Envoyer à un ami
Version imprimable
Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
06/02/2016

Migrant, ancien SDF, Bienvenido aide les Roms de Stockholm


Bienvenido Flores porte un prénom prédestiné. Venu d'Equateur en 2000, il a connu l'homophobie, l'exil, le chômage, la rue mais aussi des « miracles » qui font de lui un être fin, éclatant, et un redoutable défenseur des droits humains au service aujourd'hui des Roms vivant à Stockholm.


Bienvenido habite aujourd'hui chez son ami Hans qui est décorateur.
Bienvenido habite aujourd'hui chez son ami Hans qui est décorateur.

STOCKHOLM. - Installé dans un fauteuil, thé fumant dans son appartement à la déco baroque, il parle, il parle, Bienvenido… En prenant son temps, il rit aux éclats, parle avec les mains et écoute avec le regard. Arrivé d'Equateur en Suède en 2000, Bienvenido est en arrêt maladie depuis cinq ans. On lui a diagnostiqué une dépression. C'est ainsi dans la vie, dans les vies de Bienvenido.

Issu d'une famille pauvre en Equateur, il convainc ses parents de lui laisser faire des études. Une fois en ville et diplômé, il parvient à travailler dans une organisation humanitaire internationale. Il achète une maison, avec électricité et eau courante. Il fait la fierté de ses parents. Mais une rumeur sur son orientation sexuelle le fait renvoyer de ses fonctions. Dans ce pays conservateur, il ne fait pas bon être homosexuel.


Une nouvelle vie en Suède

Alors âgé de 34 ans, Bienvenido prend « la grande décision », comme il la nomme. Il va vivre en Suède, terre de tolérance. Là, à l'aube des années 2000, hébergé chez une amie, il se découvre une nouvelle vie à Norrköping, petite ville à une centaine de kilomètres de Stockholm. Après la fête, il distribue le courrier sans être déclaré  : « C'est le travail de quelqu'un d'autre, il faut faire très attention. » Il rencontre des hommes en ligne, via l'internet naissant. On lui fait savoir que son comportement n'est pas le bienvenu dans la communauté latino-américaine. Il étouffe dans cette petite ville et rêve de Stockholm. A son arrivée, le 19 mars 2001 à la gare centrale, c'est le choc. La personne rencontrée sur internet se révèle mal intentionnée. « Je me suis mis à errer dans Stockholm, se souvient-il. Il faisait froid, très froid. »


Dans la rue, "tu n'as rien, même plus tes valeurs."
Dans la rue, "tu n'as rien, même plus tes valeurs."

Lui aussi a connu la rue

Il n'a que 300 couronnes (environ 30 euros) en poche, destinées à l'achat de crédit pour son téléphone. « J'ai lutté pour ne pas pleurer cette nuit-là car je devais assumer ma décision d'être parti », déclare Bienvenido, l'air résolu. S'ensuit trois semaines de rue où il doit lutter contre le froid, la faim et la peur de la police. « Tu fais des choses que tu ne ferais jamais, répète sans cesse Bienvenido. Quand j'étais petit, même si on était très pauvre, on avait toujours une soupe légère ou bien quelqu'un de la communauté faisait à manger. Mais là, tu n'as rien, même plus tes valeurs. Donc, tu fouilles les poubelles. » Il mime le geste, et tord sa bouche en gardant les yeux fixes : « Tu es obligé. Et quand tu manges ce que tu trouves, tu te sens... misérable. Ton estime de soi s'effondre. » 

Hans, un Suédois avec qui il était en contact en ligne, le rencontre et une histoire d'amour naît entre les deux hommes. Bienvenido doit attendre pour demander des papiers, l'Etat attend des preuves pour légitimer cette histoire qui semble fausse. Ils tiennent bon. Plusieurs mois plus tard, il obtient ses papiers. 


« Vous avez déjà un emploi, de quoi vous plaignez-vous ? »

Bienvenido travaille dans une entreprise de nettoyage, comme beaucoup de migrants en Suède. Seulement voilà, il veut donner un sens à son travail. « Vous savez, quand vous avez un travail, c'est que vous voulez construire quelque chose », assure-t-il, implacable. Or, Bienvenido, ce qui lui va, c'est l'humain. Ainsi, « tous les jours » jure-t-il, il frappe à la porte du Pôle Emploi suédois. On ne comprend pas sa demande : « Vous avez déjà un emploi, de quoi vous plaignez-vous ? » On lui fait comprendre qu'en tant que migrant, il devrait avoir de la chance. « Mais on a aussi un cerveau ! », rit-il. Devant les refus, il insiste, il persévère : « Je n'acceptais pas la réalité. »


L'humain a rattrapé Bienvenido, alors au plus fort de sa dépression.
L'humain a rattrapé Bienvenido, alors au plus fort de sa dépression.

La dépression

Puis, un jour, on lui annonce qu'il y a peut-être un programme à l'université pour compléter son cursus et travailler en Suède. Par « miracle », il devient travailleur social auprès de migrants. Mais au bout de cinq ans, il tombe en dépression à cause du harcèlement de sa cheffe. Malgré l'enquête de son syndicat qui atteste de la violence subie, il n'a « pas la force d'aller jusqu'aux tribunaux » et démissionne.

C'est là qu'il sombre vraiment. Il doit vendre son appartement en toute urgence et le brade. Il a des dettes avec les taxes de la vente. « Le monde que j'avais construit s'est effondré. » Suivi par un psychiatre, il abuse de médicaments. « J'étais un zombie. » Hans décide que Ecko, le chien du couple, passe sous la responsabilité entière de Bienvenido. A lui de s'en occuper, et de le promener. Dans la rue, c'est plutôt le chien qui promène Bienvenido.


Il découvre un monde qui n'est ni vu, ni écouté

Un jour, Ecko s'arrête devant un homme courbé qui mendie dans la rue. Les deux hommes lèvent la tête et se regardent. Bienvenido est frappé par les yeux bleus, « plein d'expression et d'intelligence » de l'homme assis. « Ecko savait exactement de quoi j'avais besoin. De gens. » Il trouve dix couronnes dans sa poche. « Au lieu de mettre dans son gobelet, je le lui ai donné dans sa main. Je l'ai touché et c'était… humain. » La voix de Bienvenido tremble.

Plus tard, il rencontre Alexandro, un jeune Rom infirme qui fait la manche dans la rue commerçante. C'est lui qui va lui ouvrir les portes et les yeux sur ce qui se passe dans une ville où rien ne se passe. Le trafic d'humains, la misère et l'ignorance, les conflits... Il lui fait découvrir ce monde qui n'est ni vu, ni écouté. Bienvenido l'écoute avec le professionnalisme du travailleur social. « J'avais retrouvé mon travail. »


Geta et Bienvenido.
Geta et Bienvenido.

« Si vous ne faites rien, je ferai un rapport sur vous. »

Il utilise son réseau des services sociaux. Met à profit ses connaissances et présente des Roms à l'hôpital, en commençant par Alexandro. On refuse de les soigner. « On me criait dessus que ce n'est pas possible », dénonce Bienvenido. Il retrouve là toute la fougue qu'il lui manquait. Il énonce, impassible, les accords internationaux entre les pays, les Droits de l'homme, et sort son arme fatale : « Si vous ne faites rien, je ferai un rapport sur vous. » En deux mois, 374 visites ont été enregistrées, contre 22 en un an.

Face à Bienvenido, la police refuse aussi d'enregistrer des dénonciations de trafic d'humain ou des plaintes de la part de Roms. Mais il tient bon, convaincu que les droits de l'humain sont avec lui. « Je sais ce qu'ils traversent. »

Sur la suggestion de Hans, des journalistes s'intéressent à Bienvenido. Il reçoit un prix de 1 000 euros, délivré par un journal local. Il verse la totalité à une jeune fille Rom qui doit faire une transplantation de reins : « C'était une question de vie ou de mort ». Dans cette traversée médiatique, il rencontre Geta Iorgu. une jeune femme Rom. Ils deviennent amis. Geta fonde l'association Remis qui représente les Roms à Stockholm. Une première. Une page Facebook est alimentée de nouvelles de Geta qui, avec Bienvenido, occupe peu à peu le terrain politique.

Bienvenido s'est auto-proclamé « porte-parole des migrants européens ». Il porte la parole et un jour, la laissera faire son chemin. « Je les prépare à mon départ, car je ne vais pas rester ainsi toute ma vie ». Bienvenido sait combien l'argent, la fatigue, le froid, la faim et la misère prennent une place immense. Pas de place pour penser. Pour réfléchir, pour se battre pour ses droits, imaginer pour améliorer ses lendemains. Juste survivre, aujourd'hui. Se construire un futur, c'est bien ça tout l'enjeu. Pour les Roms comme pour lui.

Violette Goarant




Nouveau commentaire :


L'enquête des lecteurs


"Les gens qui ne sont rien"
Dans ce voyage, un reporter fait partager le meilleur de ses rencontres. Femmes et hommes  de  toutes contrées, des cités de l’Ouest de la France aux villes et villages d’Afghanistan, d’Algérie, du Sahel, du Rwanda, de l’Inde ou du Brésil, qui déploient un courage et une ingéniosité infinis pour faire face à la misère, aux guerres et aux injustices d’un monde impitoyable. 280 pages. 15 €.

Et neuf autres ouvrages disponibles