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Alida : « Quand on s’attaque à la France, on s’attaque à ma famille ! »



Alida Lambert-Rouxel a 40 ans et est maman de trois filles, une de 18 ans qui a voté pour la première fois et des jumelles de 14 ans. Après son divorce, elle n’a pas baissé les bras et s’est battue pour que ses filles grandissent dans le respect des valeurs républicaines et de la différence. Sa plus grande crainte : « Qu’un jour, on ne soit plus libre ».


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Liberté
 
C’est ce mot de la devise qui est pour moi le plus fort. Les attentats contre Charlie hebdo m’ont énormément touchée. C’est la liberté d’écrire, de penser qui a été touchée et j’ai été profondément affectée. Dans notre pays aujourd’hui, on peut tout de même faire ce que l’on veut, on peut dire les choses, on nous écoute. Là, des personnes s’attaquaient à nos droits les plus profonds. J’ai senti que notre liberté prenait un coup. Je n’étais pas forcément toujours d’accord avec ce qu’écrivait Charlie Hebdo mais peu importe. Ceux qui ont frappé ont attaqué un symbole. Puis les attentats de Paris : le Bataclan, les gens qui buvaient un verre en terrasse… c’est notre liberté qui était attaquée. Toute cette violence m’a profondément touchée et marquée.

Je suis très patriote : quand on s’attaque à la France, on s’attaque à ma famille. Et j’espère que l’on arrivera malgré tout à garder nos valeurs. C’est quelque chose que j’ai ressenti surtout après les attentats : je me suis sentie moi-même attaquée. Il a fallu un événement comme celui–ci pour que je comprenne moi-même le sens de ce mot patrie. On est un peu égoïste, on mène sa petite vie, on s’occupe de ses enfants, on va au travail et on oublie pourquoi nos aïeux se sont battus. On est une terre d’asile, nos frontières sont ouvertes. Je me suis dit, ce n’est pas possible : pourquoi nous ? Alors, comme beaucoup, j’ai mis des bougies sur les fenêtres, j’ai collé sur ma voiture « Je suis Charlie »… je me suis sentie très concernée.
 
Le racisme a toujours existé. J’ai peur aujourd’hui que l’on fasse l’amalgame entre le musulman et les extrémistes, les terroristes. Ce ne sont pas les mêmes personnes. Je crains que le Front National se serve de cette peur et de cet amalgame pour monter. Et ce qui m’effraie le plus, c’est qu’ils y arrivent. Il faut que nous soyons solidaires pour qu’à la prochaine élection présidentielle, ils n’arrivent pas à passer. J’irai sûrement voter aux prochaines présidentielles… au moins pour qu’ils ne passent pas. C’est ce que j’ai fait déjà en 2002. Ils font peur et ne reflètent en rien l’image de l’égalité, de la liberté, de la fraternité. Je pense pourtant que l’on peut vivre ensemble, toutes religions confondues. J’ai des amis de plusieurs religions, nationalités… des êtres humains comme vous et moi. Je ne m’arrête pas à leur couleur de peau, parce qu’on ne prie pas le même dieu. Ce n’est pas cela qui m’arrête.

Egalité

Egalité… je ne suis pas convaincue. Il y a trop de différences entre les personnes, entre celles qui gagnent très bien leur vie et celles qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté. L’égalité française, je ne sais pas si elle existe aujourd’hui. Lorsque je travaillais chez ce bailleur social, je les ai vus refuser un logement social à un monsieur de 76 ans parce que sa retraite s’élevait à 600 € par mois et que son reste à vivre  était insuffisant. Ce monsieur avait commencé à travailler comme garçon vacher à 13 ans ! Pour moi, il y a là une injustice, un manque d’égalité. 
 
Ma mère s’est retrouvée veuve à 30 ans avec trois enfants en bas âge : elle n’a jamais abusé des aides de l’Etat. Elle m’a laissé cette image d’une mère forte qui pouvait être fière quand elle se regardait dans la glace. Quand je me suis retrouvée seule avec mes enfants, je ne gagnais que 700 € par mois et n’avais pas le droit aux bourses parce que j’étais en garde alternée. Malgré tout, j’y suis arrivée. Je m’en suis sortie parce que je suis une battante et parce que je crois en mon prochain. Mais je trouve qu’il y a trop de différences entre les hommes aujourd’hui et pour certains, c’est vraiment difficile. Pour les aider, c’est compliqué car il y a trop de variables.

Il y a un sujet qui me tient à cœur et qui démontre bien que nous ne sommes pas égaux : c’est le droit des homosexuels. Je suis pour le mariage pour tous, pour que ces personnes puissent adopter et que leurs droits parentaux soient reconnus lors du décès d’un des parents. 

Fraternité

Dans fraternité, je vois la fratrie. On est devenu individualiste, tout ce qu’on en est. Je ne sais pas si on a gardé le bon sens de ce mot. Pour moi, c’est un mot qui a toujours du sens. J’aime mon prochain et je suis prête à tout faire pour aider mon prochain. Je serai toujours fidèle à moi-même et à mes convictions. Mais après, je suis comme tout le monde… Pour avancer dans la vie, il faut construire une équipe. On ne peut pas être tout seul. Aujourd’hui, tout le monde préfère renvoyer la faute à l’autre. Regardez nos hommes politiques, même dans leur propre parti… ils ne sont même pas capables d’être unis. Ils arrivent à se tirer dans les pattes et c’est à celui qui prendra la place de l’autre. J’ai du mal avec ça. C’est vrai que j’ai aussi ma part de responsabilité parce que je me cache un peu.

Je crois en l’être humain et donc, je crois que ces valeurs républicaines ne sont pas perdues. Un jour, la raison fera que… mais aujourd’hui, je me sens seule, pas écoutée. J’ai tout de suite accepté de répondre à votre invitation bien que parler de ses convictions n’est pas toujours facile. Je n’aurais jamais osé si vous ne l’aviez pas demandé. C’est bien, si seulement ça pouvait être plus souvent ! J’ai envie de dire à mes enfants qu’il ne faut pas hésiter à saisir toutes les opportunités pour s’exprimer, échanger avec d’autres personnes, partager des idées… sans être jugé. » 
 
ALIDA, CONVAINCUE ET DETERMINEE

Alida s’installe dans la région de Redon en 2007 avec son mari gendarme : « Je suis née en 1976 à Châteaubriant. Mon père était soudeur et ma mère est toujours cantinière. Une enfance heureuse malgré le décès tragique de mon  père  quand j'avais 10 ans. Maman a dû laisser le foyer pour reprendre le travail pour pouvoir nous élever… nous étions trois fillettes, âgées de 10, 8 et 4 ans. Nous ne l'avons jamais vu pleurer et, grâce à elle, nous sommes toutes les trois courageuses ». Alida obtient un bac en comptabilité. Elle quitte le foyer familial à 19 ans et se marie : « J’ai alors connu une vie de femme de gendarme et ce n’était pas facile ! »
 
Refus de la soumission

Très indépendante, elle décide de travailler à mi-temps : « Ce n'était pas forcément bien vu. L'emploi du temps du gendarme ne favorise pas l'activité professionnelle du conjoint. Si votre époux est muté, vous êtes obligée de démissionner  pour le suivre. La vie en caserne est difficile. Sans cesse, il faut faire attention à ses propos et jamais, ne faire de « vagues ». Pour le gendarme, c’est compliqué également car il vit avec les gens avec qui il travaille, avec le chef au-dessus, l’adjudant à côté… c’est du 24 heures sur 24 ! C’était devenu pour moi très pesant au quotidien et j’ai refusé d’intégrer la gendarmerie. Je me suis alors installée avec nos enfants dans notre maison à La Chapelle-de-Brain. Et peu m’importait si cela dérangeait ! » Au bout de seize ans, Alida et son mari se séparent.
 
Accompagner les personnes
 
En arrivant dans le pays de Redon, Alida trouve du travail chez un bailleur social, d’abord comme chargée d’accueil puis, comme conseillère clientèle : « J’aurais aimé me spécialiser dans l’accompagnement des personnes, dans la vie de tous les jours, suivre les dossiers de surendettement, aider les résidents, gérer les troubles de voisinage… mais ce bailleur social a changé de nom et de politique. Ce n’était plus ma façon de concevoir le logement social alors, je suis partie ».

En 2014, elle trouve un emploi à Proxim’services Bretagne sud à Redon comme assistante technique et commerciale, une association de services à domicile. Elle s’occupe du jardinage, de la garde d’enfants, de l’entretien du domicile pour les moins de 70 ans : « Mon nouveau travail me convient complètement. Parfois, je remplace les intervenantes et je m’occupe des enfants. J’adore ça et les enfants me le rendent bien. Le contact se fait bien, autant avec les parents qu’avec les enfants. Depuis peu, je me suis installée à Sainte-Marie avec mes filles et mon nouveau mari ». 

Avec ses filles, elle pratique l’équitation dans un poney-club, jour quelque temps au rugby à 7, devient membre du bureau de l’école primaire de la Chapelle-de-Brain puis parent déléguée au lycée public de Redon : « J'aide comme je peux, par rapport à ma petite personne. J’aime ce que je fais. Pouvoir aider mon prochain, pouvoir aider un jeune en souffrance et en échec scolaire, lui redonner espoir, c’est quelque chose que j’aime faire. J’ai donné une éducation très souple à mes filles avec comme base, le respect de l’autre. J’élève mes filles d’abord dans le respect de l’autre.

Quand ma fille a eu 18 ans, je l’ai invitée à aller voter. C’est un droit et elle s’y intéresse. J’apporte de l’ouverture à mes enfants pour qu’elles se fassent leur propre opinion. Je n’ai rien imposé. C’est comme le baptême : je suis chrétienne, catholique par mes parents mais ce sont mes filles qui choisissent. Elles auraient voulu être bouddhistes, musulmanes, protestantes… j'aurais respecté. C’est leur vie, leur liberté. Je les mets sur un chemin que je pense être juste et respectable mais après, c’est à elles de faire leur choix. Mon aînée veut être infirmière, elle aime les personnes âgées. Je suis fière qu’une jeune femme de 18 ans ait ainsi envie d’aider les autres ».


Propos recueillis par Monique Pussat-Marsac et Tugdual Ruellan.


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Pourquoi ce blog ?
Michel Rouger
Et si l’on demandait à chacun d’entre nous ce qu’évoque la devise républicaine, ces trois petits mots, parfois bafoués, souvent mis à mal quand ils ne sont pas oubliés de nos frontons publics ? Et si l’on prenait le temps de s’interroger sur le sens qu’ils prennent ou qu’ils ont pris dans nos vies ?

Alors, les citoyennes et les citoyens nous diraient leur mécontentement, parfois leur colère de n’être pas considérés, entendus, écoutés. Ils nous diraient leurs peurs et leur fragilité dans une économie mondialisée, monétisée, déshumanisée. Ils hurleraient leurs doutes, leur mépris face aux promesses qui leur sont faites et qui ne sont pas tenues.

Mais ils nous diraient aussi leur joie d’être libres, de pouvoir dire, rêver, encore et toujours penser. Ils nous diraient malgré tout leur espoir de voir poindre des jours meilleurs, leur soif et leur espérance de justice et d’égalité.

A l’initiative du député Jean-René Marsac, nous sommes allés recueillir des paroles, des histoires de vie, des réflexions glanées sur ces bouts de chemin croisés. Histoires Ordinaires propose de les mettre en partage sur ce blog.

Tugdual Ruellan

« Les valeurs de notre République et de notre démocratie sont violemment attaquées. Vers de nouvelles formes d'engagement et de dialogue avec nos concitoyens »

Par Jean-René Marsac, député



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