Envoyer à un ami
Version imprimable
Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
30/05/2012

Mariah, une jeune musulmane non-violente dans la tragédie syrienne


Lundi, elle a encore perdu un ami, Bassel Shahade, tué à Homs. Dans la lutte qu'elle mène depuis la France contre la dictature syrienne, Mariah, pourtant, croit toujours aux armes de la non-violence, plus efficaces à ses yeux et conformes à sa foi musulmane.



Quand Mariah arrive pour nous raconter son parcours, on est un peu surpris par la douceur qu’elle dégage. Elle est sur la réserve. On peut lire sur son visage, enserré dans un foulard beige et rose pêche, une certaine appréhension. Sa voix, à peine perceptible pendant les premiers échanges, s’affirme rapidement. On devine la force qui l’habite quand elle parle de son combat non-violent contre la dictature de son pays.

Mariah, une jeune musulmane non-violente dans la tragédie syrienne

L'école enseigne la peur

Enfant, Mariah est une rebelle. « Petite, j'ai commencé à être pratiquante alors que ma famille ne l'était pas. J'ai cherché, je me suis éduquée par moi-même », avec cependant, à ses côtés, des parents soucieux de justice.
 
À l'école, le jeune rebelle refuse d'ingurgiter la "pensée unique" de la famille El Assad : la vie d'Hafez, le "père", l'histoire du parti Baas, des textes sur les bienfaits de la révolution… « Par exemple, comme le Liban était en guerre, on nous faisait croire que c’était grâce au président El Assad qu’on pouvait vivre en paix. » Une forme de corruption aussi la révolte : « J’étais choquée par ces petits évènements qu’il fallait vivre comme une règle : certains enfants avaient de bonnes notes tout simplement parce que leurs pères étaient dans l’armée. » Cela finit par la casser : « Je n'avais plus envie d'aller à l'école. »
 
Ces injustices du quotidien - elle en a pris conscience depuis - façonnent enfants et adolescents dans une culture de la peur dont il sera bien difficile de se débarrasser à l'âge adulte. « Cela devient normal et on apprend à l'accepter. On s'habitue à subir. On apprend à trouver normal de faire telle ou telle chose pour arriver à ce que l'on veut. Cela aide à nous transformer en petit dictateur. » La peur s'insinue dans les esprits et les formate : « Raconter des blagues sur le président était inimaginable. Même en France, je n'osais pas le faire, j'avais peur qu'on m'écoute. »

Une découverte : la non-violence dans le Coran

Dans ce carcan, Mariah enferme sa rébellion au fond d'elle-même et se construit un parcours personnel : elle veut comprendre. Son visage s'éclaire à l'évocation des rencontres qu'elle a faites avec les idées de Jawdat Saeid et d'Hanan Laham, intellectuels religieux et pacifistes, piliers des mouvements non-violents en Syrie. « Leurs idées, que j'ai faites miennes, étaient de travailler d'abord avec la population pour faire évoluer les mentalités. La tyrannie ne doit son pouvoir qu'au peuple sans lequel elle ne peut l'exercer. »
 
Mariah poursuit sa quête spirituelle et cherche dans le Coran une aide pour comprendre la violence. « Dans son livre " La pensée du premier fils d'Adam", Saeid explique que quand Caïn et Abel se disputent, c'est symbolique : l'un prend les armes et tue, l'autre refuse. On a un verset du Coran qui dit " Même si tu tends ta main vers moi pour me tuer, je ne tendrai jamais la mienne pour te tuer." Pour moi, c'est devenu clair : on ne peut répondre à la violence par la violence. »
 
Elle lit beaucoup, participe à des rencontres sur la question des femmes, sur la renaissance des idées religieuses… Elle débat, réfléchit : « J'étais loin de penser à un changement de régime ou alors… dans vingt ans ! Je trouvais plus important de faire évoluer les mentalités. Je ne pensais pas qu'un jour, je devrais appliquer toutes ces idées sur le terrain. »

Mariah, une jeune musulmane non-violente dans la tragédie syrienne

Une question de stratégie

Mariah intègre le Mouvement Syrien de la Non-violence. « Fin avril, les Syriens ne demandaient pas la chute du régime mais un peu plus de dignité. Ils étaient habitués à l'injustice. Plutôt jeunes, les manifestants n'avaient pas connu les massacres perpétrés par le père, Hafez El Assad, dans les années 80. Les plus âgés, eux, savaient quel était le prix à payer si on agissait. » 

Appartenir au Mouvement Non-violent, certains en font une question d'éthique ; pour d'autres, comme Mariah, c'est d'abord une question de stratégie. Face à un régime armé, une autre réponse s'impose : « En août 2011, quand il y a eu des défections dans l'armée syrienne, le Mouvement a appelé ces militaires à déposer leurs armes. On a constaté depuis, que là où l'Armée Libre intervenait de façon violente pour protéger les manifestants, là se faisaient les attaques les plus fortes contre les civils. »

Le régime ne s'y trompe pas

Il faut aussi songer à l'après : « Là où la violence a été la plus destructrice, il y aura le plus de travail de reconstruction à faire. Des enfants ont vu le massacre de leurs parents devant leurs yeux. Le régime fait tout pour inciter les gens à répliquer à la violence par la violence. »
 
Il ne s'y trompe pas d'ailleurs, le régime, puisque les leaders non-violents ont été arrêtés. Mariah cite l'exemple de Ghiath Matar, 26 ans : « Il encourageait les gens à donner des fleurs et des bouteilles d'eau aux soldats lorsqu'ils arrivaient. C'était une façon de leur dire " Nous sommes vos frères, ne tirez pas ". Il a été arrêté et torturé jusqu'à la mort. Son fils est né quatre mois après. »
 
Des membres du Mouvement ont été interpellés et on ne sait pas où ils sont. « Ceux qui en sortent ont un énorme travail de reconstruction à faire tant la torture est insoutenable », dit Mariah après un long silence qu'elle peuple d'images, celles du caricaturiste dont on a cassé les doigts ou de cette psychiatre privée de parole.

Mariah, une jeune musulmane non-violente dans la tragédie syrienne

Se regrouper, agir ensemble : c'était impossible

Mariah avoue qu'ils ont manqué de temps de préparation et « on en paie le prix aujourd'hui : on n'a pas cru que la population syrienne allait exploser à ce point. » Il est vrai aussi que le régime a toujours privé les Syriens de la liberté d'association : il n'existait pas d'organisations sauf celles créées par le pouvoir.
 
Elle pourrait presqu'en rire, Mariah, tellement cela semble ridicule : « Même pour un mariage, il fallait obtenir une permission de rassemblement ! En 2000, quelques personnes se réunissent pour nettoyer les rues de leur quartier dans la banlieue de Damas. Elles sont arrêtées et pressées de questions : " Où se sont-elles rencontrées ? Pourquoi ? Comment ont-elles décidé d'organiser cette action ? " Pour nous, c'était devenu normal de demander la permission pour faire quelque chose ensemble. » 

Faire ensemble, cela aussi, ils sont en train de l'apprendre très vite : se regrouper, discuter de stratégies, inventer des modes de communication et gérer le présent, imaginer des actions sans armes de guerre et porteuses d'un autre avenir pour le pays et ses habitants. Ils agissent avec leurs " armes " et apprennent en marchant, même si cela se fait au prix du sang : « Les premiers à manifester à Damas le 17 mars 2011 étaient des militants non-violents qui n'ont pas accepté de se taire devant les emprisonnements arbitraires et injustes », dit Mariah avec de la fierté dans la voix.

La créativité du peuple syrien

Les recherches et les discussions que les uns et les autres ont eu dans la clandestinité, servent. Les membres du Mouvement Syrien de la Non-violence s'appuient sur les idées des chercheurs comme Gene Sharp, Erica Chenoweth, Maria Stephan ou Jean-Marie Muller. Ils sont en lien avec le Bureau d'Etudes de la non-violence en Palestine et avec des militants bosniaques.   

« Ce qui maintient le mouvement non-violent, c'est la créativité du peuple syrien », affirme avec force Mariah. Il y a deux mois, une jeune fille s'est installée avec une pancarte rouge devant le parlement. " Arrêtez de tuer, nous voulons bâtir une patrie pour tous les Syriens " disait le panneau. Elle a été arrêtée mais les jeunes se sont emparés de son geste et ont porté le "Arrêtez de tuer" à travers la Syrie.

Il y a quelques semaines, des jeunes filles ont offert aux policiers des fleurs avec un petit mot d'explication. D'autres se promènent avec des semelles "imprimantes ": "Dégage" se trace sur le bitume. A moins que ce ne soit ces tracts sous forme de billets de banque distribués généreusement ou les petits gâteaux de fête fourrés aux messages révolutionnaires !

Mariah, une jeune musulmane non-violente dans la tragédie syrienne

Le régime veut la guerre civile

« Quand on est à l'extérieur, c'est facile de dire " Allez, prenez les armes ", poursuit Mariah ; en France, beaucoup de gens me posent des questions mais, d'abord, c'est difficile de faire rentrer des armes en Syrie ; ensuite, on sait que ce n'est pas efficace. C'est la seule façon de faire comprendre à l'armée qu'elle tire sur un peuple et non sur des gens armés.

Dans le livre "Why civil resistance works : the strategic logic of Nonviolent conflict " d'Erica Chenoweth, on estime à deux ans et demi la durée d'une révolution non-violente contre neuf ans en moyenne pour une révolution violente. Pourquoi ? parce que celle-ci débouche très souvent sur une guerre civile. N'est-ce pas ce que veut le régime de Bachar El Assad ? c'est un piège dans lequel nous ne devons pas tomber si nous voulons nous bâtir un avenir. »

 
« Pour moi, la non-violence, c'est avoir le courage de dire "non". Quand je sors avec une arme, mes voisins subissent ce moyen que j'ai choisi. Quand je sors sans arme, ils peuvent participer car il n'y a pas besoin de savoir tirer. Ils savent que je refuse ce qui se passe et que j'ai quelque chose à dire. »
 
Silence. Elle lève la tête, le visage rayonnant : « Je ne pensais pas qu'il y allait y avoir toute cette force dans mon pays. J'en suis très fière. »
 
Marie-Anne Divet et Agnès Blaire-Nicolas


À découvrir :«  Le jasmin de Damas »

 

La fleur qui ouvre cette vidéo, c'est le jasmin, symbole de la Syrie, symbole de la résistance. Dans ce film, on y voit une action faite par les activistes du Rassemblement qui regroupe plusieurs groupes comme le Mouvement syrien de la Non-violence. Ces groupes n'ont jamais de contact entre eux afin de ne pas se mettre en danger. 

Ces affiches avec la photo de martyrs de la révolution présentent les candidats à un vote qu'ils ne verront jamais. C'est un appel au boycott de l'élection.




Nouveau commentaire :


L'enquête des lecteurs


"Les gens qui ne sont rien"
Dans ce voyage, un reporter fait partager le meilleur de ses rencontres. Femmes et hommes  de  toutes contrées, des cités de l’Ouest de la France aux villes et villages d’Afghanistan, d’Algérie, du Sahel, du Rwanda, de l’Inde ou du Brésil, qui déploient un courage et une ingéniosité infinis pour faire face à la misère, aux guerres et aux injustices d’un monde impitoyable. 280 pages. 15 €.

Et neuf autres ouvrages disponibles