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31/01/2016

Martha lutte contre l'excision avec les matrones


« Je suis d’une famille ancrée dans l’excision, fille et petite-fille d’exciseuse. Couper le clitoris, je ne le veux pas mais tout ce qui suit l’excision, il faut le garder. » C'était le credo de Martha Diomandé lorsque Histoires Ordinaires l'avait rencontrée en janvier 2011. Depuis, beaucoup de choses se sont passées. Un film est sorti, « La forêt sacrée », une opération de parrainage a été lancée, une « case des matrones » ouvre en avril 2016.


RETROUVEZ NOTRE PORTRAIT DE MARTHA DIOMANDÉ DE JANVIER  2011

En cet après-midi d'un doux mois de janvier, cinq ans plus tard, son corps fait corps avec les paroles passionnées de la lutte : « Quand je suis arrivée dans mon village en Côte d'Ivoire, les bouches étaient fermées, l'excision, un sujet tabou. Aujourd'hui, les femmes se rassemblent et peuvent parler de leurs maux à la case des matrones. » Martha Diomandé martelle à nouveau : « Je lutte parce que l'excision doit s'arrêter mais je lutte aussi aussi parce que je pense qu'il y a des choses à garder des rites. C'est aussi mon combat de faire comprendre cela aux gens d'ici. »

Les membres de son association ACZA  ont joué le jeu et accepté de passer de la commisération à la compréhension de ce que représente l'excision dans la culture animiste. Ils sont allés au village sur leurs propres deniers, ont gagné la confiance des femmes, ont discuté et partagé les rites pour comprendre leur importance. «  C'est à partir de cela qu'on a commencé à avoir le même discours », dit Martha Diomandé.

La confiance des matrones

« On s'était donné cinq ans. Là, nous nous sommes dit : il faut y aller , dans le vif. » Et elle y est allé ! « Je leur ai dit aux matrones : "Ou on vous traite d'assassins ou on coopère. Je peux montrer au monde entier qui vous êtes mais en retour il faut que vous compreniez que j'ai vu quelque chose qui est dangereux. Comme vous êtes une partie de moi, je veux qu'on enlève le côté dangereux." Le sujet est tabou, il fait partie de ces choses dont on ne parle pas. « Aucune femme ne va dire à une copine : "Moi j'ai ça et toi, est-ce que tu as ça ?" On ne parle pas des problèmes, on ne parle de rien. »

Elle se fait d'une des matrones une alliée et une conseillère. Au cours des rencontres, les langues se délient et, petit à petit, les questions arrivent sur la sexualité, les accouchements difficiles, le VIH. Mais quels ont été les ingrédients qui ont permis la confiance ? Martha Diomandé est ferme sur le sujet :  « La méthode.  Je savais qu'on allait me prendre pour une tarée en Europe mais je savais qu'il me fallait du temps, qu'il fallait valoriser tout le monde, personne ne devait être perdant dans l'histoire.» 

8 mars 2014, dans la région du Tonkpi
8 mars 2014, dans la région du Tonkpi

Des échanges entre matrones et sages-femmes

Les formations ont lieu dans la case des matrones, ouverte par l'association ACZA. La case a sa salle d'accouchement et sa salle de réunion qui permet aux femmes de se retrouver entre elles et non « sur la place publique ». « Les hommes et les enfants ne peuvent pas voir des vidéos montrant le sexe féminin coupé : l'excision, pour eux, c'est sacré. On reste entre femmes dans le respect. Celles qui n'ont pas encore décidé pour l'excision, elles arrivent à écouter et parler de ce qu'elles éprouvent, dans un lieu sécurisé.»

Sur vingt matrones, neuf ont renoncé à l'excision. Reconnues dans leur fonction de sage-femme, elles exercent avec leur savoir ancestral et disposent de place pour leurs préparations à base de plantes. « Les matrones sont valorisées et peuvent ainsi gagner leur vie. Elles font des échanges avec les sages-femmes françaises : si des mamans européennes veulent accoucher sans péridurale par exemple, elles ont des plantes qui peuvent y aider. »  

Une opération de parrainage sur la scolarité

Que font-elles lorsque les familles viennent demander l'excision pour leurs filles ? « J'ai dit aux matrones : "Comme tout le monde n'est pas encore d'accord et qu'on n'a pas encore trouvé la place de tout ce que nous voulons garder, est-ce que vous pouvez nous donner une fille du village par famille, l'association lui paiera la scolarité, en échange elles ne seront pas excisées ?" » 

La présentation est brutale mais Martha Diomandé veut faire la preuve réaliste de sa démonstration : « Aujourd'hui, on pense que si une fille n'est pas excisée son éducation est ratée. Avec ce parrainage, les parents vont se rendre compte que cette génération de filles qui n'a pas été excisée et qui a suivi une scolarité, n'est pas morte : au contraire, elles sont bien éduquées, elles vont à l'école, elles ont réussi et il ne s'est rien passé. Dans leur conscience, il y a quelque chose qui va servir à d'autres générations. » 

Martha lutte contre l'excision avec les matrones

Le rituel, la fête, sans l'excision

Elles reviendront au village et les matrones qui les ont mis au monde, feront la cérémonie du passage à l'âge adulte. « Les filles feront tout le rituel de l'excision mais sans l'acte de couper le clitoris. Elles seront ensemble, les matrones les initieront à être une femme africaine. »

Aujourd'hui quinze villages se sont associés au projet et veulent travailler avec ACZA. « Peut-être cela va prendre dix ans mais ce sera toute une région où il n'y aura plus d'excision et où les femmes seront valorisées avec des revenus mérités. L'excision, c'est aussi la fête. Les masques portés seulement pour cet événement, les danses et la joie de la famille à fabriquer le petit tricot pour ce jour-là, les tantes qui viennent de la ville... Cela veut dire que si on élimine l'excision, ce moment convivial que tout le monde attend va disparaître. » 

« Et si on faisait un festival ?» Le chef a dit oui

Martha Diomandé est allée voir le chef du village lors de son séjour en décembre dernier. Elle lui a demandé de la soutenir : « Tu sais que je lutte contre l'excision. Celle-ci ne peut pas s'arrêter d'un coup. Si on faisait un festival avec toutes les danses qui ont un rapport avec l'excision ? Tous nos parents viendront, tout le monde peindra sa maison en blanc. Les filles danseront comme quand elles reviennent de l'excision. Ce qu'on dit être un crime, il vaut mieux que ce soit un festival. »

Le chef a compris et acquiescé. En avril 2016, ce sera la première édition. « Pour moi, c'est une grande révolution. Normalement, après la fête, les filles partent pour se faire exciser. Là, les gens vont changer de comportements. Ils s'amuseront bien et se rendront compte qu'il n'y a pas eu d'excision. Ils vont faire quelque chose qu'ils ont l'habitude de faire mais verront que le monde peut changer, sans crainte. »

La danse toujours

Martha Diomandé continue de danser en enseignant et imagine des chorégraphies. Sa dernière création s'appelle « Racines ». Elle y parle d'elle « qui change de couleur ». Elle puise dans la tradition et prend dans le monde d'aujourd'hui les sources de son inspiration et de son écriture.

Entre tradition et modernité, Martha Diomandé, à l'image des projets qu'elle mène, se découvre : «  J'ai quelque chose à prendre dans mes racines. Je suis un miroir et mes couleurs changent. »

Marie-Anne Divet
(photos ACZA et captures d'écran "La forêt sacrée")
 
POUR ALLER PLUS LOIN

Le film « La forêt sacrée », de Camille Sarret, est disponible en DVD (52 ' - 15 €). Contact : Vivement lundi 

" La forêt sacrée ", titre du documentaire réalisé par la journaliste Camille Sarre est aussi le nom de la forêt où les matrones emmènent les fillettes pour se faire exciser, là où le fut Martha Diomandé à l'âge de huit ans « Imaginez, explique la réalisatrice dans une interview accordée à M.C. Bietun pays où les femmes elles-mêmes sont convaincues que "les filles non excisées sont impolies, irrespectueuses et ne trouveront pas de mari". La loi est sans effet sauf quand il y a répression, mais comme elle est annoncée dans les médias, il y a une vague d’excisions juste avant ! » 
Le film donne la parole à celles qui sont concernées : exciseuses et excisées. Une bonne façon d'appréhender toute la complexité de ces rites sacrées. Il nous invite à regarder autrement cette pratique qui touche plus de 125 millions de femmes dans le monde dont 53 000 en France.
"La forêt sacrée" a reçu le prix du 15ème anniversaire de Lumières d'Afrique à Besançon en 2015

Sur la journée mondiale  contre l'excision, le 6 février

La 10ᵉ de Miss Africa

Martha Diomandé et l'Association Culturelle Zassa d’Afrique ( ACZA ) organisent depuis dix ans l'élection de Miss Africa pour valoriser la beauté africaine. Pas seulement ! C'est aussi un appel à s'engager pour l'arrêt de l'excision et les droits des femmes dans le monde. Rendez-vous le 26 mars 2016 à la Salle de la Cité à Rennes. Pour s'inscrire, cliquez ici




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