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Parfums d'espoir

La communauté arménienne en Turquie : une identité fragile

Mardi 27 Septembre 2022

Texte et photos : Yasmin Akar et Luc Alaux

Il est difficile d'imaginer que certains Arméniens vivent encore parmi les Turcs. Les Arméniens sont considérés comme des traîtres en Turquie et les Turcs sont considérés comme des génocidaires par les Arméniens. Comment une cohabitation harmonieuse et réussie peut-elle avoir lieu ? Comment l'histoire et son interprétation impactent-elles les relations de ces personnes qui, qu'elles le veuillent ou non, partagent la même terre ? Une jeune femme de 24 ans, faisant partie de la communauté arménienne en Turquie, nous raconte ses expériences, ses émotions, et les difficultés qu'elle a dû endurer.


Première église protestante arménienne à Istanbul, Turquie
Première église protestante arménienne à Istanbul, Turquie

 

Environ 70 000 arméniens (arméniens en Turquie aujourd'hui : une évaluation critique de la minorité arménienne dans la République turque; Tessa Hoffman) vivent encore aujourd'hui en Turquie, et pour la plupart à Istanbul. On peut se demander comment tant de personnes de la communauté arménienne vivent dans un pays avec lequel elles ont historiquement des conflits sans fin ?
 
La partie orientale de la Turquie, est la patrie originelle du peuple arménien qui s'est vidée des arméniens au cours du génocide de 1915, et à cause de la suite des opérations de nettoyage dans les décennies suivantes. La plupart des Arméniens appartiennent à l'Église apostolique, tandis qu'une petite minorité appartient aux catholiques ou aux protestants.
 
De plus, 12 451 citoyens de la République d'Arménie vivent actuellement en Turquie selon les données du ministère turc de l'Intérieur de 2002. « Un total de 82 249 citoyens de la République d'Arménie seraient entrés en Turquie entre 1997 et 2001 ». Ce mouvement et cette lutte territoriale sans fin ont conduit aujourd'hui à avoir des personnes originaires d'Arménie mais qui sont nées et qui vivent aujourd'hui en Turquie dans des quartiers arméniens. Cela a provoqué un choc des identités, ainsi qu’un gros problème sociale et culturel, où la communauté arménienne en Turquie rester dans une bulle refnermée et coincée dans le passé à cause de la discrimination, et les turcs semblent moins concernés par les minorités dans leur pays, surtout avec la situation économique fragile dont ils en souffrent et endurent aujourd’hui. 

Nous avons rencontré une jeune fille de 24 ans vivant à Istanbul. Étant une Arménienne parmi les Turcs, elle nous dit qu’elle ne se sent pas intégrée dans la culture turque, dès que nous avons ouvert le sujet.

« Nous venons d'un village de l'Arménie historique, qui se trouve actuellement au Sud-Est de la Turquie. Mon identité est complexe, même si je suis arménienne et même si j'ai étudié dans des écoles arméniennes à Istanbul, je ne sens pas autant liée à mon pays d’origine commes les autres personnes de ma communauté. Et j'ai surtout peur de ne pas y être accepté car les Arméniens pourraient me voir d'abord comme une Turc, vivant ici et me faisant des amis Turques; ce qui est déchirant. »

Elle nous fait part de ses sentiments mitigés sur le fait de devoir préserver son identité et ses racines, tout en souhaitant s'ouvrir à différentes cultures dont le pays dans lequel elle vit, la Turquie. Après l'école secondaire; elle a été exposée à la culture turque à l'université et a donc dû cacher le fait qu'elle était arménienne la plupart du temps, car elle ne voulait pas se lancer dans une conversation gênante et inconfortable.

Ankara, Turquie
Ankara, Turquie

« J'ai de la chance de pouvoir étudier dans ma langue maternelle jusqu'au lycée, mais parfois je n'étais pas à l'aise de dire que j'étais arménienne. Je ne pouvais même pas dire « MAMAN », je devais dire « ANNE » à la place, qui est le mot turc pour mère, devant les autres. Mes parents m'ont dit de le faire car ils avaient peur de la discrimination puisqu’ils y étaient confrontés très souvent dans leur ville natale. C’est pourquoi je ne peux pas dire que je me sens intégrée en Turquie ». 

Dans une telle situation où les deux pays ne reconnaissent pas les événements importants passés qui ont affecté leur formation et la mobilization de leur population, la question de l'identité devient cruciale et encore plus difficile à résoudre. Par conséquent, la question de l'identité reste non résolue, car les deux camps ont des opinions extrêmement différentes sur la question du génocide, et leurs expériences et traumatismes passés n'ont toujours pas disparu aujourd'hui. L'un des principaux arguments avancés par les Arméniens, est le fait que le gouvernement turc et son peuple n'ont pas encore reconnu le génocide arménien qui s'est produit. De nombreux arméniens ont affirmé aussi d’avoir tenté de s'intégrer en turquie en faisant tout ce qu'ils pouvaient pour participer aux services importants du pays. Ils pouvaient faire le service militaire, ils pouvaient aussi payer les impôts, mais même dans ses conditions, beaucoup d’actions illégales se passent envers eux quand ils veulent une position plus élevée par exemple. Ils revendiquent que beaucoup de choses se passent en dehors de la loi, et leur droit ne peuvent jamais être sécurisés à cause de cette forte discrimination. 

Alors que d'un autre côté, le gouvernement turc n'a pas reconnu ce génocide. Les Turcs ont fortement affirmé n'avoir vu aucune discrimination à l'égard des Arméniens vivant à Istanbul par exemple. Dans un article écrit dans l’institut français d’études anatoliennes, nous pouvons voir un exemple des points de vue turques suite à un témoignage d’Emin Çölasan, il s’exprime:

« Je suis sûr d’une chose, c’est que nos concitoyens arméniens vivent libres sur notre sol. Il n’y a aucun obstacle, que ce soit contre leur langue ou leur culture. Il n’y en pas de la part de la société ni de l’État. Ils ont un patriarcat, des églises, des écoles, des hôpitaux, des fondations, des journaux, et dans nos journaux il y a des éditorialistes arméniens. Ils ont leurs célébrations, vont dans leurs propres écoles. Ils ne subissent aucune pression. La plupart de nos concitoyens arméniens sont fortunés. Beaucoup d’hommes d’affaires, de marchands ou d’artistes stambouliotes sont Arméniens... »

Istanbul, Turquie
Istanbul, Turquie

Deux visions très différentes montrent la difficulté des deux communautés d’ameilorer leur relations, et les arméniens sont tellement affectés par leur situation que le sujet de normalisation des relations entre les deux pays devient très sensible, et peu encouragé. Il n’y a pas de confiance sur les gouvernements, surtout de la part des arménienes envers le gouvernement turque. Mais la confiance doit d’abord commencer avec les citoyens, et cela est encore complexe. La façon dont les gens perçoivent le camp adverse est très liée à ce que leurs parents, grands-parents et autres générations leur ont appris, et comment l'éducation dans les écoles et les universités grave également certaines idées dans l'esprit des gens. « Turcs et Arméniens, même intellec­tuels, ont une vision opposée non seulement de l’histoire mais aussi du paysage anatolien où ils ne voient pas la même chose ». 
 
Le problème d'identité a poussé des gens comme la jeune arménienne de 24 ans à se demander si elle peut, ou non, pratiquer ses racines arméniennes, mais aussi sortir et faire l'expérience de la vie turque. Elle parle arménien et turc, et elle a vécu toute sa vie sur le sol turc, mais, explique-t-elle :

« Je me considère définitivement arménienne, venant de Turquie. Je ne dis jamais que je suis turc ; J'essaie toujours de dire arménienne parce que j'en suis fier, et bien sûr ce n'est pas acceptable en Turquie. Je vis la culture arménienne, pas la culture turque… bien qu'il y ait bien sûr des influences des deux côtés. Des amis turcs me disaient parfois : ‘Oh… mais alors tu es turc parce que tu vis en Turquie… ce qui veut dire que tu n'es pas arménienne’ . Mais non ; moi, je ne suis pas turc ».

Cette jeune femme ne veut pas rester coincée dans une bulle de sa communauté; bien qu'elle veuille préserver sa culture arménienne, elle veut toujours sortir et découvrir la culture, les habitudes et le mode de vie des turcs. Elle ne met pas la nationalité au premier plan, mais elle apprécie la variété et la beauté des origines diverses, ce qui semble difficile dans une relation aussi complexe entre la Turquie et l'Arménie.

« C'est beau d'avoir des cultures différentes, mais on se pousse à dire qu'on est « ceci » et « cela » ; et que on doît l’être…mais je pense qu'il est important d'harmoniser les cultures avec leurs beautés et leurs défauts ».


Gyumri, Arménie
Gyumri, Arménie

Elle continue: 

« Oui, en Turquie, il y a du racisme, je crois avec mon cœur que tous les turcs ne sont pas comme ça, mais j'ai entendu des choses très racistes. Je ne veux pas généraliser, mais je me rappelle d’un évenement qui m’a beaucoup affecté quand j’étais au lycée. Jétais dans une maison de formation qui était turque et non arménienne, et j'ai rencontré une fille qui m'a dit après quelques minutes de discussion, d’un air surpris  : ‘Oh , tu es arménienne… comment ça se fait ? Tu es gentille !’

Même si elle est sincère en disant cela, c'était très raciste ! Cela m'a fait réaliser que ça ne s’arrêtera pas là… il y aura de plus en plus de ces commentaires et c'est pourquoi je suis devenue plus prudente à l’université, et la plupart de mes amis ne savent même pas que je suis arménienne en effet ».


Cette jeune étudiante fait partie des personnes qui n'ont pas encore beaucoup voyagé mais qui sont définitivement ouverts pour comprendre les différentes cultures et combattre les stéréotypes. Mais elle ne peut pas le faire seule lorsque l'autre personne de ce même pays ne respecte pas son histoire. Elle ne peut pas se battre seule, et elle continuera d'être déçue car cette discrimination n'est pas seulement apparente à l'extérieur dans des endroits où elle n'est jamais allée, ou même par la lecture de nouvelles dans les médias, mais plutôt dans son propre entourage où elle vit tous les jours.


« Certains Arméniens sont très satisfaits de vivre ici en Turquie, mais personnellement je ne le suis pas. Biensûre cela est aussi à cause de la situation que l’on vit aujourd’hui, surtout avec la crise économique. Mais comme je l'ai déjà dit, dans mes expériences précédentes, je me suis souvent sentie oubliée, délaissée, et je me sentais différente ».


Gyumri, Arménie
Gyumri, Arménie

Ce que veulent les gens comme cette jeune arménienne, c'est que leur passé ne soit pas oublié. La reconnaissance du passé semble être le premier objectif de chaque arménien parce qu'ils sont tous traumatisés par leurs ancêtres et leurs grands-parents qui ont dû déménager à cause d'une telle persécution. Ils veulent une reconnaissance pour qu’il y ait plus de chance d’avoir des changements et des discussions éfficaces envers la paix et la sécurité des minorités en Turuqie.

Lorsque j'ai interviewé des étudiants universitaires dans la rue d’Erevan, capitale de l’Arménie, j’ai remarqué suite à nos discussions que ça ne les dérangeait pas d'avoir une normalisation des relations entre la Turquie et l'Arménie, mais ils étaient sceptiques à ce sujet car ils pensaient que les arméniens seraient à nouveau trahis, et aujourd'hui ils sont faibles car ils sont entourés de puissantes forces alliées qui ne reconnaissent pas leur génocide, et, ne veulent pas voir leur pays prospérer, selon eux. C’était intéressant de voir les différents opinions des arméniens aussi envers la Turquie, surtout quand on compare les jeunes étudiants à leur parents et grands-parents, sans oublier la diaspora arménienne… Il est nécessaire de comprendre que les arméniens ne savent plus ce qu’est leur identité, et par la suite, ils deviennent de plus en plus conservateurs et attachés à des identités qui sont perçues différemment.


Je sais que notre histoire devient de plus en plus oubliée, à cause de beaucoup de choses qui se passent en Turquie, mais je pense que nous devrions être écoutés d’avantage par les personnes qui gouvernent ce pays, et je pense que cela se produira lorsque nous accepterons des arméniens et d'autres minorités dans le parlement; cela pourrait être une approche que je soutiendrais. Je pense que le gouvernement turc devrait commencer par l'éducation et qu'il devrait éduquer les enfants à être plus ouverts d'esprit vis-à-vis des autres minorités; même leurs propres minorités, car je sais que beaucoup de personnes qui se disent être turques, ne le sont pas d’origine. Ce serait vraiment bien pour eux de savoir d'où ils viennent vraiment, quelles idées et quelle identité ils portent, quelle est leur histoire et celle de leurs familles…ce n'est qu'avec l'éducation qu'ils s'en rendront compte.


Le Mont Ararat, symbole historique de l'Arménie, se trouvant aujourd'hui en Turquie
Le Mont Ararat, symbole historique de l'Arménie, se trouvant aujourd'hui en Turquie

Il n'est pas facile pour une population de ne pas se sentir chez elle. De nombreux arméniens qui ont fui après le génocide ont expliqué qu'ils avaient déjà commencé leur vie ailleurs car ils y avaient été forcés. Et même s'ils sont peut-être venus en arménie et qu'ils ont adoré, ils n’ont pas pu se sentir facilement intégrés non plus. L'éducation à domicile est différente à certains égards, comme la langue. Aujourd'hui, une partie importante de la population vit sur le territoire du pays avec lequel elle a des problèmes persistants et des antécédents sanguins. Les événements du Haut-Karabakh ont également aggravé la situation et accru les tensions entre les quartiers. Le fait que les arméniens soient sains et saufs et heureux de vivre en Turquie n'est pas tout à fait vrai, mais il semble y avoir un peu d’espoir. La jeune arménienne reprend :


 « le peuple arménien souffre de cette douleur depuis plus de 100 ans, et cela continue malheureusement, nous sommes toujours confrontés à la discrimination et au racisme, et cela s'arrêtera avec les jeunes générations, notre génération, et une façon d'y parvenir est avec l'éducation ».


La division n'est pas seulement entre les arméniens vivant en Turquie et les Turcs, mais aussi entre les Arméniens vivant en Arménie et ceux vivant ailleurs, en particulier sur le territoire turc. Certains pourraient les considérer comme des traîtres et indignes d'être appelés arméniens. Malheureusement, la population arménienne est divisée entre ceux qui vivent en Arménie, ceux qui vivent à l'étranger, et plus précisément ceux qui vivent en Turquie. Ce déplacement a affaibli le pays, bien qu'aujourd'hui la diaspora semble ne plus venir en Arménie et investir dans des projets. Beaucoup ont encore peur d'être acceptés, et leur objectif est de trouver une vie sans discrimination vers une identité stable, unie et forte.

Cette étudiante ne veut pas avoir de problèmes avec le pays turc ni ses habitants car elle y a vécu et apprécié jusqu'à aujourd'hui sa beauté et sa culture. Mais, elle veut ressentir un juste équilibre et un traitement équitable envers elle, sa famille et sa communauté. Elle ne veut plus avoir peur de se présenter et de présenter ses vraies racines. Elle veut être entendue sans arrière-pensée. Elle veut que le droit à sa famille lui soit accordé afin qu'elle se sente la bienvenue où qu'elle aille. Et même si cela lui semble utopique et loin d'être possible, elle croit profondément que cela peut être travaillé et les peuples des deux pays peuvent apprendre à s’accepter. 


Je souhaite juste qu'un jour, peut-être dans un monde utopique, le gouvernement turc approuve le génocide arménien, et qu’il assume la responsabilité des arméniens » a-t-elle poursuivi ; « et je crois fermement que si cela se produit, ce sera quelque chose… Cela ne ramènera probablement pas mon peuple, mais cela montrera l'importance d'assumer la responsabilité de ses actes. Même si je ne pense pas que cela arrivera, mais je souhaite que cela puisse arriver pour que les arméniens se sentent finalement représentés avec justice et respect.


Gyumri, Arménie, Monument de la Mère Arménie
Gyumri, Arménie, Monument de la Mère Arménie

Ce que l'avenir attend de ces pays et de la communauté arménienne reste incertain, mais la possibilité d'une escalade des tensions est toujours présente et elle secoue constamment les arméniens vivant en Turquie qui ne veulent rien d'autre que la paix et la stabilité. Les arméniens qui ont passé leur vie en Turquie ont été à la fois bénis et maudits. Peu importe à quel point les arméniens vivant en Turquie apprennent à s'intégrer en Turquie, ils se sentiront toujours sous pression et indésirables, car ils sont victimes de discrimination. Cela leur cause de l'instabilité et une barrière pour s'intégrer correctement avec les turcs. Si depuis l'enfance, les enfants sont éducés des deux côtés à ne pas faire confiance à l'autre, alors il y a très peu de chances pour qu'ils développent un état d'esprit différent en vieillissant. Le traumatisme passé les a tellement touchés que malheureusement le sujet reste très sensible, pour les deux camps. Il faut en effet un effort des deux pour que des solutions concrètes peuvent être réalisées.

Les turcs ne le font peut-être pas exprès, mais leur sentiment de supériorité envers une telle minorité laisse les arméniens se sentir plus rancuniers et donc fermés à leur communauté. Les arméniens vivant en Turquie sont malheureusement plus vulnérables à ce qui se passe, mais on pourrait dire que s'ils n'y vivaient pas une vie stable avec des exigences de base minimales, ils seraient partis depuis longtemps. C'est ce qui fait de leur relation un mélange d'amour et de haine comme le décrit la jeune étudiante arménienne; elle souhaite que cette relation soit moins extrême et de plus en plus ouverte.


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