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18/12/2012

Justine, 26 ans, a des savoirs à revendre


A 26 ans, Justine craint de rester enfermée dans la spirale des emplois alimentaires, des stages non indemnisés et des ambigüités du bénévolat. Pourtant, depuis son bac elle n’a pas ménagé ses efforts, travaillant pour assurer son autonomie tout en conduisant une stratégie de formation non conventionnelle, entre psychologie, sociologie, rave et free party.


Justine, 26 ans, a des savoirs à revendre
Son bac en poche, Justine savait ce qu’elle voulait faire : « Être thérapeute de gens en transgression ». Elle s’intéressait à la criminologie. Drôle d’idée pour une jeune fille tranquille, élève sérieuse, éduquée par sa maman et son grand père. « C’est de sa faute, analyse Justine. Il était gendarme et m’expliquait en permanence qu’il y avait les bons et les méchants… Ça m’a poussé, en réaction, à développer un point de vue plus complexe et empathique sur les comportements transgressifs».

Etudier et travailler pour être autonome

Justine s’inscrit en fac de psychologie à Lille et en parallèle suit l’enseignement d’un institut parisien privé, spécialisé en criminologie. « C’était un peu l’arnaque ! », regrette celle qui, en même temps que les études, doit financer son quotidien. « J’ai touché des bourses les trois premières années et bénéficié d’un logement en cité U, précise-t-elle, mais cela ne suffisait pas à assurer tous mes frais. Et les années suivantes j’ai jonglé entre les petits boulots et les droits acquis au chômage ». En fait, elle travaille en parallèle de ses études depuis l’âge de 16 ans.
 
Après la licence, elle poursuit ses études à l’université de Rennes, une des seules qui proposent un master en criminologie. Premier tournant dans son cursus universitaire. Les querelles d’écoles entre les approches comportementalistes et cognitives des Lillois et l’orientation psychanalytique des Rennais ne lui donnent pas des clés de compréhension suffisantes. Justine profite alors du programme Erasmus pour suivre, en Belgique, un enseignement de criminologie, en fac de sociologie cette fois-ci.

Justine, 26 ans, a des savoirs à revendre

« Erasmus » chez les Belges, l’année bouleversante

L’approche sociologique de la prévention et de l’accompagnement de la délinquance combinée à des stages en prison et dans un centre d’accueil des victimes perturbent les représentations professionnelles de Justine. Elle est particulièrement déçue par l’ambiance qui règne sur le terrain : « J’ai rencontré des professionnels pour qui le travail n’avait plus trop de sens. Ils se sentaient aux mains de l’administration pénitentiaire ».
 
En revanche les conditions de vie, dans l’univers Erasmus, lui ouvrent de nouvelles perspectives. Elle habite en colocation avec 16 jeunes venus du monde entier : « Quelle ouverture ! ». Avec eux, elle découvre et s’enthousiasme pour le “milieu festif techno“. « Pour la première fois, se souvient Justine, j’ai rencontré des musiciens, des décorateurs, des photographes, des gens qui prenaient des risques pour vivre pleinement leur passion. Alors que moi j’étais bloquée, figée sur mon parcours académique, enfermée dans la concurrence entre étudiants. »
 

Justine, 26 ans, a des savoirs à revendre

Vivre la free party, sans danger

De retour à Rennes, comment nouer les liens avec le milieu festif ? Elle n’est pas DJ, n’a pas de talent particulier en graphisme et visuel. Mais elle a des copains qui travaillent en prévention et dans le social. C’est par eux qu’elle rencontre le collectif l’Orange Bleue. Pendant trois ans elle fait partie de l’équipe de bénévoles qui interviennent dans les festivals et les free parties pour la prévention des risques en milieu festif. Belle occasion pour développer une pratique éducative concrète en lien avec ses études et aussi de participer activement à la fête techno, « sans ses côtés borderline, sauf de temps en temps quand même », précise-t-elle  avec un petit sourire entendu.
 
Durant les trois années qui suivent, titulaire de son master de sociologie appliquée, Justine va alterner les boulots purement alimentaires (en boulangerie, chez France télécom, à la poste, en station service…) avec des contrats d’assistante d’études en labo universitaire. Elle contribue aussi aux travaux de l’observatoire du CIRDD (centre d’info régionale sur les drogues et la dépendance). « Si je n’avais fait que les études de psycho, pense-t-elle, je n’aurais pas trouvé ces boulots d’enquête. ». Le soir ou les week-end, par son action bénévole à l’Orange Bleue, Justine confirme son intérêt pour l’intervention éducative et thérapeutique de terrain. 

Difficile reconnaissance de l’expertise bénévole

L’Orange Bleue * a été créée par trois associations rennaises spécialisées en addictologie et éducation sanitaire. Le travail est fait par des équipes composées d’un coordinateur professionnel et de bénévoles : « Nous sommes une trentaine dont quinze vraiment actifs, précise Justine. Ce sont des usagers ou anciens usagers de produits et aussi des non consommateurs. Il y a pas mal d’étudiant en travail social, mais finalement ça reste très mélangé ». 
  
Au delà du rôle d’information et de prévention ce qui passionne le plus Justine ce sont les moments d’écoute, plus thérapeutiques : « Les premiers secours ne sont pas toujours habitués aux personnes sous produits : ceux qui sont pris de petites paniques, qui déraillent. Au bout de plusieurs années, les bénévoles sont capables d’écouter, d’apaiser ». 

Les bénévoles acquièrent ainsi au cours du temps une véritable expertise dont la reconnaissance peut être cause de frottement avec les professionnels.  « J’aimerais que les coordinateurs nous laissent prendre un peu plus de responsabilités, nous écoutent davantage, revendique Justine qui poursuit, un brin provocante, des fois j’ai l’impression qu’on est comme des intérimaires ».
 
Avec sa solide formation et son expérience, Justine se sent proche des professionnels qu’elle cotoie. Cela peut être source de malentendus. De telles situations, fréquentes dans le travail social, traduisent l’ambigüité et les limites de l’action bénévole comme vecteur de professionnalisation. Surtout quand cet engagement dure longtemps, alors que les perspectives d’emplois se réduisent.

Justine, 26 ans, a des savoirs à revendre

Un vrai travail et des vacances

Au bout des huit années de ce riche parcours, Justine la volontaire, vient de connaître un moment de doute. « Je suis heureuse de ce que j’ai fait mais est-ce que cela me permettra de vivre ? En poursuivant mon idée, est ce que je ne me suis pas trompée de stratégie », s’est-elle interrogée . Sa crainte : finir caissière de super marché, super diplômée.
 
Alors, portée par la confiance de sa mère et suivant les conseils de quelques professionnels, elle décide d’apporter un point d’orgue à sa formation en passant un second master, terminant ainsi son cursus de psychologie. « J’ai trouvé à Paris VII l’occasion de réinvestir mon expérience et mes questions de recherche sur les usages cachés de la drogue en milieu de travail, tout en m’assurant l’obtention d’un titre de psychologue plus propice à l’accès à l’emploi durable ».
 
Son plus grand espoir à l’issue de cette ultime année d’étude ?  « Avant de commencer enfin mon métier, prendre de vrais vacances, loin, libre de contraintes, festives et aventureuses… ». Ça ne lui est pas arrivé depuis son bac. « Toutes ces années j’ai l’impression de ne pas avoir eu de temps libre entre les cours, les stages, le bénévolat et les boulots pour vivre… ».
 

Alain Jaunault
Photos portraits de Christophe Lemoine
Photo de free party extraite du site de l'Orange Bleue, Guez Photo

*  les association du collectif l'Orange Bleue : A.A.P.F (Association d’Aide en Addictologie, de Prévention et de Formation) Bretagne. A.N.P.A.A  (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et en Addictologie). Bretagne. Liberté Couleurs.


POUR ALLER PUS LOIN

De stages en contrats aidés, le sous salariat associatif

Médecins du Monde en \\\\\\\\\\\"teuf"





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