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14/09/2011

Le combat d'Ashmat, le breton-afghan


Ce samedi 17 septembre, il reprend l'avion, une fois de plus, pour Kaboul. Ashmat Froz passe ainsi sa vie entre ses deux pays. Jusqu'au bout, il défendra l'héritage du commandant Massoud, son ami assassiné deux jours avant l'attentat des tours jumelles, la figure légendaire d'un Aghanistan moderne, libre et indépendant.


Là-bas la moitié de l'année, pour reconstruire (photo Paul Le Meut)
Là-bas la moitié de l'année, pour reconstruire (photo Paul Le Meut)
Chez lui, à Rennes, Ashmat Froz reste le fidèle parmi les fidèles. Il a les murs tapissés de souvenirs. Autant de moments vécus avec son ami disparu, comme ces visites de chantiers dans la vallée du Panshir, à l'époque où il fallait accueillir les fugitifs chassés par les combats.

La guerre civile met alors Kaboul, la capitale, à feu et à sang. On voit Massoud traverser un bras du fleuve pour découvrir une école prête à accueillir 150 jeunes réfugiés. Une autre photo montre Massoud écouter les explications de l'architecte, qui fait de son mieux pour construire des logements sous les attaques aériennes. L'architecte, c'est lui, Ashmat Froz, l'Afghan devenu Breton il y a plus de 35 ans.

Quand il est arrivé à Rennes en 1974, son pays connaissait une relative période de paix. Ashmat avait alors décidé de rejoindre son frère étudiant boursier à l'école d'architecture. Quelques années plus tôt, le roi avait été chassé du pouvoir par son cousin Daoud. Depuis le départ des Anglais en 1919, les trois rois qui s'étaient succédés n'avaient rien fait pour engager le pays sur la voie de la modernité.  Le taux d'analphabétisme était supérieur à 80%. Le nouveau régime fait naître des aspirations à aller de l'avant, notamment chez les intellectuels et les étudiants. « Ils étaient partagés en deux camps. Il y avait ceux qui défendaient le modèle occidental et les pro-russes. »

En avril 2001, avec Massoud, quatre mois avant son assassinat (photo Michel Rouger)
En avril 2001, avec Massoud, quatre mois avant son assassinat (photo Michel Rouger)

Massoud, un ami rencontré au lycée

Les six enfants de la famille Froz ont la chance de faire leurs études au lycée français de Kaboul. Le père, directeur de banque, ne parle pas le français mais il est fasciné par la langue de Molière. C'est à l'époque du lycée qu'Ashmat fait la connaissance de Massoud, un étudiant qui sait ce qu'il veut. C'est déjà un humaniste tadjik, féru de poésie et de culture.

« Il s'est inscrit à l'école polytechnique et voulait faire architecte. En 1974, il devient opposant au régime républicain et ne supporte pas l'arrivée d'enseignants soviétiques. C'est un garçon très croyant. Il n'accepte pas un système laïc importé de l'étranger. Il a la conviction que les Russes ne sont pas là pour aider à bâtir un pays mais le conquérir. »

Pour la première fois, Massoud est contraint à gagner la vallée du Panshir pour se cacher. Ashmat lui aussi a été élevé dans la foi musulmane, mais bien loin de l'idéal intégriste. « Pour moi, le ramadan c'est davantage une hygiène de vie, pas plus que ça. Mon père nous a enseigné un islam modéré et tolérant. »

 En 1978, un coup d'État chasse Daoud, il est suivi d'une période trouble qui donne le pouvoir aux communistes. Deux ans plus tard, l'armée soviétique passe la frontière avec 200 000 soldats et installe Babrak Karmal. La résistance s'organise. Massoud est l'un des premiers chefs de guerre à engager la lutte armée depuis le nord du pays. De son côté, bien installé en Bretagne, où il se marie avec Odile, qui lui donnera cinq enfants, Ashmat créé avec d'autres étudiants afghans l'un des premiers comités de soutien à la résistance. La Bretagne, comme pour la Pologne plus tard, devient une terre militante.

 Les maires de plusieurs grandes villes ne tardent pas à accorder des subventions. A Rennes, le maire socialiste, Edmond Hervé, vient inaugurer une exposition à la Maison internationale. A l'époque, le soutien du PS fait enrager les élus communistes, les seuls à justifier l'intervention de l'URSS. « En Bretagne, on collait nos affiches avec les militants de Drapeau rouge, des maoïstes. Ils étaient toujours les premiers à nous donner un coup de main. Leur imprimerie de la place des Lices nous fournissait en tracts. »

Dans sa maison de Rennes
Dans sa maison de Rennes

La maison familiale bombardée

Le journaliste français Christophe de Ponfilly est le premier à faire connaître à l'extérieur le commandant Massoud, qui devient vite une icône de la liberté. Dans ses reportages, on le voit à la tête de ses combattants moudjahiddines défier l'envahisseur soviétique. Bien sûr, Ashmat Froz se précipite pour visionner les films. Dès lors, la cause est entendue. L'Afghan breton entend mettre son énergie au service du chef de guerre.

En choisissant son camp aussi clairement, il s'attire des ennuis. « Le pouvoir en place à Kaboul octroyait des bourses à des étudiants favorables aux communistes. A cette époque, il y avait des enseignants français membres du PCF, comme Mme Lajoinie, la femme d'un dirigeant bien connu. Bon nombre d'étudiants afghans voulaient nous marginaliser.  » 

Un jour, des avions soviétiques bombardent un quartier de la petite ville d'Istalif, à 40 km au nord de Kaboul. Pour Ashmat, ce n'est pas l'effet du hasard. « La maison familiale se trouvait à Istalif. Enfant, j'avais l'habitude de m'y rendre chaque weekd-end. On voulait me punir.  »

L'erreur de Massoud

Au départ des Soviétiques en 1990, le chef de la résistance veut sans doute faire de l'Afghanistan un pays comme les autres. Pour ce faire, il lui faut mettre en place un gouvernement d'union nationale. Tâche impossible. De tous côtés, des alliances se nouent contre lui. Pourtant débarrassé de ses envahisseurs, le pays sombre dans la guerre civile.

« Massoud a commis l'erreur de laisser trop de pouvoir aux chefs religieux. Il avait d'autres projets en tête », convient Ashmat Froz. Les deux hommes se voient en 1994. « Il voulait que je reste à Kaboul comme architecte. Mais la ville était devenue un enfer. J'y suis resté trois mois Je lui ai expliqué en partant que je n'étais pas un soldat.  »
 

Massoud avec Ashmat, l'architecte de sa maison du Panshir
Massoud avec Ashmat, l'architecte de sa maison du Panshir

Une chape de plomb... jusqu'au 11 septembre

Selon Ashmat, l'arrivée des taliban, ces étudiants en religion qui ont pris le pouvoir en 1996, fait partie d'un plan mis en route par les Pakistanais, financé par l'Arabie saoudite, et béni par les Américains... jusqu'au 11 septembre 2001. Quand il est contraint de quitter la capitale, Massoud, le héros romantique des reportages télé, n'intéresse plus les médias. Une chape de plomb tombe sur l'Afghanistan, comme la burqa sur les femmes.

Depuis Rennes, Ashmat se démène pour sortir son pays du silence. Il invite des hommes politiques français dans la vallée du Panshir, comme Brice Lalonde, Alain Madelin, le député Boucheron. Et il n'arrive jamais les mains vides. L'argent collecté en Bretagne sert à construire des abris, des ponts, des écoles. Massoud lui-même demande à son ami de lui dessiner une maison. « Il venait voir comme j'élaborais les plans à l'aide d'un ordinateur. Il était passionné d'architecture. Parfois, il prenait la souris pour dessiner. » 
 
Dix ans ont passé depuis la disparition de son ami. Pour Ashmat, il est évident que Massoud a vu clair avant tout le monde. « Avec ses hommes, il était le premier à combattre le terrorisme. Il a fait face aux taliban et aux mercenaires de Ben Laden. Les Occidentaux n'ont pas compris où était leur intérêt. » De passage à Paris en 2001, alors qu'il se rendait au Parlement européen, Massoud n'a été reçu par aucun des personnages importants de la République.  
 

Les écoles, la priorité, avec les maisons en terre (photo P. Le Meut)
Les écoles, la priorité, avec les maisons en terre (photo P. Le Meut)

Un travail inachevé

Après une brève incursion dans la diplomatie, Ashmat Froz est retourné à l'architecture. Aujourd'hui encore, malgré la guerre, Il partage son temps entre Rennes et l'école polytechnique de Kaboul où il enseigne l'architecture en terre. Ses enfants aussi sont à-cheval sur les deux pays. Sa fille Anissa a même représenté l'Afghanistan aux JO de Sydney en gymnastique.

Alors que les Occidentaux prônent le désengagement, l'Afghan breton est forcément inquiet. « Le travail de reconstruction est inachevé. On vit avec une économie artificielle, faite d'aide internationale et de drogue. Tout reste à faire pour l'eau et l'électricité. Et près de nous, se trouve une bombe à retardement qui s'appelle le Pakistan. » Devenue Darah Afghanistan, l'association bretonne de solidarité n'est pas restée les bras croisés. En dix ans, elle a fait sortir de terre à Istalif pas moins de huit écoles et lycées.  
 
Alain THOMAS


Pour agir avec Ashmat Froz
 





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