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28/10/2015

Catherine Beaunez, la résistance féministe par l'humour


Il ne faut pas se fier à sa frêle stature ou à sa voix calme et posée. Catherine Beaunez dessine des femmes et des hommes dans leurs relations inégales, imparfaites, et rappelle la société à l'ordre. Alors que tout va au plus vite, la dessinatrice tient bon la barre, en gardant sa ligne à travers des traits.


En Suède, où elle est invitée pour parler de ses dessins féministes, Catherine Beaunez promène son regard aussi vif qu'un grand joueur de tennis de table qui contraste avec une silhouette voûtée qui ne veut pas se faire remarquer.

Sa voix douce siffle doucement sur les « s » de « dessiner » et paraît se former sur son visage avant de se lancer. Un peu comme si Catherine Beaunez dessinait même sa voix, tout en écoutant et observant, prête à tracer comme à respirer. Elle regarde les gens la tête en avant, à travers son front.

En clair, elle regarde les gens pour les dessiner ensuite, vivant ses heures comme son art. Toute rencontre, tout détail est un dessin en puissance. Elle en extrait des esquisses, pointe les à-côtés et s'en amuse.

Catherine Beaunez, la résistance féministe par l'humour

« Un monde très engagé mais très masculin »

« Mes parents étaient très engagés  », se souvient Catherine qui a grandi en région parisienne dans le milieu du militantisme chrétien de gauche. Roger Beaunez, son père aujourd'hui disparu, militait au Mouvement de Libération du Peuple (MLP) et a fondé l'ADELS (Association pour le Développement de la Démocratie Locale). Il a été secrétaire de Claude Bourdet, grande figure de la gauche française. Il apparaît dans le Dictionnaire biographique des militants, XIXe-XXe siècles, de l'éducation populaire à l'action culturelle publié chez L'Harmattan. « Quand on a une ligne de pensée, d'engagement, autant la vivre, assure Catherine. C'est ce que j'ai ressenti de la vie de mes parents. »

Catherine se rend compte que le monde idéal pour lequel ses parents luttent n'est pas à la hauteur en réalité : « Je voulais dire des vérités souterraines qui n'avaient pas été transmises par mes parents et que moi, j'avais testées personnellement. » Car Catherine a chaussé les lunettes du féminisme sans pouvoir s'en défaire. « Au départ, je n'étais pas du tout au courant, s'exclame-t-elle. Enfin, si, mon père était entouré de militants masculins et déjà, je percevais qu'il y avait comme deux mondes. Un monde très engagé mais très masculin. »
 
Elle s'inscrit à l'école des arts appliqués et se heurte à un milieu macho. Elle répond par le dessin et le rire. « Mon cheval de bataille, c'était lutter contre le sexisme et puis, me faire entendre en tant que femme, explique-t-elle doucement. C'est une ligne chez moi. »  Elle trouve un travail dans une entreprise de déco. Mais la perspective de travailler pour attendre le week-end la fait fuir. Elle sera dessinatrice indépendante, point, à la ligne justement. Elle multiplie les publications dans la presse, édite des livres, le tout avec plus ou moins de censure.

La cohérence entre la personne, ses paroles et ses actes

« Ce qui m'a beaucoup impressionnée chez mes parents, c'est la cohérence entre leur personne, leurs paroles et leurs actes, expose-t-elle en ouvrant les mains. Il n'y avait pas de coupure. » Elle marque un court silence. « Cette cohérence m'a donné l'impression que c'était naturel. Mes parents m'ont préparée au fait que si on a des idées, il faut les vivre. » Ainsi, quand paraît le premier livre de Catherine, par principe, son père se promène avec au bras, le recueil de BD intitulé « Mes partouzes ». Un peu embarrassé mais plutôt fier.
 
Les contradictions font Catherine Beaunez. Alors qu'elle fustige les raccourcis dans un monde qui ne prend plus le temps, elle rend compte de la complexité de la vie en une bulle et trois-quatre traits. Elle fait en sorte que rien ne transparaisse jusqu'à ce que le feutre fasse son effet, que ses traits furtifs forment des points d'interrogation ou d'exclamation dans l'esprit de sa lectrice. Le dessin de Catherine Beaunez n'est abouti que s'il atteint celui ou celle qui le regarde, comme la langue des signes, comme une langue des lignes.
 

Car son stylo hurle en silence. Alors qu'elle parle avec timidité, elle fait jaillir une rage, une indignation et un combat pour les femmes qui va loin dans sa vérité. « Le dessin permet d'élaborer, donc de représenter. Et de donner à voir. Ça exprime mais ça ne me fait pas parler, sourit-elle. C'est le paradoxe de ce qu'on m'a donné comme éducation et de ce qui s'est construit lentement, et que j'ai gardé pour moi. Une certaine indignation. » Impossible de la sortir, de se mettre dans tous ses états. « Je m'explo... Je m'exposerais énormément », souffle-t-elle en avalant son lapsus. Je me protège, je m'entoure. »
 
Avec sa ligne et ses contours, Catherine Beaunez dessine la nudité, des positions de rapports sexuels, la cruauté, la violence, la solitude et même la colère... Le tout avec humour et malice. Un défi aussi relevé qu'épicé. Des titres comme « Mes partouzes », « Vive la carotte ! », « On les aura ! » sur les femmes et la politique avec le fameux « Assemblée nationale » avec des pénis à la place des colonnes, il faut l'assumer. « Et par exemple, les portables, c'est pareil, souligne-t-elle. Je complique la vie des autres peut-être mais c'est cohérent. Si, moi, je sens que c'est mauvais pour le bien public, c'est un problème de santé publique alors je ne vais pas aller contre cette conviction et donc personnellement, je vais tout faire pour ne pas rentrer la dedans. »
 

"Il y a 20 ans, on était trois. Maintenant, on est 147."

Des censures, elle en a connues. Il lui a fallu tenir bon face à un éditeur frileux, voire  irrespectueux pour lutter contre vents contraires. Pour l'album « En Vie », elle souhaite mettre en couverture un dessin de femme heureuse, nue et enceinte qui court. Sa maison d'édition s'oppose : « C'est vulgaire et laid. » Elle doit changer la couverture mais expose l'histoire à tous les colloques possibles. Elle a dû acheter tout le stock d'un de ses livres promis au pilon , « On les aura », qu'elle vend désormais seule.
 
Il en faut de la ténacité à cette petite femme pour être en résistance sans discontinuer de son quotidien à son dessin. Même au sein de Cartooning for Peace, le collectif de Plantu, elle n'est pas en terrain conquis. L'association est loin de jouer la carte de la parité.

En septembre dernier, Catherine Beaunez a rejoint le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme. « Il y a 20 ans, on était trois. Maintenant, on est 147 », se réjouit-elle. Elle y a écrit un témoignage, parmi les autres, pour raconter le machisme du milieu de la BD. Ici, en Suède, elle respire de ce calme, du vent et des gens à qui le féminisme n'est pas étranger. « Dans les années 90, j'ai vécu une quinzaine de jours en Suède et j'ai beaucoup aimé. Mais j'ai préféré retourner en France pour continuer le combat. » 

Violette Goarant à Stockholm



L'enquête des lecteurs


"Les gens qui ne sont rien"
Dans ce voyage, un reporter fait partager le meilleur de ses rencontres. Femmes et hommes  de  toutes contrées, des cités de l’Ouest de la France aux villes et villages d’Afghanistan, d’Algérie, du Sahel, du Rwanda, de l’Inde ou du Brésil, qui déploient un courage et une ingéniosité infinis pour faire face à la misère, aux guerres et aux injustices d’un monde impitoyable. 280 pages. 15 €.

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