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Loïc : « N'oublions jamais la fraternité ! »



Loïc Dutay, sociologue, a, durant toute sa vie professionnelle, prôné la reconquête de l’autonomie et de la démocratie locale. Des individus, des territoires, des collectifs. Il croit surtout à la fraternité qui relie liberté et égalité : « La devise a fondé notre République. Elle continue à être notre ciment. Mais surtout, n'oublions jamais la fraternité. »


loic.mp3 Loïc.mp3  (10.42 Mo)


Liberté, égalité, fraternité

"Et si nous partions de l’idée que la liberté produit nécessairement de l’inégalité ? Fondamentalement, la liberté produit l’inégalité. Un vrai démocrate ne cherche l’égalité que si elle ne menace pas la liberté. Le chômage existe en France depuis 40 ans, c’est ce qui a le plus occupé les gouvernants, les médias, les citoyens… normalement, on devrait avoir avancé sur la question. Or, il est toujours à un niveau très élevé. Il est bien le témoin de notre résignation collective à la croissance des inégalités. Il y a 25 ans, les présidents Chirac et Mitterrand s’affrontaient au deuxième tour de l'élection présidentielle en disant qu’il fallait transformer les dépenses passives en dépenses actives. Il a fallu attendre 25 ans pour voir aujourd’hui poindre l’expérimentation Territoire zéro chômeur ! On n’a pas beaucoup évolué sur cette question. Et je ne parle pas de la misère, de l’indifférence vis-à-vis de la misère, je parle juste du chômage. Nous nous sommes donc résignés à l’inégalité.
 

Un projet inégalitaire
 
 
Il y a ensuite les valeurs individualistes qui prédominent avant 1789 dans le bassin parisien, qui s’étendent et perdurent jusqu’à exploser dans les années 1960, fastes et consuméristes. C’est le chacun pour soi au détriment des valeurs collectives. Le revenu minimum d’existence devient le revenu minimum individuel. On individualise l’aide et l’accompagnement jusqu’à rendre le chômeur responsable de son chômage. Puis on assiste ensuite au recul de l’Etat, à la dévalorisation du bien commun, à la ruine de la régulation politique, à l’ouverture au marché et à la libre concurrence. Certes, l’individu est mieux reconnu dans son individualité mais il est plus précarisé dans sa vie quotidienne.
 
Je pense (au risque de choquer) que la mondialisation n’est pas la cause mais bien la conséquence du projet inégalitaire. La mondialisation est bienvenue parce qu’il y a dans les nations occidentales un projet inégalitaire. Bien sûr que les gens disent qu’ils sont égalitaires ! Mais c’est tout de même chacun pour soi. Ce n’est sûrement pas un hasard si les valeurs individualistes des années 1960 ont trouvé là leur nid sociologique. Je note encore et toujours une indifférence progressive des gens vis-à-vis des autres. Bien sûr, aucun dirigeant ne prône l'inégalité mais c'est bien parce qu’on laisse faire un certain nombre de décisions politiques, qu’on laisse faire tout ce qui renforce l’individualisme qu'on le cautionne… Voilà pourquoi je dis qu’il s’agit bien d’un projet inégalitaire. Les rares militants qui crient contre l'inégalité sont très rares et extrêmement minoritaires.

La fraternité relie liberté et égalité
 
La liberté n'est pas menacée tant qu'il y a justice ou tout au moins, équité. Regardez le procès de Mme Lagarde, présidente du Fonds monétaire international : elle est condamnée pour « négligence » dans l'affaire de l'arbitrage Tapie - qui coûte quelque 400 millions d’euros au contribuable français- mais elle écope d’une peine égale à 0 ! Pourquoi le voleur de mobylette, lui, est-il condamné à une semaine de prison ? N'est-ce pas contraire à la devise républicaine ce à quoi nous assistons-là, à la devise d'égalité de droits ? Le retranchement du collectif a favorisé la perte de confiance, pas seulement en soi, mais en les autres. Et ceci se déroule dans un monde où les puissances paraissent invisibles et incontrôlables. Comme l’écrit Jean Baechler, dans Démocraties (ed. Calmann-Lévy - 1985), « si le sens de la communauté se révèle inexistant, la liberté tend à devenir plus destructrice que constructive ».
 
Je crois viscéralement à la fraternité - je ne crois d'ailleurs qu’en ça. Refonder la société, c'est refonder les communautés qui doivent d'abord être des communautés de sens et ensuite, d'action. C’est refaire du collectif, construire des libertés collectives qui vont certainement entacher les libertés individuelles. Je ne crois qu'au collectif, qu'à la force de la fraternité entre les gens, de la solidarité et de l'entraide, de leur capacité à changer le monde, de l'amitié entre les gens, de l'amour. Par définition, il y aura toujours le combat entre liberté et égalité. Et les penseurs de 1789 ont été bien inspirés, ayant tiré enseignement de l'expérience de la vie et sans doute aussi, de celle de leurs parents et des générations d’avant, en ajoutant fraternité. Car la fraternité relie liberté et égalité, ces fondements antagoniques. Cette devise a fondé notre République. Elle continue à être notre ciment. Surtout, n'oublions jamais la fraternité."

Tugdual Ruellan
 
UN SOCIOLOGUE ACTEUR DU DEVELOPPEMENT LOCAL 

Loïc Dutay est né en 1948 à Rennes. Après l’école normale, il commence à travailler comme instituteur à Rennes, en CE1 puis dans l'enfance inadaptée à l’ENP, Ecole nationale de perfectionnement. Il devient conseiller d'orientation à Laval, Rennes et Redon après des études à Caen. Mis à disposition de l'Education nationale, il crée un chalet d'accueil de familles, en Savoie, qu’il anime durant deux ans et demi. En 1983, il intègre la mission locale de Saint-Brieuc puis celle de Redon en 1984. En 1989, il est nommé à la délégation interministérielle jeunes comme chargé de mission pour le secteur rural. L’équipe est chargée par Michel Rocard, alors premier ministre, de dresser un état des lieux sur l'articulation des politiques nationales d'insertion et celles de développement local et de mettre en place les Systèmes partenariaux d’insertion et de développement.
 
En 1992, devenu sociologue, il fonde, avec Dominique Bachelart, l’Ades, Association pour un développement solidaire, qui a participé à la méthode et à la construction de projets de développement d’une centaine de territoires et « invite à la reconquête de l'autonomie et de la démocratie locale ». Il l’anime jusqu'en 2013. Il crée le CPIE Natures et Mégalithes, Centre permanent d'initiatives pour l'environnement, en 2003, association qui emploie aujourd’hui 30 salariés, chef de file du réseau des sites mégalithiques de Bretagne et de nombreuses actions en faveur du développement durable.

Tugdual Ruellan.

Loïc Dutay est l'auteur de deux ouvrages :

* "Pour un chômage innovant - organiser du sens avec les sociétés locales", 1996, Loïc Dutay (éditions L'Harmattan)
* "Penser, sentir et agir la métamorphose", novembre 2000, Loïc Dutay avec Tugdual Ruellan (éditions L'Harmattan).
 


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Pourquoi ce blog ?
Michel Rouger
Et si l’on demandait à chacun d’entre nous ce qu’évoque la devise républicaine, ces trois petits mots, parfois bafoués, souvent mis à mal quand ils ne sont pas oubliés de nos frontons publics ? Et si l’on prenait le temps de s’interroger sur le sens qu’ils prennent ou qu’ils ont pris dans nos vies ?

Alors, les citoyennes et les citoyens nous diraient leur mécontentement, parfois leur colère de n’être pas considérés, entendus, écoutés. Ils nous diraient leurs peurs et leur fragilité dans une économie mondialisée, monétisée, déshumanisée. Ils hurleraient leurs doutes, leur mépris face aux promesses qui leur sont faites et qui ne sont pas tenues.

Mais ils nous diraient aussi leur joie d’être libres, de pouvoir dire, rêver, encore et toujours penser. Ils nous diraient malgré tout leur espoir de voir poindre des jours meilleurs, leur soif et leur espérance de justice et d’égalité.

A l’initiative du député Jean-René Marsac, nous sommes allés recueillir des paroles, des histoires de vie, des réflexions glanées sur ces bouts de chemin croisés. Histoires Ordinaires propose de les mettre en partage sur ce blog.

Tugdual Ruellan

« Les valeurs de notre République et de notre démocratie sont violemment attaquées. Vers de nouvelles formes d'engagement et de dialogue avec nos concitoyens »

Par Jean-René Marsac, député



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