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08/11/2010

Le baroudeur de l'éducation populaire


A 75 ans, Francis Le Hérissé reste un utopiste. Il lutte toujours pour une société où les individus parviendraient à vivre ensemble comme ils le souhaitent. L’action collective est au centre de sa vie.


Le baroudeur de l'éducation populaire
Il aurait aimé «faire Navale». La mer l’a toujours attiré. Même l’école de la marine marchande était hors de portée pour un enfant de Saint-Brieuc de sa condition, alors Francis décide d’appréhender le monde à sa façon.

Instituteur autoproclamé

Dès le lycée, dans le Saint-Brieuc des années 50, il plonge dans l'action. À 19 ans, il crée un foyer en autodiscipline. «J’avais négocié avec le proviseur pour que les pions n’entrent pas dans le local du foyer». Sans doute est-il influencé par les trois personnages qui ont marqué ses «années lycée». Edouard Prigent d'abord: «C'était un professeur et un communiste remarquable qui en même temps pouvait nous faire découvrir Pascal d’une façon pas possible». L’écrivain Louis Guilloux ensuite, briochin comme lui: «C'est pour moi un exemple», souligne-t-il. Il le préfère au fougerais Jean Guéhenno «l’Académicien». Enfin Guillevic, le poète.

Leur ouverture sur le monde et les hommes a convaincu le jeune Francis de la valeur sociale de tout engagement. A la fin de ses études littéraires, une opportunité va orienter sa vie. Sa «fiancée de Quintin», institutrice à Saint Hilaire-des-Landes, près de Fougères, l'informe que dans son école le poste de directeur se libère à la rentrée. «Je me dis “Pourquoi je ne le demanderais pas ?”J’écris à l’inspection d’Académie pour le demander. Je reçois une réponse du genre: “On suit votre dossier".

« On se marie ; huit jours après, ma femme fait la rentrée dans sa classe et moi je prends la classe de l’instituteur parti.» Sans être officiellement nommé ! L'inspecteur passe: «Que faites-vous là ?» «Eh bien je fais l’école», répond sans se désarçonner l'instituteur autoproclamé : «Il y avait des élèves qui étaient là, il n’y avait pas de maître. Je les ai fait entrer et je fais l’école depuis, voilà, c’est tout.» Et il est resté: que sont ces inspecteurs devenus ?...

"République des jeunes"

Francis, d'ailleurs, est fait pour ce métier. L’éducation le passionne. Il adapte une méthode d’apprentissage de la grammaire pour les petits paysans de la commune. Il créée une coopérative scolaire: «Je ne pouvais pas faire l’école comme je l'avais subie». Il anime aussi une troupe de théâtre sur le canton : «Nous jouions Molière, Goldoni, Roblès, Max Frisch, après beaucoup de lectures en commun pour choisir la pièce de l’année». 

Au bout de quelques années, l'instituteur devient professeur de collège. Il participe aux stages de théâtre organisés par la Ligue de l’Enseignement où il prend, bientôt, des responsabilités. Détaché auprès de la Fédération des Œuvres laïques d’Ille-et-Vilaine, il crée - nous sommes alors dans les années 60 - un réseau de «clubs de jeunes» en Bretagne.

C’était, dit-il, «une démarche associative et d’émancipation, de prise des responsabilités des jeunes». Il pratique une pédagogie de l’action inspirée directement de l’expérience de foyer du lycéen de Saint-Brieuc et de l’initiative de coopération scolaire de Saint-Hilaire. Les jeunes doivent faire des choix et en assumer les conséquences. Cela fait écho à «la république des jeunes» de l’après-guerre dont sont nées plus tard les Maisons de Jeunes et de la Culture : MJC dans lesquelles Francis Le Hérissé a aussi été toujours impliqué...

68, l'utopie en action

Cette philosophie de l’éducation s'inscrit dans les courants d’idées des "sixties". Francis Le Hérissé se nourrit d'Illitch, Rogers, Lapassade, Lobrot, Freinet et autres penseurs qui le confortent dans une pédagogie active fondée sur la cogestion. Cette pédagogie est dans le vent, mai 68 approche. Elle va s'épanouir notamment dans les IUT «carrières sociales» créés pour former des animateurs socioculturels.

Là encore, Francis Le Hérissé est dans le coup. Il participe activement à l’expérience pédagogique rennaise alimentée par la contestation sociale ambiante. Il y est à l’aise : à 19 ans, plus de dix ans plus tôt, au lycée de Saint-Brieuc, n'a-t-il pas contesté les formes d'autorité récusées en 68 ? Lorsqu'en septembre de la fameuse année, une quarantaine de jeunes, tous militants associatifs et souvent "gauchistes", entrent à l'IUT "carrières sociales" de Rennes pour une formation totalement novatrice, Francis, donc, s'épanouit.

Mais l'Université va vite retrouver ses habitudes anciennes. Peu à peu, il est écarté. En 1975, sa thèse sur l’histoire du Cercle Paul Bert à Rennes est refusée et il doit quitter ses étudiants. Durant quelque temps, Il est intervenant nomade en sciences de l’éducation puis il prend le large, le grand. Il retrouve la mer de ses rêves avec toujours, l’envie de faire partager les cultures du monde.

Passion espagnole....

Il embarque sur un des paquebots affrété par l’association «Tourisme et Travail». Il est directeur de croisière chargé des activités culturelles. Les vacanciers des comités d’entreprises se souviennent des soirées de littérature vivante animées par Francis Le Hérissé. Nazim Hikmet et Pablo Neruda, les grands poètes turc et chilien, ont été leurs compagnons de voyage de même que Roll Tanguy, l'ancien membre des brigades internationales.

En Espagne, le navire faisait escale avec la poésie antifranquiste. C'est que, depuis longtemps, l'Espagne compte beaucoup pour Francis Le Hérissé : son histoire et sa culture expliquent en partie son engagement politique au Parti Communiste. Les dix années passées à «Tourisme et Travail» auront été une autre étape importante. Elle s'achève au début des années 80 à la naissance d’un enfant avec une nouvelle compagne. Le couple décide d'organiser sa vie autrement.

Francis et Joëlle ouvrent un premier restaurant. dans une petite commune d’Ille et Vilaine, puis un second à Rennes, «La Bodega», suivi quelques années plus tard d’un troisième, espagnol lui aussi, évidemment. Le temps des «Bodegas» s’achève, à la fin des années 90. Francis prend sa retraite. Si l'on peut dire. Président régional des MJC, il milite aussi au Mouvement de la Paix et c'est là qu'une rencontre lui ouvre la porte de l'Afrique.

... Et passion africaine

Un jeune juriste africain sur le point de rentrer définitivement à Brazzaville lui demande: «Que peut-on faire pour les jeunes là-bas?» Francis lui fait visiter ce que l’on fait en Bretagne. À son retour à Brazzaville, le jeune congolais crée une MJC. Francis Le Hérissé en devient le conseiller technique... et sa technique ne change pas: «Que voulez-vous faire?», demande-t-il aux trente jeunes qu'il rencontre.

Trois projets sont évoqués: une bibliothèque, un cybercafé et une cafétaria. Le cybercafé n'a pas pu naître. Pour la «Cafet’», Francis a formé des jeunes cuisiniers mais cela n'a pas suffi : «Elle a bien marché pendant un temps. Il aurait fallu que je reste mais moi je n’habite pas à Brazza, j’habite ici... » La bibliothèque publique créée de toutes pièces par les jeunes, elle, est une vraie réussite.

Son local avait été investi par l’Eglise du Réveil mais «on a remis l’Eglise en sommeil et on a réveillé la bibliothèque", sourit Francis. Six milles ouvrages triés à Rennes dans les locaux d’Etudes et Chantiers Bretagne ont été acheminés par minibus. «L’idée est simple comme tout. Il s’agit de faire lire les mômes en faisant tourner des valises de livres entre les lycées et de créer dans chacun d’eux des clubs de lecture».

Une dynamique a été créée. De là sont nées des «Rencontres du Livre Vivant» qui délivrent le prix "Lire en Afrique". « La quatrième rencontre se déroulera en novembre 2010, elle devait avoir lieu en juillet mais la subvention n’était pas arrivée à temps » La politique culturelle de la France en Afrique n'est plus à la hauteur...

L'association pour drapeau

En tout cas, Francis Le Hérissé, acteur engagé et breton entêté, n'est pas près, lui, de renoncer. Homme de pouvoir ? Non affirme-t-il. « Je suis un homme qui sait où se trouvent les lieux de décision » Est-ce vraiment différent ? Peu importe ! Là ou ailleurs, pourvu que s’exprime l’envie de faire quelque chose ensemble. Aujourd’hui, il se définit plutôt comme un militant alternatif, sans engagement dans un parti, mais son combat sera toujours resté le même. 
Depuis peu, il est à la tête des Coordinations Associatives en Bretagne. Logique: le partisan de la dimension révolutionnaire d’une Education Populaire capable de transformer fondamentalement la société, est un défenseur acharné de la vie associative. « Je bataille pour qu'on reconnaisse dans ce pays la vie associative. C’est une force extraordinaire qui doit être reconnue pour ce qu’elle est et perçue comme partenaire politique au sens de la gestion de la société ensemble. Je me bats pour la reconnaissance de la place de la société civile dont font partie les associations », martèle l'inoxydable Francis.
 
Alain RISSEL




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