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23/03/2016

Samuel Allo, le conteur voyageur fou d'humanité


Toc, toc, toc, aujourd’hui je vais vous conter l’histoire d’un conteur, d’un « troubadour » originaire de Bretagne qui voyage uniquement à pied ou en stop pour offrir des contes, des chants, des danses, de la musique... Et il en reçoit beaucoup, en échange, de ces moments d’humanité ! Venez les écouter.




D’habitude c’est lui qui va toquer à la porte des gens, aujourd’hui c’est la sienne qu’il ouvre, d’ailleurs elle est toujours ouverte. Ce vendredi matin, entre les dons récupérés qu’il amène dimanche aux migrants de Calais, il m'accueille dans cette ancienne grange des Côtes d’Armor où son arrière-grand-père gardait les animaux.

Samuel Allo, découvert par ses récits de voyage vendus sur le marché de Saint-Brieuc, j’étais curieuse de le rencontrer. Dans un de ses livres, une remarque d’un habitant m’avait interpellée :
« J’espère que l’on va se revoir un jour pour que tu me racontes la ‘cristallisation de ton voyage’, ce que toutes ces expériences, cette route, une fois décantées, seront devenues en toi. Je serais curieux de découvrir la beauté qui va en émerger»

Partir faire l’expérience de la liberté : un projet de voyage bien particulier

Aujourd’hui, âgé de 38 ans, il se rappelle qu’à 18, il a tracé l’arbre généalogique de sa famille : une lignée d’agriculteurs entre Plœuc-sur-Lié et Cléguérec. Il sent qu’il ne veut pas faire comme tout le monde. Ses parents sont les premiers à rompre la tradition, ils deviennent enseignants. Lui aussi, mais professeur d’éducation physique pour « le corps en tant qu’expression artistique ». Il sent que ce n'est qu'un passage avant de trouver sa propre liberté. Il exerce un an à Valenciennes. Il ne s'épanouit que dans ses activités hors cadre scolaire. Le passage du BAFA est un moment important. Il découvre le conte et sa puissance pour apaiser les enfants le soir.
 
C’est durant cette année qu’il élabore son projet : voyager sans argent, sans date de retour, sans tente pour dormir chez l’habitant, en recueillant dans les pays traversés un conte local, une danse traditionnelle, une chanson, une recette. En échange ou pour remercier ses hôtes, il partagera la culture bretonne.
 
Le voyage, il y a déjà un peu goûté avec cinq années d'étude dans six universités et un passage en Écosse et en Espagne. Lors de sa licence à la Réunion, il lit La terre n’est qu’un seul pays du globe-trotter André Brugiroux. Une inspiration. Un défi aussi quand l’auteur lui répond que voyager sans argent n’est plus possible aujourd’hui. À la rentrée 2002, à 25 ans, il demande une disponibilité et part sur les routes, avec dans les poches une bourse de la mairie de Valenciennes.

Rencontre dans une classe au Québec
Rencontre dans une classe au Québec

Un voyage «au fil des hommes»

Samuel part vers l'est de la Bretagne. L’Europe, peut-être parce que c’est le continent qui lui semble le moins "exotique". Il y passera sept mois intenses à la rencontre des cultures de tous ces petits et grands pays : Autriche, Hongrie, Pologne, Lettonie, Finlande, Russie, Croatie, Bosnie, Serbie, Grèce... Dans les voitures de ceux qui s’arrêtent pour le prendre en stop, il entend les peurs, celles de l’étranger, de l’inconnu, comme celles que les médias véhiculent. Il les écoute, les dépasse.
 
Il reçoit un accueil formidable des écoles. Un petit rituel : arrivée à la récréation de 10 heures (parce que tout le monde est plus détendu que le matin à 8 heures) et partage toute la journée dans les classes. Les élèves écoutent, dansent et jouent. Les profs bousculent leur programme pour accueillir ce voyageur, débarqué pour offrir un peu de sa culture bretonne et découvrir la leur, la valoriser, puis repartir la conter sur les routes.
 
Puis, avec la Turquie, l’Iran, le Pakistan, c’est la découverte de la culture musulmane et le sens de l’accueil et du partage. Son itinéraire se construit avec un contact plus avant ou une parole d’un habitant. Il ne peut pas arriver en Chine par le Nord, et bien, ce sera par le Sud, avec quatre mois de voyage en plus. Puis les États-Unis et le Québec. Après treize mois, le voyage s’arrête pour revoir les proches en Espagne et en France.

Danses bretonnes en Tanzanie
Danses bretonnes en Tanzanie

Troubadour du XXIe siècle

De retour, à une conférence à Plœuc-sur-Lié, une habitante est touchée par ses histoires mais aimerait aussi les lire : Samuel Allo se prend au jeu et retranscrit son carnet de bord. L’écriture, l’animation à Pléneuf, puis, à la rentrée 2004, une nouvelle année de prof à Valenciennes.
 
Cette fois-ci, il utilise cette année à « s’outiller » pour les prochains voyages : il apprend le théâtre, l'accordéon,  il monte un club de conte. À la fin de l’année, il démissionne de l’Éducation nationale et décide d’approfondir sa connaissance de la culture celte. Il part sur les routes de Bretagne, du Pays de Galles, de l’Écosse, de l’Irlande et la Cornouaille, jusqu’en Galice et aux Asturies, pour collecter contes et traditions. Puis l'envie d'un autre tour du monde. En 2006, il repart sans date de retour où son premier voyage s’est arrêté, au Québec.
 
Là, c’est le déclic. Un Québécois l’invite à participer à un festival de contes. Mais pas seulement contre gîte, contre argent aussi. Conteur, transmetteur de sagesse, devient un métier comme les autres. Samuel peut vivre en « troubadour », comme les gens le définissent. Il sillonne l’Amérique, du Nord, du Sud, et arrive au bout du continent, à Ushuaïa en Argentine. Cela fait un an qu’il est parti, qu’il est allé à la rencontre de 200 écoles en étant nourri et logé. Il n’a pas envie de rentrer. Il continue vers l’Océanie, expérimente le bateau-stop entre la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Une expérience pour ce breton non marin ! Puis c’est la découverte de l’Afrique, remontée par l’Est, et du Proche-Orient. Par les astuces de voyageur, il peut découvrir la Palestine et Israël tout en continuant vers la Syrie. Il se laisse porter par le flot de la vie : il mène toujours quelque part.

Chez lui, avec l’instrument « psaltérion »
Chez lui, avec l’instrument « psaltérion »

Accueillir à son tour

Il arrive en Turquie : c'est le début d'un voyage de retrouvailles. Épuisé par l’énergie constante déployée pour créer des liens, il récolte ici les graines de l’amitié semées cinq ans auparavant. « J’aime vraiment ça revoir les gens que j’ai rencontrés à un moment donné... c’est un peu comme une grande famille sur la route ». Après 23 mois, il rentre avec l'intention de contacter une vieille femme de son village qui lui a proposé de racheter la maison où a vécu son arrière-grand-père.
 
La rénovation de la grange commence, une yourte est plantée dans le jardin. Contre des contes, du troc, une soixantaine de personnes passent aider dans cette maison ouverte. Le pressoir est installé avant le poêle, Samuel fait du jus de pomme avec ses amis et leurs enfants.
 
En 2012, il entame un tour de Bretagne en 80 jours (sans faire exprès !). Trente écoles plus tard, il se lance dans une formation de six mois pour apprendre le breton. Cette clé qui lui manquait sur sa culture. Il repart alors jusqu’en 2013 sur les routes de sa région en contant cette fois-ci en breton.

Pour réaliser un CD de contes celtes, il s’envole retrouver ceux qu’ils lui ont partagé des contes dix ans auparavant. Avec des amis musiciens, il enregistre aussi en français une compilation des contes récoltés autour du monde de 2002 à 2014. Le chantier de la grange est fini, l'imprimeur est payé. Tout cela résonne comme une année bilan. Comme si quelque chose d’autre l’attend.
 

« Dans les écoles, quand je raconte l’hospitalité que j’ai reçue dans les familles syriennes, puis quand je raconte mon quotidien dans les camps des migrants, pour les enfants c’est tellement clair que ce n’est pas juste, il n’y a pas besoin d’avoir un discours militant. »
« Dans les écoles, quand je raconte l’hospitalité que j’ai reçue dans les familles syriennes, puis quand je raconte mon quotidien dans les camps des migrants, pour les enfants c’est tellement clair que ce n’est pas juste, il n’y a pas besoin d’avoir un discours militant. »

Rencontre avec les migrants de la « jungle » à Calais

Fin 2015, il souhaite remercier au Québec ce conteur amérindien qui l’a encouragé à apprendre le breton. Il transmet aussi les remerciements de sa grand-mère, elle qui n’a pas eu le droit de le parler à l’école. Au retour, en allant rejoindre une amie violoniste au Pays de Galles, il traverse Calais et aperçoit les tentes plantées dans la boue derrière les grillages du bord de route.

C’est comme un flash. Les interrogations le poursuivent jusqu’au retour. En janvier, il part en stop à leur rencontre. Un réfugié afghan l’invite : «Quelle justice ? On ne les accueille pas chez nous mais lui m’invite à dormir dans sa cabane. »
 
Là-bas, il sent l’épuisement des Calaisiens. Il conte dans les écoles des histoires aux enfants des CRS. « Il est important de montrer que des Français ne cautionnent pas les actions du gouvernement ni les informations et chiffres déformés, relayés par les médias. » Trois séjours de dix jours après, il s’apprête à partir trois mois vivre là-bas et accueillir dans le fourgon acheté et retapé pour l’occasion.

Après l’urgence, celle d’apaiser de tous côtés, il souhaite participer à un projet de jardin partagé, d’une laverie : que faire des dons de vêtements une fois sales s'il n’y a pas d’espace pour les laver ? Il dénonce l’énergie et l'argent dépensés par l'État français pour détruire les structures mises en place par les bénévoles et pour reloger les migrants dans des dortoirs sans espace de vie collective. « Comme si on croit qu’en mettant quelqu’un sous un toit et quatre murs on allait le rendre heureux, la vie c’est être ensemble, cuisiner, rire, jouer...»
 
Électron libre parmi les associations et ONG, celui qui avait déjà envie de faire de l’humanitaire sans se retrouver dans la démarche, veut éviter l’assistanat, valoriser la culture des migrants, les soutenir pour qu'ils retrouvent leur dignité. Et le «troubadour», si bien accueilli dans ces pays, invite à la rencontre : « Si vous en avez la possibilité physique, allez à Calais, allez le plus rapidement possible à la rencontre des hommes, femmes et enfants qui fuient la guerre, apportez-leur un peu d’amour et recevez leur humanité. »

Proverbe breton ramené de ses voyages :
Kant kleved ne dala ket ur gweled
On a beau entendre 100 fois quelque chose, cela ne vaut pas autant que de le voir une fois (rien ne remplace l’expérience).

Aude Schmuck

POUR ALLER PLUS LOIN


- Le site de Samuel Allo où vous pourrez trouver ses livres/CD et dans la partie actualités son blog retour d’expérience de Calais.
- Extraits audio (ci-dessous) du CD des Voyages dans les pays celtes de Samuel Allo. Ambiances sonores Toc Toc Toc...
ecoutez_un_extrait.mp3 Ecoutez_un_extrait.mp3  (3.27 Mo)






1.Posté par Adrien vasseur le 11/05/2016 20:49
Samuel tu est passsé dans mon école, j'ai beaucoup apprécié tes histoires très passionnantes, je suis de marque en calaisis ( à côté de Calais) dans le Pas de Calais, j'espère que tu repasseras au revoir

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