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27/12/2012

Patrick, l'ami des Moldaves


Passer ses vacances en Moldavie, quelle drôle d'idée ! Depuis une dizaine d'années, Patrick Jehannin, ancien cadre dirigeant au CHU de Rennes, s'est pris d'amitié pour ce pays et ses habitants. Il joue le rôle de tuteur, de « nanachou », pour les Moldaves de Bretagne.


Patrick, l'ami des Moldaves
Pas facile de situer la Moldavie sur une carte. Indépendante depuis 1991, cette ex-république soviétique est aux confins de tout. De l'Europe, de la Russie, et même du niveau de vie de la plupart de ses voisins. La Moldavie est sûrement en queue de peloton du PIB européen. Pour ne rien arranger, l'indépendance a accouché d'une crise d'identité jamais résolue.

Pour le plus grand nombre, les Moldaves parlent roumain, proclamé langue officielle lors de l'éclatement de l'URSS. Mais les russophones, installés depuis l'annexion du territoire par Staline, ne veulent pas entendre parler de "roumanisation". Au cours de l'histoire, les frontières sans cesse redessinées de l'ex-Bessarabie ont accouché de minorités et même d'un pseudo-Etat digne de la Syldavie de Tintin.

De l'autre côté du fleuve frontière, le Dniestr, la république moldave de Transnistrie n'existe pas. Du moins en théorie, car en pratique elle a un président, un drapeau, une armée. Cet état fantôme, sorte d'enclave du Kremlin qui entretient encore des troupes, est accusé de servir de plaque tournante au trafic d'armes. Contrairement aux pro-russes, les Gagaouzes n'ont pas fait sécession. Après avoir créé un mouvement séparatiste en 1989, ils ont négocié un statut spécial qui leur a donné un territoire autonome dans le sud du pays. Ces anciens sujets ottomans ont fait reconnaître le gagaouze comme langue officielle de la province. 
 

« En quelques jours, je m'étais fait plein d'amis. »
« En quelques jours, je m'étais fait plein d'amis. »

L'été 2002, premier voyage en Moldavie

Voilà planté un décor excitant pour des voyageurs aventuriers, assoiffés de découvertes, jamais assez contents de se poser là où il fait bon vivre. Des routards avides de respirer un autre air derrière des frontières. Le Rennais Patrick Jehannin fait partie du lot. À 18 ans, il vient à peine d'obtenir son permis de conduire quand il démarre sa 2CV cap à l'Est, direction la Turquie avec deux copains. « On a traversé la Syrie. On est revenu par la Bulgarie. C'est là que j'ai connu mon premier refoulement à la frontière. On a fini par rentrer. A Sofia, il y avait des colonnes de chars en mouvement. On se demandait où on était tombé. C'était une répétition de la fête nationale. »
 
La Moldavie, Patrick la découvre sur le tard, alors qu'il n'est plus très loin d'achever sa carrière de secrétaire général au CHU de Rennes. Il avait déjà sillonné la Pologne et l'Ukraine. La Roumanie et, derrière, la Moldavie manquent à son carnet de route. Voilà une destination de rêve pour un touriste curieux qui n'a pas froid aux yeux. Il prend ses renseignements sur internet et s'adresse à l'association Bretagne - Moldavie. Mieux vaut avoir de bons contacts sur place, c'est plus sûr. « Je suis arrivé par la route au mois d'août 2002. J'avais l'adresse d'un journaliste à la télé. Tout de suite, il a voulu me faire visiter la capitale, Chisinau. Il m'a fait connaître des Moldaves. J'ai été touché par leur hospitalité. En quelques jours, je m'étais fait plein d'amis. »

Patrick, l'ami des Moldaves

Echappée en Transnistrie, l'état fantôme

Des amis qui méritent le déplacement. Depuis sa première rencontre, Patrick ne compte plus les traversées de l'Europe pour une visite aux amis moldaves, la plupart au volant de son Renault Espace. « J'y suis allé seul, parfois avec des amis ou même des inconnus, coéquipiers trouvés au dernier moment. Je chargeais la voiture de matériels destinés à un hôpital. Dans le giron du CHU, il y a une association, L'Arbre du voyageur, favorisée pour obtenir des dons. »

Au hasard de ses rencontres, Patrick fait la connaissance d'universitaires. Telle une jeune femme, Maïa, maître de conférences dans son pays et candidate à un doctorat en France. « Elle a voulu comparer la créativité enfantine dans les écoles primaires de Paris et le système communiste. J'ai finalisé la traduction de sa thèse et j'ai réalisé un diaporama. Maïa a obtenu une mention très honorable. »
 
Une seule fois, Patrick a franchi le Dniestr pour rouler en Transnistrie. Il n'y a pas grand chose à faire dans cette république sans existence officielle, qui entretient la nostalgie du passé soviétique. N'empêche, un vrai voyageur ne peut se refuser de goûter aux charmes d'un tel poste frontière, moyennant quelques sacrifices. « Il a fallu au moins deux heures pour remplir les papiers en cyrillique et une quinzaine d'euros. Quelques centaines de mètres après, j'étais verbalisé pour excès de vitesse. » Sur place, Patrick apprend que les grands magasins sont la propriété du fils du dictateur. 
 

Patrick, l'ami des Moldaves

Tuteur pour des Moldaves installés en Bretagne

L'ami des Moldaves se défend d'être un travailleur humanitaire. « J'ai appris à connaître ces gens attachants qui apprennent le français à l'école. Je n'ai jamais dormi à l'hôtel. Grâce à eux, j'ai pu faire des rencontres étonnantes. » Une fois, Patrick a ramené en voiture un couple franco-moldave et leurs deux petits garçons de 3 et 5 ans.  À quatre, ils étaient partis en vélo de Nantes et avaient roulé jusqu'en Moldavie en longeant le Danube. 

Aujourd'hui retraité, Patrick consacre une partie de son temps à la fonction de nanachou, sorte de tuteur pour des Moldaves qui ont choisi de faire leur vie en France. Comme beaucoup de leurs compatriotes, Maria et Nicolae, tous deux âgés de 50 ans, ont décidé de quitter leur pays... un peu la mort dans l'âme. Diplômés de l'université, ils avaient pourtant acquis un statut de haut fonctionnaire et des conditions de vie supérieures à la moyenne.

Lui, ingénieur, est parti le premier en 2003, pour exercer en Roumanie. Seul et sans papiers. Il connait d'abord une galère de deux ans en Italie et un emploi de quelques mois dans le bâtiment en Russie. Rentré en Moldavie, il fait la connaissance à Bucarest d'un groupe de touristes français. L'un d'eux est éleveur de porcs à La Baussaine (Ille-et-Vilaine). Voilà comment un fonctionnaire moldave se retrouve porcher en Bretagne. 

Maria et Nicolae le jour de leur mariage en Bretagne
Maria et Nicolae le jour de leur mariage en Bretagne

Un parc de 40 ha à entretenir près de Bécherel

Spécialisée en oenologie, Maria est restée seule en Moldavie avec ses deux fils. Elle franchit le pas en 2008 pour rejoindre son mari. Aujourd'hui, le couple réside dans les dépendances d'un château, près de Bécherel. Nicolae a changé de métier. Son rôle est d'entretenir un parc de 40 ha. Quant à Maria, elle prend le bus tous les matins pour se rendre à Rennes, à 40km. Elle y a trouvé un emploi de dame de compagnie auprès d'une personne âgée. Le plus jeune des enfants a achevé sa scolarité en France. Il entreprend des études de mécanique au Mans. Son frère aîné est lui aussi étudiant, mais en Roumanie. 
 
« Je me sens bien ici » remarque Nicolae. Le couple était marié civilement en Moldavie mais pas encore à l'église. Leur union a été célébrée l'an passé dans une ambiance festive à la moldave. Bien sûr, Patrick était au premier rang des invités. C'est lui, le nanachou, qui donne son avis sur les projets du couple. Pour l'heure, Maria et Nicolae ont entrepris les démarches de naturalisation. Déjà, ils se renseignent pour acquérir leur propre maison. 
 
Alain THOMAS. 




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