussi des partisans conffessionnels). Accentuer plus la liberté d’expression, les droits humains, et supprimer certains articles du code pénal Libanais, ou peut-être les reformer. Ce sont ceux qui sont relatifs et utilisés contre les journalistes.
 
« Il faudrait une lutte au média », nous dit Arthur. Même s’il y a une certaine pluralité de surface, il y a une réalité que le média au Liban est dépendent de ce système et donc ne va pas critiquer le confessionnalisme en lui-même vu qu’ils sont tous appartenant à des partis politiques et ils sont dirigés par des grands chefs qui sont des anciens de la guerre civile et qui ont fait du sectarisme la base du système politique et donc la base du média. C’est très difficile pour les journalistes d’évoluer sur ce domaine-là.

Il faut donner aux journalistes les moyens économiques pour éviter l’auto-censure, fournir suffisamment de garantie et d’assurance pour qu’ils puissent continuer leur métier sans se sentir menacés. Tout le reste de la lutte serait simplement culturelle. Faire avancer les lois des droits humains et culturels serait aussi d’avancer les lois de la liberté de presse.
« Cette lutte est multicéphale, elle a plusieurs aspects, ainsi qu’une lutte syndicale ; puisque le syndicat est confessionnel. Donc ils ont des représentants chrétiens par exemple qui représentent les propriétaires de journaux, qui n’ont pas intérêt à admettre de nouveaux journalistes dans le syndicat ».

À quoi bon continuer ?

Non seulement, y a-t-il des formes de violence sur les journalistes, mais surtout les conséquences que ceci a eu. Une des conséquences qu’on a déjà évoquée serait l’autocensure. Arthur nous affirme qu’« au moins 30% des femmes ont subi des traumas, des fortes dépressions, et ont l’idée de quitter totalement le pays et aller à l’étranger ou bien d’abandonner leurs métiers et d’arréter de travailler sur le terrain libanais parce que vu qu’il n’a pas réponse politique contre ce harcèlement, il n’y a pas non plus de réponses de média.

En effet, il n’y a pas eu de training de prévention et d’aide pour les journalistes. Il n’y a pas d’actes légaux pour les soutenir. Donc, il y a eu des conseils pour ses journalistes qui ont été agressé comme: Ah, tu t’es fait agressé, bah n’y retourne plus ».

Un journaliste qui doit s’autocensurer ou arrêter d’aller sur quelques terrains, car il a peur d’être menacé ou que sa famille et ses proches soient menacés, évidemment n’aura plus espoir puisque ces harcèlement ne sont pas documentés.

On oublie souvent les conditions économiques, mais il faut savoir qu’en général, les journalistes ne sont pas bien payés, surtout au Liban. « Garantir une scène économique viable pour les journalistes et une assurance qu’ils aient un salaire bien payé, une condition de vie assez décente ainsi que garantir une partie de leur indépendance. Si cela est garanti, bien sure que les journalistes ne se demanderont pas une question comme : à quoi bon continuer ? »
 
Un sentiment partagé entre les journalistes et les citoyens

La question de partir du pays est une que plein de gens évoquent, et non seulement les journalistes, mais aussi les citoyens, les activistes…

L’espoir qui est venu le 17 octobre 2019 avait montré à plein de journalistes qu’il y a une chance pour tout le monde de pouvoir exercer leur profession n’importe leur confession, ou de gagner le combat sur la liberté de presse.
« Je pense qu’il y a beaucoup de journalistes qui se fixent un deadline que : si la situation reste comme telle jusqu’à ce temps, je quitterai et je partirai du pays ».
Il y a plein de journalistes qui attendent par exemple les élections en mai 2022 pour voir si il y aura un cabinet indépendant ou bien que la situation restera comme telle et du coup songeront à partir du pays ou à changer de métier comme beaucoup de personnes, et nous pouvons voir le cas dès maintenant. Il y a en effet plus de libanais qui vivent à l’étranger aujourd’hui que des libanais qui restent au Liban.

Une révolution culturelle

Beaucoup de personnes réalisent qu’il y a eu un échec de la révolution politique. Après un an de révolution et manifestation, tous les jours, très actif très intense, le peuple dans la rue ne sert pas à faire tomber un gouvernement sur le système politique.

Donc les gens doivent se dire : À quoi bon descendre si après un an de manifestations et surtout après l’explosion du 4 août qui a ravagé un tiers de la ville, alors qu’il n’a eu aucun changement politique ?

Cependant, le jeune journaliste nous annonce que « les gens ont conscience qu’il y a eu un changement culturel majeure. La plupart des idées indépendantes qui étaient minoritaires et résiduelles dans les résultats des élections de la part des étudiants sont maintenant majoritaires et en tout cas sont entrain de se développer ».

On voit beaucoup de tabou et donc les gens ont conscience qu’il y a eu une révolution culturelle ainsi qu’ils ont conscience qu’il n’y a pas une mobilisation quotidienne et constante comme ça aurait pu être le cas en 2019 et en 2020. Il y a aussi une capacité de se mobiliser, notamment pour les commémorations du 4 août, les routes étaient pleines.

Donc, les gens, même en sachant qu’il y aura des répressions et de la violence, ont comme même été motivés de se mobiliser sous le coup de la morale pour la mémoire des victimes et pour la justice, tout en sachant que tout cela ne servira à rien à propos de l’enquête, mais ils sont descendus par morale et par principe.
« C’était par la suite une confirmation que les gens ont eu une révolution culturelle en espérant que sa traduction politique sera dans les élections 2022. Pourtant, il n’est pas facile de supprimer 30 ans de sectarisme ainsi que 15 ans de guerre civile, mais il faut prendre la chance et cette opportunité, car disons que c’est la fois la plus proche à avoir un pourcentage assez élevé d’indépendants ».  

Une situation non tenable aujourd’hui

Evidemment, la situation aujourd’hui n’est pas soutenable pour tout le monde à cause des coupures d’éléctricité, des problèmes d’essence, et donc il y a un manque assez important de ressources de base et d’approvisionnement énergétique qui ne rends certainement pas le métier des journalistes plus facile.
« les journalistes qui ont accès à 3-4 heures d’électricité par jour rend difficile de faire les montages et de charger les batteries et donc pour couvrir des sujets » confirme Arthur. « Nous sommes partisans à ne pas juste rester à Beyrouth, mais à aller un peu au Nord et au Sud, mais aujourd’hui avec le problème d’essence, ça devient un peu impossible. Quand il y a eu l’explosion à Akkar par exemple, on n’a pas peu aller à cause de l’essence.

Ceci crée de vrais problèmes pour le travail et pour des projets qui prennent du temps ; on a besoin à faire du montage, à avoir accès à l’internet, à faire des recherches… On peut toujours le faire avec des coups de fils et avec un papier et un crayon, mais cela reste toujours assez compliqué ».
Il y a eu beaucoup plus d’attaques contre les journalistes en 2019 durant les grandes manifestations, mais il y avait une vraie pression populaire qui fait que les journalistes se sentaient plus au moins en sécurité, car les citoyens ont été un peu derrière pour les protéger.

Cependant, Arthur explique que « Maintenant, c’est moins le cas, de pouvoir mobiliser les gens pour défendre la liberté de presse vu qu’il n’y a plus des centaines et de milliers de personnes dans les rues. Donc bien sure ça peut être un risque ».

Au milieu du chaos, il ne faut pas perdre espoir, même si cela semble devenir de plus en plus difficile, mais peut-être que les élections de mars mèneront à quelque chose de nouveau comme l’espère Arthur.

Sinon, non seulement les journalistes, mais plus de citoyens libanais partirons le pays retenant leur douleur de quitter leurs proches et de devoir recommencer ailleurs.