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11/03/2019

A 85 ans, l'infatigable allié des Kurdes transmet son combat


André Métayer a construit tambour battant sa vie autour du social, du syndicalisme et du militantisme. Fondateur des Amitiés Kurdes de Bretagne, ce natif de Cholet, dans le Maine et Loire, épaule désormais son jeune successeur dans le combat qu'il mène toujours, à 85 ans, pour la reconnaissance du peuple kurde.


André Métayer et son jeune successeur, Tony Rublon
André Métayer et son jeune successeur, Tony Rublon
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Coffreur ferrailleur devenu dirigeant des MJC

« Je ne lâche jamais le morceau, c’est pourquoi on m’a parfois comparé à un pitbull ! Ce n’est pas très flatteur comme comparaison mais ce que je défends, ce sont des idées et des personnes. » André Métayer a toujours le feu sacré, bien qu’il ait laissé en mars 2017 la présidence de l’association Amitiés Kurdes de Bretagne à Tony Rublon (lire son portrait ci-dessous). Cette association, qui a vu le jour le 27 février 2007, émane de la Délégation rennaise Kurdistan dont André fut l’un des cofondateurs en 1994. Le parcours militant de cet homme qui affiche 85 printemps au compteur n’est assurément pas des plus linéaires. Qu’on en juge.

Après avoir été coffreur ferrailleur dans le bâtiment, André épouse en 1960 le métier d’animateur socio-culturel à la Maison des jeunes et de la culture (MJC) de la rue de Redon. Puis il prend la direction de la MJC de Cleunay inaugurée en 1962 et créé l’Union locale des MJC avec une poignée de bénévoles et de permanents. Responsable de l’animation des MJC des délégations régionales de Bretagne et de Pays de Loire durant trente ans, il dirige les personnels de direction, développe les activités des structures, négocie les contrats de financement de postes de directeurs et d’animateurs avec les collectivités locales. « Ça n’a pas toujours été de tout repos ! », concède t-il. 

​Du syndicat CGT à la rencontre de prisonniers kurdes

Syndiqué à la CGT durant toute sa vie professionnelle, André Métayer croit à l’action collective : « Le mouvement associatif cogestionnaire des MJC donne place dans ses statuts aux représentants de ses directeurs. On est aujourd’hui bien plus dans l’individualisme, ça fait quand même réfléchir... » Membre fondateur de l’IUT Carrières sociales de Rennes, André raccroche le tablier en 1991.

Rangé définitivement des associations ? Certainement pas puisqu’il devient chargé de mission pour la Fédération mondiale des cités unies, créée en 1957 sous le nom de Fédération mondiale des villes jumelées. André est affecté à l’organisation de coopérations - séminaires, jumelages et autres partenariats – dans des villes d’Europe centrale et orientale, et en Turquie. Il s’intéresse particulièrement au Kurdistan en 1994 à la suite de deux faits déterminants : la rencontre d’un homme dans les ruines encore fumantes d’un village incendié par l’armée turque et celle d’un militant politique kurde réfugié en France et incarcéré durant 20 mois à la prison de Fleury Mérogis au motif « d’association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste ».

Foule à Diyarbakir le 21 mars 2017 à la fête du Newroz, le nouvel an kurde
Foule à Diyarbakir le 21 mars 2017 à la fête du Newroz, le nouvel an kurde

« Les aider à défendre leurs droits culturels et politiques »

Curieux d’en savoir davantage sur la question kurde, André demande au juge d’instruction du pôle antiterrorisme un droit de visite du détenu, et l’obtient. « Les heures de parloir, les contacts avec les avocats et l’étude des chefs d’accusation m’ont fait découvrir la mécanique infernale d’un procès politique (1), souligne le président honoraire. Avant 1994 je ne connaissais pas particulièrement les Kurdes. Et si maintenant vous me demandez " Pourquoi vous occupez-vous des Kurdes ", sachez que je ne m’occupe pas d’eux mais que je suis désormais à leurs côtés pour les aider à défendre leurs droits culturels et politiques. »

Aux Amitiés Kurdes de Bretagne, on ne fait donc pas de l’assistanat, on informe le public et les médias de l’urgence d’intervenir auprès des instances politiques, on dénonce les nombreuses atteintes aux droits de l’Homme, on présente des actions de coopération, mobilise des réseaux, organise des manifestations (conférences, expositions, etc.), propose une abondante documentation (films, livres, rapports...), soutient l’économie kurde. « L’association est notamment présente sur les marchés solidaires où elle vend des kilims (tapis tissés, ndlr) réalisés dans les ateliers de tissage situés au cœur du pays Kurde, entre l’Iran et l’Irak », précise Tony Rublon.

« Au plus près du terrain pour vérifier les preuves »

Mais l’objectif le plus important pour l’association demeure le soutien aux personnes emprisonnées pour délit d’opinion. Le mantra d’André Métayer est limpide et incisif : que la lumière soit faite, que la vérité soit établie, que la justice passe. « Nous étudions les dossiers des personnes incriminées dans les moindres détails et nous nous rendons au plus près du terrain pour vérifier les preuves. Cela nous demande beaucoup de travail et de rigueur.

Maintenant, sommes-nous impartiaux dans nos investigations ? Certainement pas puisque nous ne sommes ni juge ni procureur mais plutôt avocat de la cause kurde. Et puis sommes-nous objectifs ? J’aurais tendance à paraphraser Hubert Beuve-Méry, fondateur du journal Le Monde, pour qui "L’objectivité n’existe pas, l’honnêteté intellectuelle oui." Disons que l’objectivité naît d’un débat où des opinions s’affrontent face à la communication de faits, mis au jour, établis et situés dans leur contexte. »

A 85 ans, l'infatigable allié des Kurdes transmet son combat

​40 millions de Kurdes sans territoire

Estimée à environ 40 millions de personnes, la population kurde est répartie dans une vaste zone géographique comprise entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie (2). Leur territoire, le Kurdistan, est aussi étendu que la France métropolitaine. « Ce peuple a droit à l’auto-détermination, poursuit André Métayer. Le parti de la Démocratie des Peuples (HDP), qui milite en Turquie pour une société multi-identitaire, culturelle, multilingue et multiconfessionnelle et lutte pour les droits des citoyens, subit une terrible répression (3) ».

Ce pays est aujourd’hui sous le contrôle d’un seul homme : Recep Tayyip Erdogan élu avec à peine 51% des voix en dépit des fraudes avérées et des plus grandes villes turques qui l’ont rejeté à plus de 70%. « Les Kurdes, ajoute André Métayer, défendent leur leader charismatique Abdullah Ocalan, fondateur du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) : celui-ci est considéré à tort comme étant une organisation terroriste alors que c’est un parti politique avec, certes, une branche armée, mais doté d’un projet politique et profondément ancré dans la population. Rendez-vous compte, cet homme qui défend son idée de confédéralisme démocratique est emprisonné depuis 1999... »

« Une capacité de renaissance fabuleuse »

La résistance de Kobané en Syrie a eu un retentissement international. Les combattants kurdes, largement soutenus par l’opinion publique, ont en effet repoussé Daech avec l’appui logistique et aérien de la coalition internationale. Ces tout derniers jours, ils ont payé un lourd tribut dans la dernière bataille de Baghouz.

« Nous vivons dans un monde occidental, eux dans un monde oriental, conclut le militant. Je suis en phase avec leurs valeurs démocratiques, je suis en phase avec ce qu’ils pensent et défendent. Notre association situe son action dans le temps. Nous avons de multiples raisons d’espérer pour ce peuple qui a su préserver ses traditions et sa langue. Les Kurdes ont une capacité de renaissance fabuleuse et n’abandonneront pas leur combat. Nous devons leur apporter un soutien juste et mesuré, il n’y a pas aucune raison qu’ils échouent et je ne les vois pas disparaître ou être assimilés. »

Patrice Charbonnier

(1) Ce réfugié politique, l’un des responsables des Centres d’information du Kurdistan en Europe, fut mis en liberté sous contrôle judiciaire et assigné en résidence chez André Métayer à Rennes.
(2) Deux millions de Kurdes à l’étranger dont 900 000 en Allemagne et 250 000 en France.
(3) Entre 7 000 et 9 000 élus, responsables, militants et sympathisants sont détenus à ce jour.

Tony marche sur les traces d’André
Tony Rublon, 30 ans, a fréquenté le monde oriental au cours de ses études supérieures. Chercheur indépendant en histoire et sociologie politique, il étudie aujourd’hui les liens existants entre la diaspora kurde et les structures politiques du Moyen-Orient. Voilà quelques années, il s’est rendu au Népal pour étudier les minorités ethniques. Licence en poche, il a poursuivi avec un master qui l’a conduit en Turquie pour travailler sur les enjeux idéologiques et identitaires du pays pendant la guerre froide.

Au cours de ce séjour, il a pu pénétrer dans des zones kurdes au moment où les relations se réchauffaient entre l’Etat turc et le PKK. A son retour en métropole, Tony soutient avec succès son mémoire de master et prend contact avec les Amitiés Kurdes de Bretagne. En 2016, il est à Diyarbakir en Turquie où la municipalité a ouvert un camp de réfugiés. Une subvention de 10 000 euros a été accordée par la Ville de Rennes à deux reprises pour prendre en charge les Yézidis persécutés et chassés de la région de Sinjar par les djihadistes de l’Etat Islamique. Il y organise des ateliers de photo, musique, peinture et vidéo.

La complicité entre l’ex-président et son cadet de 35 ans saute aux yeux : « André Métayer et moi avons la même manière de travailler, de poser la recherche. Le militantisme me permet de voir comment se comporte la réalité. On témoigne par des faits et l’on essaie de convaincre par les explications. »

A 85 ans, l'infatigable allié des Kurdes transmet son combat
SE SOUVENIR
 
Le 9 janvier 2013, trois militantes et féministes kurdes (Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez) sont assassinées à Paris par les services secrets turcs dans les locaux du Centre d’information du Kurdistan. Le 17 décembre 2016, la mort de l’assassin présumé empêche le procès d’avoir lieu devant la Cour d’assise. 

Les Amitiés Kurdes de Bretagne ont consacré un livret d’une trentaine de pages à Fidan Dogan, plus connue sous le nom de Rojbîn. Elle était directrice du Centre d’information, membre du KNK (Congrès national du Kurdistan appelé aussi « Parlement kurde en exil ») et amie d’André Métayer.

Rojbîna me, Notre Rojbîn. -  1998, Amitiés kurdes de Bretagne, 6 euros.

 
 

Stand au marché des Lices et expo à l'Opéra
Stand au marché des Lices et expo à l'Opéra
DES PROJETS
 
- Séjour de deux semaines en juin à Lavrio, près d’Athènes, pour mettre sur pied des ateliers culturels (musique, photo, vidéo et arts plastiques) dans un camp de réfugiés kurdes.

- Echanges avec des écoles et la maison des Femmes de Kobané en Syrie.

- Organisation d’événements entre les Amitiés Kurdes de Bretagne et l’association Amara - La Maison du peuple Kurde à Rennes. 

- Création des antennes brestoise et malouine.
 

PRATIQUE
Amitiés Kurdes de Bretagne
30, square de Lettonie 35200 Rennes
02 99 32 08 21
06 75 63 71 23 (André Métayer)
06 72 08 71 77 (Tony Rublon)
Le site akb.bzh  (entre 700 et 800 visites quotidiennes)
Permanence tous les 1er lundis du mois (confirmation par téléphone ou mail)
 
POUR ALLER PLUS LOIN
 
La réponse kurde. - Sylvie Jan/Pascal Torre, Editions France Kurdistan
Les Kurdes en 100 questions – Un peuple sans Etat. - Boris James/Jordi Tejel Gorgas, Editions Taillandier
 


VOYAGE ICI ET LÀ-BAS DANS LE DRAME KURDE AVEC ANDRÉ MÉTAYER

Dans ce film en version intégrale de 25 mn disponible sur Bretagne & Diversité, le réalisateur Ariel Nathan nous emmène, guidés par André Métayer, à l'intérieur du drame vécu par les Kurdes. Kurdistan, je reviens d’un pays qui n’existe pas a été réalisé en 1998 mais n'a rien perdu de sa valeur. A travers son "travail" de militant au quotidien et un de ses voyages d'information en Turquie, André Métayer nous fait découvrir le problème kurde et la répression que les Kurdes subissent en Turquie mais aussi en France.




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