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18/04/2013

Une Bretonne dans la longue marche mondiale des femmes


Depuis la naissance de la Marche mondiale des femmes, ce grand mouvement rassemblant quelque 6 000 organisations de tous les pays, Catherine Desbruyères n'a rien manqué. Comme elle ne rate rien des actions de solidarité internationale des Côtes d'Armor. Et ce n'est pas près de finir ! À chaque voyage, elle revient "boostée", dit-elle. Le mois dernier, c'était par les Tunisiennes, avant par les femmes du Kivu, et tant d'autres.


Une Bretonne dans la longue marche mondiale des femmes
Le combat des femmes, quelle histoire... Catherine Desbruyères s'y inscrit totalement. Elle se souvient de sa mère, partie à 20 ans de son Sud-Ouest natal pour monter postière à Paris. Elle songe à ses filles ou à sa petite fille Chloé, 11 ans. Elle parle des femmes inoubliables qu'elle croise à travers le monde. Mais pourquoi tant de passion féministe ? « J'ai eu beaucoup de chance, je suis de la génération des Trente Glorieuses,  confie-t-elle simplement dans son appartement de Saint-Brieuc, je me sens l'obligation morale de me battre pour que d'autres en profitent. » « Je n'aime pas l'injustice », ajoute-t-elle. Et puis, elle n'est « pas très popote » : ça, on s'en doutait.

Catherine Desbruyères s'est ancrée en Bretagne en 1979 avec son mari. À son arrivée, la jeune gynécologue parisienne, qui a deux filles et est enceinte d'un troisième enfant, cherche une halte-garderie. Pas de halte-garderie à Guingamp. « Je me suis dit "Il faut que ça bouge !" » Quatre ans plus tard, aux élections de 1983, la voilà déjà conseillère municipale...

La nouvelle élue bosse sur la garde d'enfants, la culture, et saisit la chance des féministes des années 80 : la dynamique lancée à travers le pays par Yvette Roudy, la grande ministre des Droits de la femme. Catherine Desbruyères est de tous les réseaux bretons qui naissent et se développent. Dans les années 90, elle est présidente du Centre d'Information des Femmes de Saint-Brieuc ; elle intègre aussi le réseau des Bretonnes qui s'activent pour faire appliquer la Plate-forme adoptée par la conférence mondiale des femmes de Pékin en 1995 et qui va donner naissance, en 2000, à New-York, à la Marche mondiale des femmes. Catherine Desbruyères est elle-même à New-York. Un tournant.

Une Bretonne dans la longue marche mondiale des femmes

Militante dans l'âme

« On avait parfois envie de taper du poing sur la table ! », explique-t-elle en souriant. Pas vraiment le lieu dans les  Centres d'Information des Femmes chargés de plus en plus de tâches aussi utiles (droits, emploi, formation...) qu'institutionnelles. Catherine Desbruyères, militante dans l'âme, lance donc avec une dizaine d'autres une association bretonne de la Marche mondiale des femmes.

Et elle se rend là où elle préfère : sur le terrain. Les militantes vont en binômes interroger les femmes sur leur travail. Une enquête qualitative sur le temps partiel (choisi, pas choisi) qu'elles traduisent en tableaux, en montages, qu'elles vont ensuite présenter à travers les Côtes d'Armor. Ce travail achevé, en 2003, Catherine Desbruyères passe à la préparation de la marche mondiale de 2005, à Ouagadougou au Burkina, consacrée à la pauvreté.

Sans cesse, elle passe du local au global, selon le slogan du mouvement altermondialiste. Après Ouaga, retour dans le département avec, de 2005 à 2008, la grosse opération Equal (programme européen contre les discriminations) menée par le conseil général : « L'exigence d'égalité est entrée dans les mœurs et pas seulement dans les discours, il y a une vraie révolution mentale chez les élus et dans les services », se félicite Catherine Desbruyères. 

Une Bretonne dans la longue marche mondiale des femmes

Marche mondiale... bretonne

Parallèlement, les militantes de la Marche mondiale se rapprochent du Réseau Solidarités Internationales Armor (Resia ), fort de 52 associations, un réseau issu d'un collectif Tiers Monde né il y a quelque 25 ans et intégré aux centres de documentation Ritimo. Il s'agit bien sûr de faire avancer la question spécifique des femmes, celle du genre comme on dit désormais, dans les actions locales de solidarité internationale. « Je m'attendais à des réticences, à tort : le genre est dans la charte du Resia et beaucoup d'associations soutiennnent les groupes féminins », souligne-t-elle.

Infatigable, elle organise dans les mêmes temps, en 2009, une Marche mondiale des femmes... en Bretagne, à Mûr-de-Bretagne, précisément. Durant une semaine, en octobre, Bretonnes, Polonaises, Ukrainiennes, Nigériennes, Algériennes etc., échangent sur leurs situations. « C'était extraordinaire, se souvient-elle : toutes ces femmes étaient de cultures différentes, il y avait par exemple des musulmanes pratiquantes, et au bout d'une demi-heure, nous connaissions tout ce que nous avions en commun : les problèmes d'autonomie économique, de la religion dominante, de la contraception et de l'avortement, des violences, la seule chose étant que ça se manifeste différemment. »

Une Bretonne dans la longue marche mondiale des femmes

La résistance des femmes du Kivu

La féministe bretonne franchit un nouveau cap en 2010. Toujours avec la Marche mondiale, elle s'envole pour le Kivu, à la grande inquiétude de ses proches. La gynécologue, qui n'avait jamais vraiment travaillé sur les violences si ce n'est par sa profession, découvre les pires horreurs. Mais, à Bukavu, elle voit aussi huit femmes arrivant à pied de leurs villages, à une cinquantaine de kilomètres de là, pour témoigner des violences subies. 

« Je reviens toujours époustouflée de la façon dont les femmes résistent », commente-t-elle. À Bukavu aussi, à l'hôpital de l'héroïque Dr Denis Mukwege (revenu à son poste malgré la tentative d'assassinat d'octobre 2012), Catherine Desbruyères est bluffée par la façon dont les femmes s'organisent pour prendre en charge les victimes de viols : kit médical, accompagnement juridique, aide pour trouver une activité de subsistance, soutien aussi face au rejet de la communauté. 

Autant dire qu'elle ne garde pas ça pour elle ! Depuis, elle a animé maintes réunions sur les femmes du Kivu. Sans cesser, bien sûr, de s'activer pour les femmes d'ici. Depuis 2010 aussi,  les militantes costarmoricaines de la Marche mondiale ont suscité la création d'une Maison Départementale des Femmes où se retrouvent seize associations luttant peu ou prou pour les droits des femmes, les syndicats CGT et CFDT par exemple y participent. La Maison abrite, entre autres, un centre de documentation fourni, des cafés littéraires : un lieu d'informations et d'échanges ouvert.

L'énergie communicative des femmes du Sud

Du coup, le 8 mars dure tout le mois désormais. Cette année a été lancée en outre une manifestation de rue qui a connu un beau succès. Tout est bon pour répondre à la lancinante question qui taraude aussi les féministes : comment faire partager le combat aux jeunes générations ? « Sans jouer les anciennes combattantes ! », ajoute tout de suite Catherine Desbruyères.

Son énergie, à elle, est intacte. Ces dernières semaines, elle est encore revenue « boostée ». Il y a d'abord eu les témoignages entendus au Forum mondial des femmes francophones dont on peut avoir un aperçu ici, sur TV5.  A suivi aussitôt le Forum Social Mondial organisé cette année à Tunis et ouvert pour la première fois par l'Assemblée des femmes (voir la déclaration )

Au milieu des 55 000 participants, au hasard des quelque 1 200 ateliers organisés, l'altermondialiste bretonne a pu écouter la parole d'une femme d'Arabie Saoudite ou celle d'une jeune Égyptienne violée place Tahrir. Les femmes d'Égypte, Algérie, Tunisie, Kivu  « racontent bien comment augmentent les viols, toutes les violences, quand un pays se déstructure : les barrières symboliques tombent. »

Malgré tout, aujourd'hui, place Tahrir, les jeunes Égyptiennes « se déplacent par groupes de vingt, elles ne veulent pas se laisser impressionner, elles inventent des stratégies ». Leur courage impressionne. « Mais, comme celles du Kivu, elles disent "On n'a pas le choix !" » Catherine Desbruyères semble se réalimenter sans cesse auprès de ces femmes héroïques. Une bonne façon aussi, sans doute, pour sensibiliser les jeunes...

Michel Rouger




L'enquête des lecteurs


"Les gens qui ne sont rien"
Dans ce voyage, un reporter fait partager le meilleur de ses rencontres. Femmes et hommes  de  toutes contrées, des cités de l’Ouest de la France aux villes et villages d’Afghanistan, d’Algérie, du Sahel, du Rwanda, de l’Inde ou du Brésil, qui déploient un courage et une ingéniosité infinis pour faire face à la misère, aux guerres et aux injustices d’un monde impitoyable. 280 pages. 15 €.

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