4 Septembre 2013 - écrit par - Lu 6168 fois

Petite sociologie personnelle des usages de Facebook

Après l'habituelle et première tournée journalière de mes trois réseaux sociaux, l'envie m'a pris un matin, d'analyser l'usage que mes "amis" et moi faisons de Facebook. Voici donc un petit essai, sans prétention scientifiques ; si ce n'est, pourquoi pas, de déclencher vos réflexions et de collecter vos témoignages et réactions qui fonderont, peut être un jour, une base de connaissance partagée sur les usages des réseaux sociaux.


Ceci est la version allégée et revue du post paru le 14 Aout 2013.

Certains de mes proches pensent que je frise l'addiction au réseau social (Il faut bien qu'il m'en reste une!). En effet voila près de quatre ans que j'ai un usage intensif et assez ciblé de Facebook en liaison avec 114 amis (dont 93 personnes). 

J'utilise en parallèle pour promouvoir mes activités deux autres réseaux sociaux à visées plus professionnelles, Viadéo et plus récemment Linked'In. 


Tableau 1 - Effectif de mon réseau
Tableau 1 - Effectif de mon réseau
Fondons notre analyse sur quelques données chiffrées.

Mes "amis" (dans l'acception contestable qu'en donne Fb) peuvent être classés en quatre groupes dont l'effectif, comme le montre le tableau ci dessus, est assez équilibré.

Mon réseau Facebook a donc une taille modeste et qui le restera, c'est volontaire. Il ne comporte aucun ami que je n'ai rencontré personnellement au moins une fois dans la vraie vie. Entretenir des relations en ligne avec un effectif limité d'amis caractérise d'ailleurs la quasi totalité de mes correspondants, à l'exception de quatre ou cinq d'entre eux qui affichent  de 300 à 2550 amis. Leur point commun est une activité artistique qui nécessite la pratique d'un"marketing de soi ".

Je remarque aussi que le nombre d'amis est souvent lié à l'âge. Plus on est jeune plus - semble t-il - on a d'amis (au dessus de 200). Les seniors paraissent d'avantage sélectifs. Je note en revanche que plusieurs jeunes entre 20 et 23 ans ont rompu volontairement le lien virtuel avec leur réseau : " pour gérer, m'ont-ils déclaré, de manière plus maîtrisée et confidentielle leur communication amicale".  Je constate que ceux qui poursuivent la relation à cet âge et au delà ont souvent un projet à défendre - activité, voyage, engagement, ou alors l'édification - ou la volonté de consolider leur image familiale.

Tableau 2- Classes d'âges
Tableau 2- Classes d'âges
Les plus et les moins de 50 ans en proportion égale.

On a souvent l'âge de ses amis. C'est ainsi que plus de la moitié de mes contacts ont plus de 50 ans (soit 50 personnes et le cœur de ce  groupe a entre 55 et 65 ans, le plus vieux à + de 80 ans). Ainsi FB ne  fait pas peur aux seniors (du moins de mes amis !).

Corolaire de cette observation, petits enfants, petits neveux et cousins nourrissent l'autre extrémité de la pyramide (9 jeunes de - 25 ans). Au milieu, on trouve en égale proportion, des actifs trentenaires (16 personnes de 26 à 35 ans) souvent célibataires, ou au delà, souvent parents (18 personnes de 36 à 50 ans). Notons que dans cette catégorie ce sont souvent les femmes qui postent et "likent". Sur mon réseau, les femmes sont cependant un peu moins nombreuses que les hommes : 38/55.

Pour quels usages ?

Un tiers des membres de mon réseau sont des "utilisateurs passifs" à l'activité invisible. Ils ont ouvert leur compte et renseigné à minima leur profil, se sont abonnés à ma page (volontairement ou à ma demande) et depuis sont là mais ne postent jamais de messages ou de liens, ne likent pas, reçoivent parfois sur leur page des posts partagés sans même les commenter.

Quelques petits sondages discrets au fil des rencontres montrent que pour une part de ces utilisateurs passifs Facebook est un moyen pour recevoir des nouvelles des amis et plus encore des membres de la famille dont ils ont répondu à l'invitation. Les autres se sont inscrits un jour "pour voir" et ne reviennent que très rarement. Ils déclarent souvent ne pas comprendre comment ça marche ni à quoi ça sert ? "C'est trop énervant conclut immanquablement quand nous en parlons, un vieil et cher ami".

Cinq modes d'interventions permettent de caractériser les "utilisateurs actifs" :
les likeurs. Les plus nombreux. ils ont le j'aime facile, parfois avec de curieux contresens. L'important est de signaler que l'on est là, que l'on a lu. Ainsi ils s'inscrivent instinctivement dans ce processus de feed back, indispensable à tout début de communication.
- les partageurs. Nombreux aussi parmi les actifs, ils partagent, à la volée, sur leur page les liens d'informations (écrites, images et sons) en résonance avec leurs motivations, leur humeur, leur personnalité, leur image.
- les likeurs/commentateurs. Moins de la moitié des actifs osent le commentaire. Première étape d'un réel engagement dans la relation, nécessitant d'affronter la difficulté de l'écrit flash. Cette pratique est plus aisés quand le réseau est limité à l'univers familial strict ; plus risqué pour l'image sociale quand le cercle des relations s'élargit.
- les photographes/vidéastes : pour une part adeptes du partage des "instantanés de vie", ils sont nombreux chez les plus jeunes ou parmi les vieux geeks. Pour l'autre part ce sont des artistes (professionnels ou amateurs) des arts visuels ou du spectacle, promotionnant leurs créations, ou des voyageurs partageant leurs découvertes et émotions.
- les rédacteurs /partageurs : l'aristocratie du réseau (une quinzaine de personnes). Motivés par l'intensité des émotions amoureuses et esthétiques partagées, la force de l'expression engagée, le débat d'idées ou plus prosaïquement, la promotion publicitaire de leurs activités ou business.

Un dernier mode d'intervention, celui des chateurs, in-maileurs, caractérise un petit nombre d'actifs, adeptes de la conversation intime, qui progressivement découvrent les ressources de la plateforme Facebook comme instrument de communication interpersonnelle privée. Ils mettent en œuvre les fonctions messages écrits (remplaçant progressivement l'usage du mail), chat Aucun cependant ne va jusqu'à l'utilisation de la fonction vidéo conférence, plus technique à mettre en œuvre et peut-être plus impliquante au plan de la communication..


Un tiers de fortement engagés

En tête les vrais accrocs, ou pour être plus positif les "aficionados". Chaque jour et plusieurs fois par jour, voir chaque heure et plusieurs fois par heure, tôt le matin et tard le soir, ils partagent, commentent, likent avec bonheur et frénésie sur des thèmes récurrents ou au gré du temps et de l'inspiration. C'est une petite confrérie étroite, réagissant volontiers aux sollicitations des autres. Parfois ils marchent par deux ou en petites bandes. Ils sont 6 dans mon réseau auxquels je me joins, avouons le, volontiers.

Viennent ensuite les utilisateurs fréquents. Ils se manifestent trois à quatre fois par semaine, soit par de petits likes furtifs ou des partages ou des commentaires de posts pour donner de leurs nouvelles, envoyer un signal. J'en compte 23 dans mon réseau. Ajoutés aux aficionados ce sont donc un tiers de mes amis qui ont une activité notable, engagée.

Le second tiers apparait épisodiquement (par période de deux trois jours séparée par de longs moment de silence) ou rarement. Un post isolé, un "like" avec commentaire ciblé rappellent leur existence au réseau.


Tableau 3 - Fréquences d'utilisation
Tableau 3 - Fréquences d'utilisation

Quatre motivations d'usage

L'idée de partage est au cœur de la motivation des usagers de mon réseau Facebook.

Partager ses passions, ses goûts, ses émotions, ses sentiments, prioritairement avec les amis et relations proches constitue sans doute la première motivation d'usage.C'est, ce que font près des deux tiers des actifs de mon réseau.

Partager des nouvelles de la famille, prioritairement dans le cercle familial ou des amis proches, parfois étendu aux relations proches concerne la moitié des actifs.

Même proportion pour ceux qui veulent partager et promouvoir leurs compétences, leurs activités, leur petit business.

Enfin un peu plus d'un tiers des actifs partagent et défendent leurs idées, engagements politiques, sociaux, humanitaires.
Tableau 4 - Motivations d'usages
Tableau 4 - Motivations d'usages

Changer sa photo de profil

Au titre des différents autres usages, le changement de la photo de profil a un caractère remarquable. Bien sûr il y a ceux qui n'apportent aucun soin à la chose voir n'ont jamais téléchargé de photo (mais ces derniers ne sont jamais utilisateurs actifs). En revanche pour la plus part des actifs le choix de la photo et sa variation dans le temps semblent important. Ce choix traduit des changement d'humeur, d'état (amoureux notamment) d'orientation volontaire de son image au gré des évènements. La photo n'est pas  toujours un portrait, mais parfois un "signe distinctif". Le choix de l'illustration du bandeau est aussi objet d'attention pour mettre en situation. Ainsi plusieurs de mes amis dépensent des trésors d'ingéniosité pour établir une identité remarquable et manifestent une réelle culture de l'image.


Créer ou subir un fil d'infos.

L'autre usage, qui va de pair souvent avec le partage des idées ou d'activités / business, consiste à s'abonner à des pages médias (presse ou entreprises). Cette activité peut s'inscrire dans une stratégie d'information et est parfois couplée à l'usage de programmes de curation (à l'exemple de scoop It). Elle se rapporte autrement à un comportement plus passif. Elle est dans ce cas le résultat de l'habileté marketing des pousseurs de contenu qui n'ont pas leur pareil pour provoquer le clic d'abonnement.



Ebauche d'une typologie d'usage

En première conclusion de ce modeste essai, "vu de ma fenêtre" - et j'ai conscience du biais que constitue cette position pour la pertinence scientifique des observations - j'ose ébaucher une typologie des usages, que d'aucun pourra, à sa convenance, expérimenter et enrichir. Vos pratiques de facebook vous inscrivent sans doute plus ou moins dans un ou plusieurs types d'usages dominants. 
Tableau 5 - Matrice typologique
Tableau 5 - Matrice typologique

En projetant la rédaction de ce post, je ne pensais pas m'engager dans un tel chemin d'étude.

Je me suis pris au jeu de l'analyse et perçois une perspective d'enquête participative. Qu'en pensez-vous ? Etes vous prêt à y contribuer. Merci de m'en informer au moyen des commentaires.

Les analyses sur le phénomène social Facebook, le projet manipulateur de ses initiateurs, les effets redoutés de son usage ne manquent pas. Une approche critique des nouvelles technologies et des applications qu'elles recèlent est indispensable à leur maîtrise et à leur saine adoption. Cependant souvent ces analyses se centrent sur les risques (sociaux, psychologiques, économiques) et situent l'utilisateur comme victime potentielle, inconsciente et manipulable.

A titre d'exemple, le magazine Slate.fr, en date du premier Aout  évoque des études d'Universités Américaines mettant en avant le risque pour la santé mentale que font courir Facebook et plus encore d'Instagram (le réseau social de photos partageurs) à leurs utilisateurs. On lit ainsi : Le Human-Computer Institute de l’université de Carnegie-Mellon a découvert que notre «consommation passive» des actualités de nos amis et nos propres «fils d’informations accessibles à un large public» sur Facebook pourraient en fait être à l’origine de sentiments de solitude , et même de dépression.

Mon angle de vue et ma préoccupation sont autres : cerner et comprendre les usages et leur motivations. Pourquoi et comment des  personnes aussi différentes que celles qui font réseau avec moi sur Facebook (en terme d'âge, de centres d'intérêts, de niveau d'études, de professions, de positions sociales, d'orientations politiques, de culture...) s'approprient-elles l'instrument qui leur est accessible ? 

Ce type d'analyse partagée avec mes lecteurs s'inscrit dans le projet que je poursuis avec Angle de vue, Angles de vies de décrypter les nouvelles pratiques sociales. De "démultiplier les angles de vue ; de voir et surprendre la vie sous tous ses angles". 







              

Commentaires

1.Posté par joëlle le 16/08/2013 09:53
Cet article/analyse d'Alain m'a beaucoup intéressée
Petit commentaire :
Je me situe comme "utilisateur passif"
Si je regarde les nouvelles, les photos de la famille et des amis avec beaucoup de plaisir, je me pose parfois des questions :
- Ces photos ou post restent -ils dans notre cercle proche ?
- Qui d'autre va les voir ?
- Les cercles vont -ils se mélanger ? ex famille avec relations professionnelles ?
En fait pour passer de passif à actif, j'ai besoin d'être rassurée sur les limites de confidentialité des posts et sur leur utilisation par les uns et les autres (ex photos persos )

2.Posté par Laurijsen André le 16/08/2013 10:12
Cher Alain, oui vous m'êtes cher par la qualité de vos écrits, mais je m'interroge encore fortement sur le mot "Amis" au sens du réseau Facebook.
Est ce que nous sommes amis ? Le Petit Robert : 1 . Personne à laquelle on est lié par une affection réciproque / 2. Personne bien disposée, animée de bonnes intentions. Sommes nous dans un de ces cas de figures ?
Pourtant je reçois et je lis avec intérêt vos sujets et j'avoue me passionner pour certains, je les fais partager quelquefois, mais ça vous l'ignorez et ce n'est pas ce qui nous pourrait nous qualifier d'Amis.
Voici qu'aujourd'hui l' exercice est difficile pour me ranger dans un des tableaux, mais je vais y réfléchir plus en avant.
Dans tout réseau y a des liens et les nôtres remontent au Roch' Vélen via Gérard S lors de son cinquantenaire.
Mais ce n'est pas pour cela que je suis "Ami Facebook" , j'ai trouvé un niveau de réflexions et d'angles de vue qui nous rapproche fortement, une qualité d'écriture qui aujourd'hui manque cruellement dans la presse notamment.
Bien cordialement l'Ami.
@ndré Laurijsen

3.Posté par Alain Jaunault le 17/08/2013 19:09
Merci André de ce commentaire. Je suis d'accord avec votre remarque sur le concept d'ami sur Fb et je partage votre définition de la vraie amitié. C'est pour cela que je classe mes contacts en 4 groupes qui précisent le statut de la relation. D'ailleurs Fb permet - et c'est assez récent´ suite aux fonctionnalités de Google+, le concurrent, de gérer ces différences. Ce que les usagers ne maîtrisent semble- t'il pas toujours.
Ce qui me semble caractériser notre relation sur Fb à partir de ce que vous dires c'est un intérêt - réciproque - pour l'action, l'expression , la pensée de l'autre. Ce qui pour moi fonde un lien social, pas nécessairement une amitié.

4.Posté par hubocongo le 04/09/2013 20:23
Je suis un actif , participatif , additif et plein de truc en if , sauf le château et les tifs ,mais ca c est a cause de l'âge .
Mon éloignement Géographique et choisi de vie y sont certainement pour beaucoup , et me semble naturellement la réponse .
Néanmoins a la lecture de votre analyse mon cher Alain je me suis demandé si dans mon autre vie , celle d'avant et du 36\15 ,j'eut été aussi accro . La réponse est oui .
Comme toi , Alain , mon carnet d'amis est aussi assez limité et uniquement composé de personnes physiquement déjà rencontrés .Et je remarque que la relation a face-book ( le seul réseau que je fréquente)de chacun et chacune de ce petit panel pas forcement représentatif ( et toc encore un IF , one point) est très similaire a leur comportement général en société .
Les plus discrets , les attentifs , les meneurs , hâbleurs, ceux qui sourient mais n interviennent pas ou peu , ceux qui prennent du recul et analyse une situation ( action ) que d autres vivent de façon instinctive , les comportements et naturel de chacun mais sur écran plutôt qu'autour d une table de réunion de travail ou encore repas familial .
Nous sommes ce que nous sommes et FB n est rien d autre que le miroir de notre comportement social ou plus exactement une lunette a travers laquelle les autres nous voient d une manière qui peut être différente de celle dont nous nous voyons nous même , comme dans la vrai vie en somme .
Ceux qui ont 587 "amis " sont les post-ado qui reproduisent et relayent sur face book le relationnel furtif de leurs sorties en boite de nuit , rencontres et tissage de réseau propre a leur âge et les post quinquénaire 38 "amis" , avec qui ont échange volontiers ses impressions sur ce petit cotes de Roussillon découvert par l un d'eux .

La vie quoi . La vie social comme son mon l'indique .

5.Posté par BAtiono amidou le 10/02/2014 16:21
bonjour ou bonsoir selon le temps qu'il fait chez vous ; je suis BATIONO Amidou Burkinabé titulaire d'une licence en sociologie j'aimerai avoir un camarade ayant fait la même formation et entreprendre de bonnes relations d travail

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