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01/09/2015

Ces bénévoles au service des migrants


En Europe, l'été 2015 aura été celui des migrants qui arrivent par dizaines de milliers de pays dans la tourmente. Partout, pendant que les xénophobes déblatèrent et que les gouvernements tergiversent, une foule de bénévoles anonymes secourent les exilés. Rencontre à Norrent-Fontes, à 70 km de Calais, près d'une aire de l'autoroute A 26.


Échange entre un migrant et Adeline, de l'association Terre d'errance
Échange entre un migrant et Adeline, de l'association Terre d'errance
Les nuits sont courtes en ce début d'été. Ils quitteront tard ce soir le camp de fortune où ils s'entassent à près de 150 au milieu des champs de blé. Ils marcheront 2 km sur la départementale 91 qu'ils connaissent bien, où ils reviennent, d'où ils repartent depuis des mois, et ils tenteront encore de se glisser dans les poids-lourds arrêtés sur l'aire de Saint-Hilaire-Cottes. En espérant que l'un d'eux, enfin, les emmène de l'autre côté du détroit de Calais.

Cela fait cinq mois et demi qu'Ahmed, le Soudanais, tente la traversée et qu'il revient, en train, à pied, comme il peut. Une conversation s'est engagée à l'entrée du camp, autour de vieux canapés, près d'une tente où deux exilés tuent le temps.  Il y a là  deux autres Ahmed, Érythréens, et Laurence et Adeline, deux des bénévoles de l'association Terre d'Errance.

« Je ne savais pas qu'il y avait un camp de migrants près de chez moi !, confie Adeline, j'ai trouvé leur situation révoltante. » Révoltées elles sont. Alors, comme la vingtaine de bénévoles de l'association, comme les centaines d'autres de Calais et des camps alentour, elles se démènent pour activer l'instinct de solidarité qui sommeille en beaucoup de gens. 

Un camp dans une précarité extrême
Un camp dans une précarité extrême

Quand la solidarité était un délit

Terre d'Errance est née en 2008. Après la fermeture du centre de la Croix-Rouge de Sangatte, en 2002,  les migrants se sont dispersés, de plus en plus nombreux, dans la région, entre autres à Norrent-Fontes où un camp sommaire a vu le jour. En 2008, un petit groupe d'habitants s'organise pour parer à l'urgence. Ils affrontent du même coup  la politique répressive sarkozyste : la destruction systématique des cabanes, l'effarant "délit de solidarité"… En février 2009, la police arrête ainsi chez elle et emmène en cellule une bénévole de Terre d'errance de 62 ans, Monique Pouille, dont on peut relire ici le témoignage.

Cette politique répressive ne paye pas aux élections municipales de 2012 : les citoyens de Norrent-Fontes élisent un maire Europe Écologie Les Verts, Marc Boulnois, qui soutient notamment la construction de quatre abris en bois par Médecins du Monde. Les gens de Terre d'errance peuvent plus sereinement poursuivre leurs multiples actions : entretien du camp,  création de toilettes, préservation des cultures environnantes, accès aux soins, aux douches, collecte de vêtements et de dons...

D'une simple bouteille d'eau aux soins médicaux

Laurence, l'enseignante, Adeline, l'éducatrice, et leurs ami(e)s en sont toujours à poursuivre ces tâches. Pour quelque 150 personnes maintenant. Lourd travail. Elles sollicitent la population locale et de nombreuses habitants répondent. Ainsi pour l'épineux problème de l'eau. « Ils ne disposent que de 3 à 5 litres d'eau par jour pour boire, se laver, etc., indique Laurence, c'est loin des 20 l minimum préconisés par l'Organisation mondiale de la santé. » 

«
 Des agriculteurs, un jour sur deux, remplissent une citerne et l'amènent sur le camp, poursuit-elle. En mai dernier, nous avons distribué des tracts avec les migrants demandant aux gens de déposer une bouteille d'eau devant chez eux ou au presbytère : c'était un lundi, le mercredi nous avions 600 bouteilles. » 

Chacun y va de sa petite action solidaire : tri du linge qui a été donné, conduite aux douches… « Des gens font le tour des boulangeries qui donnent du pain, dit encore Laurence. Les Restos du cœur fournissent dix paniers repas par semaine. Il y a ceux qui donnent des vêtements à "la trappe" au presbytère. Un match de foot a été organisé entre migrants et lycéens. Un match  de volley a eu lieu aussi sur le camp. »  Et il y a le plus important : la santé de ces hommes, ces femmes, ces adolescents parfois. Régulièrement un médecin, un infirmier ou une infirmière passent comme témoigne celle-ci sur cette vidéo.

Résister

Mais, comment partout en France, les habitants de Norrent-Fontes sont partagés. Aux dernières élections municipales, la commune a écarté Marc Boulnois et élu un maire de droite, Bertrand Cocq. Changement de climat. Un bras de fer s'est même engagé depuis l'incendie accidentel qui a détruit deux des quatre abris construits en 2012.  Sur demande du préfet, le maire a hébergé les migrants dans une salle municipale. Durant 9 jours : le 6 mai la salle était fermée.

Le 10 mai, quelque 200 personnes parmi lesquelles deux prêtres et l'imam de Béthune défilaient du camp à l'église. Après une rencontre sans succès, les bénévoles de Terre d'errance, des migrants, des habitants se lançaient le 13 juillet, avec le soutien de la Fondation Abbé Pierre, dans la reconstruction sans permis d'un abri de 25 m2. Le 6 août, le maire, avec le soutien du sous-préfet publiait un arrêté ordonnant la suspension des travaux.

De quoi nourrir la révolte de Laurence, Adeline, et de bien d'autres habitants de Norrent-Fontes, symbole d'une France à la fois terre d'errance et de résistance.

Michel Rouger

Un réseau d'une vingtaine d'associations

Depuis qu'a émergé il y a plus de vingt ans la question des migrants sur le Nord Pas-de-Calais, et en même temps qu'elle s'aggravait, un vaste mouvement de solidarité s'est formé, porté par diverses associations qui ont décidé de former un réseau, la Plate-forme de services aux migrants  dont le but est de « mutualiser les expériences, les moyens et les compétences pour organiser une meilleure défense des droits des personnes exilées », en partageant des « connaissances, expériences et pratiques qui sur le terrain sont variables. »
Autres liens  sur le Nord Pas-de-Calais
 

Migreurop : le réseau des sociétés civiles des deux côtés de la Méditerranée

Créé il y a bientôt 10 ans, en novembre 2005, le réseau Migreurop rassemble 46 associations et 51 membres individuels, militants et chercheurs, de dix-sept pays du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Europe. L’objectif est «  de faire connaître et de lutter contre la généralisation de l’enfermement des étrangers et la multiplication des camps, dispositif au coeur de la politique d’externalisation de l’Union européenne. » Le site de Migreurop est un outil essentiel qui permet notamment de connaître, par les sites et contacts des membres, l’action des sociétés civiles de ces pays.




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