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23/05/2013

Le musée de la bombe atomique à Nagasaki


Clarisse Lucas revient du Japon. Elle s'est rendue notamment à Nagasaki où le musée de la bombe atomique témoigne du drame de 1945 à ne pas oublier.


Le musée de la bombe atomique à Nagasaki
On parle beaucoup d'Hiroshima et très peu de Nagasaki quand il s'agit d'évoquer la bombe atomique et ses effroyables effets. Bien sûr, Hiroshima était la première, le 6 août 1945, à subir cette terrible punition collective et les seconds -même trois jours plus tard- ont toujours tort. Mais les dégâts ont été les mêmes, aussi insupportables dans l'une que dans l'autre de ces deux villes martyres distantes de quelques centaines de kilomètres dans le sud du Japon. 
 
Dans chacune de ces deux villes, plus de 70.000 morts immédiats: des civils dans la quasi totalité, enfants, femmes et personnes âgées. 73.883 morts, selon les historiens, pour Nagasaki -sur 240.000 habitants à l'époque- parmi lesquels plus de 10.000 «travailleurs forcés» coréens et quelque 200 prisonniers de guerre alliés. 74.909 blessés et des milliers de morts supplémentaires, directement liées à l'explosion atomique, au fil des années: brûlures par rayonnement thermique, irradiation avec son cortège de cancers. Sans compter les malformations de nouveaux nés, les voyants devenus aveugles, etc...

La bombe (en grandeur réelle)
La bombe (en grandeur réelle)

Des photos souvent insoutenables

Ce que l'on sait peu, c'est que Nagaski, contrairement à Hiroshima visée en sa « qualité » de grand port militaire de l'Empire du Soleil Levant abritant de surcroît des usines d'armement, a été bombardée un peu par hasard, le 9 août 1945. Le bombardier américain qui avait décollé quelques heures plus tôt des îles Marshall avait pour objectif une autre ville, le centre industriel de Kokura, sur la côte nord-est de l'île de Kyushu. Mais le ciel était nuageux au-dessus de Kokura et, devant le manque de visibilité, le pilote du bombardier a donc décidé de prendre la direction de la cible secondaire, située un peu plus au sud, sur la même grande île méridionale du Japon: Nagasaki, objectif « intéressant » également en raison de ses chantiers navals. 
 
La bombe a explosé à 500 m d'altitude, détruisant tout dans un rayon d'un kilomètre et provoquant des incendies qui ont ravagé la ville pendant plusieurs jours. Comme à Hiroshima 72 heures plus tôt, dans un paysage d'apocalypse, les survivants,  en l'absence d'information, cherchaient à comprendre ce qui leur était arrivé et qu'aucun d'eux, et pour cause, ne pouvait expliquer. 
 
Le musée de la bombe atomique  à Nagasaki témoigne de cette catastrophe. Il retrace le contexte historique, affirmant que le Japon était prêt à se rendre avant ces bombardements. Il présente, grandeur nature, une reproduction de la fameuse bombe de 4,5T larguée sur la ville, une bombe à plutonium alors que celle d'Hiroshima était à l'uranium. On y trouve de nombreux objets déformés, tordus -des rails de chemins de fer-, fondus -plusieurs bouteilles en verre devenues une seule masse compacte d'où émergent des goulots et des fonds, leur donnant des allures de sculpture contemporaine...-. On y voit une montre et une horloge bloquées à l'heure fatidique, 11h02...  On y découvre aussi des reliques, des vêtements, dernières traces de vie de disparus.
 
On y voit de multiples photos, de Nagasaki avant et de Nagasaki après: au lieu de l'épicentre, à un kilomètre, deux, puis trois, et on mesure alors, si on ne l'avait pas réalisé auparavant, la puissance dévastatrice de l'arme utilisée.  Et bien sûr, des photos souvent insoutenables de victimes hagardes dont on lit parfois les témoignages terriblement douloureux et émouvants. 
 
 La visite se termine, comme à Hiroshima, par un vibrant plaidoyer pour un monde libéré de la menace atomique. 

Des rubans tressés à la mémoire des victimes, en particulier coréennes
Des rubans tressés à la mémoire des victimes, en particulier coréennes

Le Japon était prêt à se rendre et les Américains le savaient

Dans la périphérie du musée se dresse le monument dépouillé marquant l'épicentre de la bombe. Une colonne de pierre noire, rappelant une obélisque, inscrite au creux d'un espace en dégradé de quelques marches. A côté, quelques murs de briques, vestige de la cathédrale détruite. A proximité encore, des rubans tressés multicolores, déposés en souvenir par des visiteurs, rappellent la mémoire de ces milliers de victimes coréennes amenées de force dans le Japon impérial et pratiquement réduites en esclavage.
 
 Un peu plus haut sur la colline, le Mémorial national de la paix aux victimes de la bombe, avec une imposante statue assise d'un homme torse nu, les yeux clos, pointant du doigt le ciel, symbole de la menace nucléaire, son bras gauche tendu à l'horizontale dans un geste de paix. 
 
Il est communément admis, l'histoire étant écrite par les vainqueurs, que le recours à l'arme suprême contre le Japon était le seul moyen d'obtenir sa reddition. Pourtant, à visiter le musée de la bombe atomique à Nagasaki, la démonstration est loin d'être aussi évidente, étayée par des éléments historiques établis mais méconnus ou volontairement minimisés.
 
Début août 1945, le Japon était déjà dans une situation désespérée et prêt à se rendre, comme le lui avait enjoint quelques jours plus tôt, le 26 juillet, les Alliés lors de la conférence de Postdam, ainsi que l'ont aussi écrit des historiens ou des spécialistes militaires américains (voir l'analyse, peu après la guerre, de Hanson Baldwin, spécialiste militaire du New York Times, cité par l'historien Howard Zinn).
 
Les Américains étaient-ils au courant de cette reddition imminente avant août 1945?  « La réponse est positive. Le code secret des Japonais avait été découvert et leurs messages étaient interceptés », rappelle Zinn (« Une histoire populaire des Etats-Unis », chez Epigone, p. 479). « Les services secrets étaient en mesure de relayer ce message (d'une reddition imminente) -et c'est bien ce qu'ils firent- au président américain. Mais cela n'eut aucun effet sur la suite de la guerre », conclut l'historien Martin Sherwin cité par Zinn. 

Statue aux victimes, la mère et l'enfant
Statue aux victimes, la mère et l'enfant

Une cité commerçante et prospère

Face à ce cataclysme, il est en tout cas logique de se demander si les victimes de l'arme atomique n'ont pas fait l'objet d'une expérience scientifique grandeur nature, afin de mener ainsi à son terme le « projet Manhattan », nom donné par les Etats-Unis  au projet de fabrication de la bombe atomique. Un certain nombre de victimes ont d'ailleurs été emmenées ensuite aux Etats-Unis pour y être officiellement soignées. 
 
Aujourd'hui escale pour les navires de croisière, ville de 450.000 habitants étagée en balcon face à sa baie profonde sur la mer du Japon, au sud de la Corée, soumise aussi aux influences ancestrales de la Chine, Nagasaki a toujours été une porte ouverte sur le monde. C'est par elle que l'archipel s'est éveillé, de très longue date, au monde extérieur, contrairement au reste du Japon, profondément marqué par son caractère insulaire. 

 Dès le 16è siècle, la ville a été le principal lien entre l'Asie et l'Occident. Les Portugais y sont arrivés à cette époque -laissant d'ailleurs à la ville une spécialité pâtissière-, avec, dans leur sillage, les premiers missionnaires chrétiens -des Jésuites-, faisant de Nagasaki une cité commerçante et prospère où les Hollandais, moins prosélytes, prendront bientôt le dessus. Après la période de fermeture du Japon, ce comptoir hollandais restera le seul point de contact entre l'archipel et le monde extérieur. En 1858, Nagasaki devient l'un des cinq ports du pays rouverts au commerce, avant de devenir au 20è siècle, un grand site industriel impulsé par Mitsubishi. 
 
Témoin de cette ouverture sur le monde, dans ce pays très majoritairement shintoïste et bouddhiste, la bombe a explosé pratiquement au-dessus de la plus grande église catholique d'Asie, la cathédrale d'Urakami, achevée en 1914 après trente années de travaux. 

Mais de cette ville maritime, moderne et aérée, me reste pourtant d'abord par dessus tout une image entrevue au musée de la bombe atomique: la photo en noir et blanc d'un garçonnet d'une dizaine d'années à l'air épuisé, portant sur  son dos un enfant de trois ou quatre ans, qui semble endormi, la tête penchée en arrière. La photo est accompagnée du témoignage de son auteur qui dit en substance : « J'ai pris cette photo devant le crematorium. Le garçon venait y déposer le corps de son petit frère. Il est reparti sans attendre, sans un mot, sans une larme. »  




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