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15/01/2015

René Vautier, le citoyen cinéaste, n'a jamais désarmé


René Vautier est décédé dimanche 4 janvier 2015 à quelques jours de ses 87 ans. Résistant à 15 ans, le cinéaste aura été engagé sur tous les fronts durant quelque soixante-dix ans. René Vautier était un homme rare, toujours resté aux côtés des citoyens « d'en bas » comme il disait. Retrouvons-le ici chez, lui, dans sa maison de Cancale, en Bretagne, avec ses mots et sa voix. Nous sommes en janvier 2011. René Vautier évoque les « petites histoires » de sa vie, raconte le combat qu'il aura poursuivi jusqu'à sa mort : la liberté de l'image.


19 janvier 2011, à Cancale, dans son bureau.
19 janvier 2011, à Cancale, dans son bureau.
Sa grande maison de Cancale surplombe la Baie du Mont-Saint-Michel, son horizon infini, son vent sans répit. Un repaire idéal pour l'infatigable cinéaste engagé René Vautier, 83 ans depuis le 15 janvier.

Son bureau, au sous-sol, peuplé de livres, de cassettes et d'affiches, raconte les combats d'une vie sans frontières, caméra au poing, avec les ouvriers grévistes de Brest, les maquisards algériens, les Bretons en lutte contre la marée noire, tous les résistants du monde... 

Deux heures d'histoires, petites et grandes, ont commencé. Sur une étagère, René Vautier a pris l'une de ses caméras, une Paillard.

René Vautier, le citoyen cinéaste, n'a jamais désarmé

Dans le crâne, toujours là, un morceau de l'objectif

1958. René Vautier est en Algérie, sous les balles françaises, aux côtés des maquisards algériens.
 
« La balle est venue dans la caméra, la caméra a explosé, un petit truc m'est arrivé dans le crâne. J'avais un passeport d'apatride sous responsabilité tunisienne, valable pour tout pays sauf la France. J'ai réussi à rejoindre l'Allemagne (de l'Est, communiste) pour qu'on me soigne le crâne et en même temps pour faire le montage de ce que j'avais tourné en Algérie et que j'ai appelé "Algérie en flammes". 


On examine mon crâne et le toubib me dit :   
 

- Y'a un morceau de métal 

- Oui, c'est le morceau de l'objectif de la caméra   

- C'était quoi votre caméra?

- Pourquoi?

- Parce qe je ne sais pas si on peut l'enlever. Un cal s'est formé. Il faudrait couper une partie de l'os du crâne et mettre une plaque ; d'un autre côté, comme ça ne risque plus de gratouiller le cerveau... Cétait quoi votre caméra?

- Une caméra Paillard

- Paillard, c'est du matériel suisse, c'est du matériel propre, je suis d'avis qu'on laisse le morceau. 

- Oui oui, moi aussi, je suis d'accord ! 

Je l'ai toujours. Je suis le seul cinéaste à avoir un morceau de caméra dans la tête, en tout cas, je n'en connais pas d'autres. » 


René Vautier, le citoyen cinéaste, n'a jamais désarmé

Du fusil à la caméra

René Vautier est né à Camaret le 15 janvier 1928 d'un père ouvrier et d'une mère institutrice. En 1943, Éclaireur de France, il entre dans la Résistance contre l'armée d'occupation allemande.
 
« Jeune, j'ai eu une formation où il fallait se battre. On s’est battu. Je crois que j'ai gardé tout le temps l’axe défini par les gens avec lesquels j’étais au maquis. C'était des petits gars, les Éclaireurs de France, cités à l’ordre de la Nation par le général de Gaulle. C’est ça, les origines.
 

Après, je leur ai dit : "Plus jamais je ne toucherai une arme de ma vie
- Qu'est ce que tu feras?

- Je ne sais pas. Je dénoncerai les choses qui ne vont pas mais peut-être avec une caméra."

Ce sont les copains du clan qui m'ont expédié au concours de l'Idhec, l'Institut des hautes études cinématographiques. »
 
À l'Idhec (devenue la Fémis en 1986)), le jeune Finistérien passe vite à l'acte. Durant sa première année, les mineurs du Nord se mettent en grève. Il y part. Il a 18 ans.  

 

« Je filmais aux côtés des mineurs. Un jour, je suis parti à Dunkerque où les dockers refusaient de décharger le charbon anglais acheté par le gouvernement français pour briser la grève des mineurs. J'ai été arrêté dans un local syndical : je m'étais endormi... Le commissaire m'a libéré, craignant que les dockers reviennent pour me chercher. »


René Vautier, le citoyen cinéaste, n'a jamais désarmé

Le film de la grève de Brest en morceaux

En avril 1950, René Vautier, 22 ans, se porte de nouveau aux côtés d'ouvriers en grève, à Brest. Le 17, les forces de l'ordre tirent sur les manifestants et tuent l'un d'eux, Édouard Mazé. Le lendemain, clandestinement car recherché pour son film « Afrique 50 » contre la colonisation, René Vautier arrive à Brest. Les syndicalistes vont s'arracher le film « Un homme est mort ».

« Le film a été présenté quelque chose comme cent-cinquante fois. Il n’y avait qu’une copie. Un jour, dans les locaux de la CGT à Paris, le film s'est cassé pendant la projection. Les spectateurs ne s’en apercevaient pas, ça cassait pendant le rembobinage. Le film s’est cassé par morceaux. J’ai dit "il a fait son usage"  et j’ai tout balancé dans la poubelle de la cabine de projection. »

Les pleurs du poète Paul Eluard

Le titre « Un homme est mort » est tiré d'un poème de Paul Éluard. Le jour de l'accident, un journaliste lance : "Il faut montrer le film à Paul Eluard. Je le vois dans deux jours." J’ai répondu : "Il n’y a plus de film". "Mais le son ? On lui fera au moins entendre."
 
Le texte avait été enregistré sur un magnétophone à fil. Nous sommes allés à la réunion du Conseil national des écrivains, dans une annexe de l'Élysée, à laquelle participait Éluard. Il était très mal fichu à l’époque, il était sous une grande cape, dans un coin. On a posé le petit magnétophone à fil sur ses genoux. Il a écouté. A la fin, j'ai dit : "C’est fini, il n’y a plus rien, je crois qu’il s’est endormi."

À ce moment-là, 
Éluard se retourne. Il pleurait. Il me dit : "Non, jeune homme, je ne dors pas mais laissez un vieux poète se faire à l’idée que, de son vivant, un de ses poèmes a été digéré par le peuple." Le texte était lu par un ouvrier brestois qui m'avait remplacé, j’avais eu une extinction de voix. Il avait considérablement changé le texte d' Éluard, j’avais la trouille, et je vois qu’Éluard pleure...

René Vautier, le citoyen cinéaste, n'a jamais désarmé

« Un homme est mort »: la vérité, 60 ans après

En 2006, « Un homme est mort », dont un court extrait seulement a survécu dans un documentaire allemand, renaît dans une BD de Kris et Davodeau. Mais les auteurs et l'éditeur, faute de preuves, ne tranchent pas une question majeure : quelle balle a tué l'ouvrier Édouard Mazé ?
 
Pierre Cauzien, un autre ouvrier, blessé et amputé d'une jambe, connaît pourtant la vérité. Il a fini par avoir accès aux archives policières sans pouvoir en parler : elles ne sont ouvertes qu'au bout de 60 ans. Depuis 2010, elles le sont...

« Pierre Cauzien a pu enfin dire la vérité devant la caméra, quelques mois avant sa mort ; c'est ma fille Moïra qui a filmé son témoignage. Le film de Moïra va rassembler tous les éléments. À l’époque, des gens ont fait courir le bruit que les premiers coups de feu étaient partis des rangs des manifestants. Maintenant, on a la pièce signée du gars qui a donné l’ordre de tirer. Je dois m’arranger pour que ce papier soit connu, Cauzien le voulait et il est mort, moi je ne suis pas encore mort tout à fait... 
 
La vérité, c'est que les gendarmes ont ouvert le feu sur les manifestants. Il n’y a pas eu de coup de feu à partir des manifestants. Il y a eu seulement des pierres, des cris. Un officier de gendarmerie a commandé le tir, on le retrouve d'ailleurs dans d’autres affaires à Brest.
 
On va essayer de réaliser le projet, de raconter l'histoire, avant que je claque. Je suis très content d’avoir vécu assez de temps pour dire ça et que ma fille ait enregistré avant sa mort le gars qui a passé sa vie à réclamer qu’on proclame la vérité. En même temps, il faut attendre 60 ans pour avoir le droit de dire une vérité... »

René Vautier, le citoyen cinéaste, n'a jamais désarmé

«Afrique 50 », le film interdit devenu « utile et nécessaire »

Un film de Vautier ne peut pas mourir. Il s'inscrit trop dans la vie, dans l'Histoire. Ainsi le premier de tous, « Afrique 50 », film-réquisitoire contre la colonisation qui lui a valu la prison et est resté interdit durant des décennies.  Il revit sur le Net, dans les images de Sarkolonisation, mais pas seulement...
 
« Le ministère des Affaires étrangères français lui-même l'a fait diffuser dans plus de cinquante pays, il y a une quinzaine d'années, pour montrer qu' il y avait des jeunes en France qui essayaient de montrer, dès 1950, les méfaits du colonialisme. Le ministère a même parlé  - j'ai la copie de la lettre - d'un "film utile et nécessaire" alors qu'il n’a jamais eu le visa en France ! "Afrique 50" a aussi été acheté par une chaîne de télévision française mais qui émet à destination de l’étranger. »

René Vautier, le citoyen cinéaste, n'a jamais désarmé

« La folle de Toujane », le film étouffé

René Vautier a connu toutes sortes d'adversaires ! L'un des plus vicieux est celui qui a entrepris d'étouffer, de censurer de son propre chef, « La folle de Toujane », ce film où Vautier marie dans une même histoire ses combats algérien et breton.

« Il y a un autre truc pour lequel je continue toujours à me  battre, c’est à propos de "La folle de Toujane".  Le film a été acheté complètement illégalement par un ancien patron des patrons à des gens qui n’avaient pas le droit de le vendre. 
 
J'ai fait un procès, j'ai gagné mais le type a fermé sa boîte et a fait déposer toutes les images à l’Institut pour la Conservation des films, à Bois d’Arcy, où l'on n’a pas le droit de sortir des documents que l'on n'a pas soi-même déposés ! Ils l'ont été  par  le beau-fils de ce patron qui ne supportait pas le film. 
 
J’essaie de retrouver la possibilité de le sortir, je vais me battre pour ça. Il a été tourné en partie en Tunisie. Toujane  c’est un patelin tunisien où notre instituteur breton a vu deux de ses élèves tués par les forces de répression française pour avoir écrit "Houria " sur les murs de l’école. Houria veut dire Liberté en arabe. Maintenant, les manifestations des Tunisiens, c’est aussi aux cris de Liberté. Ils écrivent aussi "Houria"sur les murs aujourd’hui... »

Des ennemis à oublier

René Vautier a toujours connu des difficutés avec le pouvoir. Aujourd'hui, Il n'est plus pourchassé, bien sûr. Dérangeant, seulement, et peu invité sur les grandes chaînes télé. 
 
« Je pense à un présentateur de télévision. C’était il y a une dizaine d’années. Il interviewait Henri Alleg (grande figure du combat algérien) et quelques autres. Henri Alleg a dû lui dire : "Mais pourquoi Vautier ne participe-t-il pas à l’émission ?"  Réponse du gars : « Mais parce que je voudrais faire une émission complète avec lui : j’en profite pour saluer Vautier. » Qui disait ça ? Frédéric Mitterrand, aujourd'hui ministre. S'il le souhaite, je peux toujours faire l'émission... »
 
Une soirée sur « René Vautier, cinéaste franc-tireur » annulée à Paris sur pression de militants pro-israéliens ; d'interminables procès et autres passes d'armes avec le Front National de la bretonne Claude Dupont Tingaud... René Vautier ne manque pas d'ennemis.  Heureusement, il en oublie :  « C’est vraiment un truc curieux, parfois je ne peux pas citer le nom des cons, j'oublie, j’ai l’impression qu’il y a un blocage,  je les efface. » 

René Vautier, le citoyen cinéaste, n'a jamais désarmé

Liberté de l'image: le grand combat se poursuit

René Vautier n'en a aura jamais fini avec le combat de toute sa vie, qu'il résume modestement : « Je n’ai pas de message à donner ; je me bats simplement pour qu’il y ait une reconnaissance de la liberté de l’image. » 

Entre ses photos de combats dans le maquis algérien et les  images diffusés sur Facebook par les jeunes Tunisiens près de soixante ans plus tard,  il y a certes un monde : « Aujourd’hui, l’expression par l’image, grâce aux petites caméras, est devenu un outil d’échange et les jeunes ont compris ça. » Mais à leur tour « ils doivent se battre contre la censure. »  

Les professionnels de l'image, en tous les cas, vont devoir «tenir compte des voix et des images qui montent d’en bas ». « Je suis fier de voir qu’on utilise mes vieilles images pour se battre », insiste-t-il. Vautier, l'éternel franc-tireur.   
 
Michel Rouger
(vidéo : Marie-Anne Divet)

« Tenir compte des images qui montent d'en bas »


Oui aux images volées de "Sarkolonisation"

"Sarkolonisation" est un montage vidéo  sur Internet,. Les auteurs ont pris des passages du film de Vautier "Afrique 50" pour répliquer au fameux discours de Dakar de Nicolas Sarkozy en juillet 2007. Pas de problème pour René Vautier.  

« Il y a des gens qui citent des extraits sans me le demander. C’est comme ça que j’ai eu "l’honneur" de participer à une réponse au président de la République après son discours de Dakar. 
 
Les gens ont fait un montage avec ce que dit Sarkozy et ce que j'ai répondu par avance sur la colonisation dans le film "Afrique 50". Ils ont appelé leur film "Sarkolonisation". On m'a dit: "Tu as le droit de demander qu’on interdise la diffusion". J'ai répondu : "Mais je suis contre les interdictions !" Chacun prend la responsabilité de ce qu’il dit. »
 

Revoir « Avoir Vingt ans dans les Aurès »






1.Posté par Claude le 15/01/2012 14:49
Bonjour,

Pour des informations sur le trvail de René , venez rejoindre le groupe :
http://www.facebook.com/groups/20696342611/10150533451732612/?ref=notif&notif_t=group_activity

Fraternité

Claude

2.Posté par Rémi Begouen le 06/01/2015 09:54
J'ai laissé mon commentaire sur le billet du jour, de Michel Rouger, avant de relire, avec émotion, ce reportage de 2011 !

3.Posté par LE HERISSE le 06/01/2015 16:39
demain mercredi soir : hommage du MIDAF à René Vautier avec projection d'Afrique 50

mercredi 7 janvier à 20h à la Salle polyvalente de Vezin-Le-Coquet

"Compaoré dégage!" témoignage d'adhérentes du MIDAF ayant assisté aux évènements du 30 octobre au Burkina

suivi d'un "Hommage à René Vautier" décédé dimanche

avec projection du film "AFRIQUE 50"

entrée libre

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