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28/01/2016

L' « entreprise » Atypick, ordinaire et troublante


C'est l'une de ces multiples petites boîtes de services qui vous font votre communication, surtout par internet. Cet après-midi là, ils étaient cinq devant leurs écrans. On a parlé commandes, clients, conditions de travail, intérêt du boulot, camaraderie : tout ce qui rend le travail important dans la vie. Et qui leur permet, eux, de maîtriser leurs troubles psychiques.


Lundi, 14 h, les membres d'Atypick reprennent le travail dans l'espace de bureaux banal qu'ils occupent au second étage d'un immeuble de quartier populaire, à Rennes. Gabriel, Dominique, Thibault, Pierre et Christiane s'installent devant leur ordinateur. Le coordinateur d'Atypick, Pascal Gault, est absent. Peu importe. Ni chef ni troubles psychiques cet après-midi : simplement un échange avec un journaliste, entre deux commandes.

L'une est principalement pour Thibault. Il doit construire une base de données commandée par une association pour visualiser son activité. Les éléments à entrer, le graphisme à imaginer... « Tout doit être prêt dans quinze jours », signale-t-il. Sans être stressé : ici, on ne met pas la pression.

Cela fait près de quatre ans maintenant, en février 2012, que cette entreprise bien nommée a été créée à l'initiative de l'étonnant Pascal Gault dont le portrait dit beaucoup sur ce projet en forme de combat sur le front du trouble psychique : à Atypick, l'usager est acteur, il contribue à la solution. Une philosophie que défend le groupement Fil Rouge auquel appartient Atypick.

« On est tous très occupés... »

Depuis quatre ans et les premiers blogs commandés par des clients, Atypick a surmonté bien des difficultés : financières, matérielles, administratives. Mais le profit est au bout. Humain. On se sent bien ici, cet après-midi. A parler boulot et du reste. Au fait, les commandes ?

Une autre est surtout pour Dominique : réaliser un panneau de données chiffrées, sous forme data graphisme comme on dit dans le métier, visualisant une échelle des interventions urgentes dans le domaine mental pour les professionnels de la ville. « On est tous très occupés... », sourit-elle.

Pierre travaille sur une affiche pour la Semaine d'information sur la santé mentale, Christiane bosse pour l'association L'Autre Regard : l'activité photo sera bientôt consultable sur tablette ou smartphone. L'équipe doit aussi créer un support visuel commandé par la fédération Santé Mentale France pour les journées nationales de fin septembre 2016 sur le thème « les petites fabriques de lien ».

L' « entreprise » Atypick, ordinaire et troublante

Une activité aussi de formateurs

Ce sera sans doute un site internet. Des sites, il y en a toujours à construire pour les uns ou les autres. Mais il y a aussi des affiches, des flyers, des dépliants... L'activité est variée, comme les compétences, qu'ils mettent en commun. « On peut se former entre nous », souligne Pierre au passage.

Pas seulement entre eux. Le jeudi matin, une demi-douzaine de formateurs d'Atypick initient à l'informatique des personnes accompagnées de Fil Rouge et autres structures de la santé mentale. Pour 60 €, d'autres malades psychiques peuvent aussi désormais en bénéficier le mardi matin durant un trimestre : « Ils viennent par le bouche à oreille, beaucoup cherchent à retrouver un emploi », indique Dominique. « Pour trouver un emploi, sans l'informatique, on est handicapé » rappelle Gabriel.

Chaque semaine, l'équipe se réunit pour faire le point. « Quand on a une commande, explique Dominique, on en parle tous ensemble, on répartit selon l'intérêt de chacun, au besoin sur plusieurs personnes : ce n'est pas figé, quand l'un est pris, un autre peut prendre le relais. » En fait, on discute beaucoup à Atypick et pas seulement de boulot : «  On est détendu, indique Christiane ; le travail est aussi artistique, il faut avoir de l'imagination, on parle également de cinéma, de BD, d'expos... »

« Comme le germe d'un travail normal »

Et ils sont impliqués totalement dans la marche de "l'entreprise". A Atypick, il y a clairement un chef d'orchestre, Pascal Gault, mais à la tête de l'association, Dominique est aux côtés d'André Biche, le président : elle est à la tête du collège des "acteurs", lui à la tête du collège des "porteurs".

« Je pense, analyse Dominique, qu'il y a à Atypick comme le germe d'un travail normal, pas limité aux personnes qui ont des difficultés. C'est surtout ça qui m'a attiré dans Atypick. On est sur un pied d'égalité. Quand j'étais salariée, on avait un directeur tellement psychorigide que c'était difficile à vivre, l'ambiance était tendue. J'ai travaillé dans un gros standard téléphonique : le patron exigeait qu'on décroche au plus tard à la troisième sonnerie même quand trois téléphones sonnaient en même temps...»

Surgie au milieu de la discussion, cette remarque, souvent entendue, résonne fort. Dans l'entreprise « normale » d'aujourd'hui, le travail prend souvent la tête jusqu'à vous rendre psychiquement malade. "L'entreprise" Atypick fait le chemin inverse : le travail aide à surmonter les troubles.

L' « entreprise » Atypick, ordinaire et troublante

Solidaires jusqu'en dehors du boulot

« On est utile, comme les gens qui travaillent », poursuit Christiane. « Ici, ça bosse, ce n'est pas un hôpital, renchérit Pierre ;  avant, dit-il aussi, je me mettais la pression tout seul, je suis perfectionniste, j'ai peur de l'échec ; j'étais tellement découragé que j'ai cessé de chercher ; j'ai été deux-trois ans sans faire quoi que ce soit. Depuis que je suis à Atypick, j'ai appris à ne pas me mettre la pression et ici, on me reconnaît. »

Pas de doute, Atypick, en mobilisant toutes les vertus individuelles et collectives du travail les aide à combattre les turbulences psychiques, ce qui n'est pas une mince besogne. Souvent, l'un ou l'autre est absent : quatre cet après-midi. Mais il ne reste jamais seul : « Si quelqu'un va moins bien et ne vient pas, c'est pas pour autant qu'on va le laisser dans son coin , souligne Gabriel, la solitude nous pend vite au nez... »

L'équipe est solidaire jusqu'en dehors du boulot. lls se retrouvent volontiers au café associatif L'Antre-2. Le lieu est ouvert à tous mais il est fréquenté « surtout par des gens comme nous, note Christiane : on est d'ailleurs plus à l'aise.  Nous souffrons souvent de voir le regard des gens, même dans l'entourage. A ce moment-là, on fait semblant d'être normal... »

Faire semblant n'est pas le genre à Atypick mais au dehors, il faut bien. « Quand je rencontre d'anciens collègues, témoigne aussi Dominique, je ne leur dis pas que je ne peux plus travailler. Je leur dis que je travaille dans une association. Je ne mens pas vraiment. Je n'irais pas leur dire : "je ne peux plus travailler comme avant". »

(Ci-contre, une affiche réalisée par Atypick)

« C'est une manière de rendre à la société ce qu'elle nous donne »

Avant de les laisser à leur travail, on a parlé d'une dernière chose essentielle : la paye. La reconnaissance devrait aller jusqu'à recevoir un salaire. Pour l'instant, les recettes ne le permettent pas. « La question se pose d'un complément de revenu, c'est mon rôle de faire avancer cela au CA », note Dominique. Mais ils n'en font pas une affaire, au contraire.

Gabriel, Dominique, Thibault, Pierre et Christiane ne se sentent pas seulement reconnus, ils sont reconnaissants. Ils reçoivent l'AAH,  l'allocation aux adultes handicapés, et autres prestations sociales : « En travaillant à Atypick, c'est une manière de rendre à la société ce qu'elle nous donne », remarque Dominique. Christiane renchérit : « On a assez pour vivre, ce qu'on fait est un exemple qui pourrait être suivi par d'autres, c'est mieux que de rester chez soi à psychoter ! »

Michel Rouger





1.Posté par lucas le 29/01/2016 05:56
BRAVO !!!!

2.Posté par Fresnel le 07/03/2016 01:09
Bel exemple de structure utile à la société, pour redonner espoir par le travail à celles et ceux qui ne peuvent plus travailler de manière traditionnelle.

Se sentir considérer dans ses missions tout en s'adaptant à sa situation personnelle permet de garder le lien social, le lien économique et le lien professionnel & personnel.

Bravo et Merci pour eux

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